Du haut de la King

Voir le Grand Prix Ski-doo de Valcourt et mourir

Zzzzzzzzzzzzzzzzzz. Zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz. Zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz.

Le Grand Prix Ski-doo de Valcourt est une course de motoneige, une fête de village, un méchant party, oui, mais c’est d’abord et avant tout un son: Zzzzzzzzzzzzzzzzzzzz. L’ami Lys et moi avons à peine stationné la voiture dans un grand terrain vague et glacé que le bourdonnement des moteurs chatouille nos tympans. «Tu crois qu’on aurait dû apporter nos bouchons d’oreilles?» Je ne sais pas, man, mais je sais par contre qu’on aurait dû s’habiller plus chaudement. Dire qu’en partant de Sherbrooke, j’ai songé à enfiler ma veste en cuirette (je me plais à penser que c’est ainsi que l’on convoque le printemps). Ici à Maricourt (la banlieue de Valcourt), dans un grand champ au milieu de nulle part, les arbres dansent dans le noir, les bouts de mes doigts gèlent et nous sommes les deux seuls cons à ne pas avoir sur le dos un manteau Ski-doo. Regarde-moi les citadins débarquer à la campagne.

Ce qui ne nous a pas empêchés d’être soufflés par les courses d’accélération de motoneige au programme en ce vendredi soir de Sibérie. J’ai des amis globe-trotters qui aiment à prétendre qu’il faut avoir lavé ses péchés dans le Gange au moins une fois dans sa vie. D’autres, moins téméraires, disent qu’on ne peut mourir en paix sans avoir mis les pieds une fois à la Sagrada Familia. J’ajouterais, bien humblement, qu’il faut au moins une fois dans son existence s’être fait défoncer les tympans par le son d’une motoneige atteignant 200 km/h en moins de 8 secondes couplé à celui d’une grosse chanson balourde, comme Enter Sandman de Metallica, que crachent à plein volume les haut-parleurs.

À quelques secondes de l’hypothermie, nous passons sous le chapiteau chauffé, où je comprends enfin comment tout ce beau monde maintient un teint pimpant malgré les -30 degrés Celsius: on sert au bar des shooters de Sortilège (du whisky au sirop d’érable). Mieux: moyennant quelques dollars, les festivaliers peuvent se procurer un verre à shooter en plastique monté sur un collier qui pendouillera autour de leur cou toute la soirée. Je songe quelques secondes à me doter d’un pareil bijou avant que toute mon attention ne soit mobilisée par le Can-Am Maverick, un des nombreux produits BRP offerts à notre béate contemplation. Sorte de voiture téléguidée géante jaune et noir sans toit ni pare-brise, le Can-Am Maverick pourrait n’avoir été conçu, pour ce que j’en sais, qu’afin de traquer des talibans dans le désert du Pakistan et/ou pour que des papas fiers prennent des photos de leurs petits gars assis dans le siège du conducteur pendant le Grand Prix Ski-doo de Valcourt.

Zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz. Zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz. Zzzzzzzzzzzzzzzzzz. Même le groupe de reprises qui se démène devant un essaim de gentilles dames d’un certain âge arborant fièrement le pantalon de neige ne peut rivaliser avec le bruit des bolides qui fendent l’air glacial dehors. À l’intérieur, au chaud, le guitariste soliste égrène à la perfection les premières notes de Sweet Child O’ Mine, mais porte en lieu et place d’un chapeau haut-de-forme une tuque Ski-doo. L’ami Lys et moi dansons avec les dames en pantalons de neige, dandys de la ville et Valcourtoises réunis par le rock dans l’hiver de force. Where do we go? Where do we go now?