«Un truc, les amis: mettez votre cache-cou, vos mitaines, votre tuque et votre foulard dans les manches de votre manteau pour que ça prenne moins de place», recommande à ses élèves qui s’installent sur les bancs d’un Théâtre Léonard-Saint-Laurent sombre la professeure d’une école primaire d’East Angus. D’autres enfants descendent par grappes dans la salle, emmitouflés, presque momifiés comme seuls des gamins peuvent l’être, sans aucune concession à la coquetterie (sauf dans le cas de cette mignonne petite fille aux cache-oreilles rouges, clairement piqués dans la garde-robe de Lucy van Pelt, fashionista avant la lettre). Je les envie, bien assis dans la dernière rangée. Dehors, le vent glacial d’un lundi après-midi fouette le visage. Dans mon téléphone intelligent, je vois les courriels de détresse s’empiler: «Dominic, on a besoin de ce texte tout de suite!» Ils attendront bien, les gentils collègues; je fais la job buissonnière avec tous ces bambins agités venus assister à une représentation du Projet pupitre, une initiation à la musique électroacoustique pour les 8 à 12 ans (ça ne s’invente pas). Le Sherbrookois d’origine Yann Godbout, qui sème la terreur et/ou le bonheur électrique dans les bars depuis près de 15 ans avec le groupe Half Baked, est de la distribution et je suis pas pire intrigué.
Les lumières s’éteignent. Des petites filles que l’on devine bien studieuses sifflent entre leurs dents des «chut» sonores. Pascale Tremblay, de Côté scène (le diffuseur en théâtre et en danse pour la jeunesse derrière la présentation du Projet pupitre à Sherbrooke), vient gentiment prévenir ces élèves dont les pieds ne touchent pas le sol que le théâtre, ce n’est pas du cinéma, «les comédiens vous entendent». J’enlève mon manteau puis je glisse mes gants et mon foulard dans les manches (c’est vrai que c’est un bon truc, merci, madame la professeure).
Spectacle nettement moins aride que ce que sa description laisse entendre, Le projet pupitre met en scène Godbout et son vis-à-vis Guillaume Lévesque dans une dictée qui tourne mal et durant laquelle les deux ludiques indisciplinés se mettront à jouer de la musique avec leurs effets scolaires (crayons, règles, élastiques). La virtuosité que suppose un solo d’agrafeuse semblait échapper à la majorité des enfants, mais pas le comique d’un Godbout qui secouait comme un épileptique sa tignasse bouclée. Les enfants ont aussi bien ri quand la professeure a prononcé en voix off les mots «mouches tsé-tsé» (c’est vrai que c’est drôle), «piranhas préoccupés» (mon totem scout) et «lémuriens vauriens» (c’est vrai que c’est drôle, bis).
«Faites de la musique avec tout ce que vous trouvez», a suggéré Godbout aux kids en prenant la parole à la fin du spectacle, avant de préciser qu’il valait mieux répondre correctement à ses dictées et ne pas trop imiter les personnages, au risque de se faire coller une mauvaise note. Quelques garçons ont poussé des «naaaah» de déception. Quelques autres battaient déjà un rythme maladroit avec leurs petites mains sur le bout de leur banc. On les retrouvera peut-être dans les pages de ce journal dans 10 ou 15 ans.
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Côté scène invite le grand public à assister aux spectacles Hikikomori (10 février) et Patate doit prendre un bain (3 mars). Toute la programmation au cotescene.ca.