J’éclusais les dernières gorgées de ma canette de Red Bull, celle avec laquelle j’avais fait descendre quelques minutes plus tôt deux cachets de pseudoéphédrine (des décongestionnants!), lorsque j’ai fait mon entrée samedi dernier au Centre culturel pour le premier concert de la saison de l’Orchestre symphonique de Sherbrooke. Motif médical: je sentais les symptômes de mon lendemain de brosse lentement mais sûrement se métamorphoser en grosse grippe d’homme. Autre motif: il ne fallait surtout pas que je cogne des clous pendant le Concerto pour piano no 2 de Chostakovitch ou la Symphonie no 3 de Saint-Saëns, engourdi par l’odeur capiteuse des parfums que porteraient les dignes représentants de la haute bourgeoisie estrienne qui, je me l’imaginais, vont à l’Orchestre. J’étais gonflé à bloc, la grosse veine du cou qui palpite et la jambe qui tremblote.
Parenthèse: j’entretiens une relation tendue avec la musique classique qui, chaque fois que je tente une approche, me renvoie ingratement au visage mon ignorance. L’autre fois, par exemple, je ramène du disquaire le best of des trios de Schubert pour lire dans les notes de pochette rédigées en trois langues par des gars qui écrivent comme s’ils savaient de quoi ils parlent que les trios de Schubert ne sont que des œuvres très mineures. Eille, les gars, je viens de me délester de 20 piasses pour essayer de voir si je ne pourrais pas éventuellement peut-être aimer les trios de Schubert, pouvez-vous faire un effort? Fin de la parenthèse.
Comprenez-moi bien: les gens de l’OSS sont très loin d’afficher le même genre d’outrecuidance. Quelques semaines avant le grand jour, le directeur général Dominic Ferland m’envoyait un courriel m’indiquant que je n’avais pas à m’habiller chic pour le concert. À croire qu’il avait tenu une conférence téléphonique avec ma mère et mes ex. Ses recommandations n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd et je suis arrivé avec mon t-shirt de Guns N’ Roses au Centre culturel, question de bien étaler l’indigence intellectuelle dans laquelle je baigne au jour le jour. À ma grande déception, aucune tête grise ne poussa les hauts cris. Même pas un petit commentaire outré, rien. Mon voisin de siège de gauche portait un jean, celui de droite des bermudas, c’est dire.
Je doute que Stéphane Laforest se serait formalisé de mon accoutrement. Sur scène, le chef d’orchestre prend résolument le parti de la pédagogie et devise entre chaque morceau sur le contexte de création des pièces choisies. Avec ses explications échevelées bien qu’éclairantes, le maestro s’assure de ne laisser personne sur le quai d’embarquement, un soin louable qui m’a été d’un grand secours. Il faut aussi dire que Laforest a de la graine d’humoriste et réagit chaque fois qu’il replonge dans ses cartons comme s’il apprenait en même temps que nous tous ce que l’Orchestre s’apprête à jouer. Genre: «Chostakovitch!?! OK, si c’est écrit sur mon carton, on va jouer du Chostakovitch!»
J’ai tellement aimé le concert, surtout le concerto interprété par Serhiy Salov, un pianiste qui torche pas pire, que j’ai longuement réclamé un rappel à grand renfort de sifflets et de hurlements (l’effet de la pseudoéphédrine ne s’estompait pas). Laforest n’est jamais revenu. Je demandais juste une petite dernière toune.
La prochaine fois, parce qu’il y aura une prochaine fois, je prends de l’échinacée.