Ce n’est pas tous les jours que Richard Séguin m’envoie des courriels, encore moins des courriels accompagnés de chansons inédites. Il fallait bien que les collègues Simon Jodoin et Steve Proulx échafaudent ce colossal dossier Art-peur (sur les coupes en culture du gouvernement de l’ami Stephen, vous savez, le monsieur qui sert la main de son fils en le déposant à la petite école) publié dans les pages de ce journal la semaine dernière pour que de Saint-Venant-de-Paquette jusque dans ma boîte courriel déferle un vigoureux vent de révolte. C’était jeudi après-midi et Séguin, via la grande dame des relations de presse Gaëtane Roy, me faisait parvenir Il a peur de la vie, protest song dans la plus pure tradition qui, selon ce qu’on me dit, aurait été coupée au montage de son plus récent album, Appalaches, l’auteur-compositeur ayant préféré que le sombre spectre du plus grand fan des Beatles que le Parti conservateur ait jamais connu n’assombrisse pas ses chansons de lumière. Je soupçonne aussi secrètement Séguin, bête féroce de l’espoir qu’il est (merci Miron), d’avoir souhaité fort que le propos de son texte expire aux prochaines élections (ce ne fut pas le cas: 166 conservateurs ont été élus le 2 mai 2011).
Vous l’avez peut-être entendue sur le site Web de Voir (où la chanson est toujours disponible, Séguin ayant eu la générosité de nous permettre de la diffuser), Il a peur de la vie appartient sans conteste à la catégorie «colère» de son répertoire; il y a peu d’espoir dans ce pamphlet qui évoque l’album Le Noise de Neil Young. Le citoyen insurgé sonne la charge avec un refrain lourd d’une distorsion inédite dans toute sa discographie (à moins que Les Séguin aient enregistré un microsillon noise dont j’ignore l’existence). À 60 ans, Richard Séguin taille dans des accords qui arrachent sa chanson la plus grunge en carrière, un authentique brûlot qui a la puissance requise pour faire tomber l’onéreux portrait de Sa Majesté du mur auquel il est suspendu.
«Il aime les clôtures, déteste la culture / Il aime les coupures, il déteste la nature / Il aime les fusils et déteste l’infini / Il aime l’acier lisse, déteste les utopistes», tempête un Séguin qui ne s’embarrasse pas de nuances (manichéen, diront ceux qui confondent le boulot d’un artiste et celui d’un politologue), et c’est précisément ce que j’aime dans cette chanson cathartique, qui nomme très justement, à mon sens, le sentiment de complète incompréhension dans lequel sont plongés la majorité des Québécois devant l’appui que recueillent les politiques chagrines et les stratégies retorses du gouvernement conservateur.
Que des milliers de gens aient voulu reporter Jean Charest à la tête du Québec il y a quelques mois, je m’en désole, mais j’arrive à le concevoir. Que des millions de Canadiens se disent satisfaits de Harper me donne le goût de démissionner de l’humanité. Sans réel recours, je me satisferai de reprendre en chœur ce refrain – «Il a peur de la vie / De la vie il a peur et à moi il me fait peur» – qui, à défaut de réellement faire trembler le socle de préjugés sur lequel celui qui harasse les chômeurs, élude les problèmes des autochtones et réduit à la quasi-mendicité les artistes a assis son pouvoir, tente au moins de dépeigner le PM. Et c’est connu: les dépeignés sont toujours plus ouverts d’esprit.