Du haut de la King

Il était une fois Rock Forest

J’ai un souvenir photographique de la première fois qu’il m’a été donné de voir Christophe Lamarche-Ledoux. Quelque part autour de 2004 (l’année où la décennie 80 prit en otage la culture populaire), sur la scène d’un Bar Le Magog qui tarde toujours à se refaire une beauté, le blond musicien joue des claviers au sein d’un groupe new-wave baptisé Honi. Avec son veston cintré et son mini-mégaphone, il apparaît clair que Christophe ne se chauffe pas du même bois que ses collègues, pourtant tous indéniablement cool. C’est ce que je me dis dans ma tête de cégépien: ce gars-là n’est pas un second violon, il a de la graine de tête chercheuse, il est travaillé par un appétit plus grand que ce groupe.

J’ai aussi un souvenir photographique de la mine misérable qu’affiche Christophe, quelques années plus tard, dans les rues du vieux Noranda pendant le Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue, au lendemain d’un concert ma-la-de de Sexyboy (selon ma lecture surenthousiaste de jeune journaliste). Les membres de Sexyboy, ce projet solo devenu groupe dont l’unique album, Lollypop on Sunday school (2005), aurait pu paraître sur la branche estrienne de l’étiquette DFA (si seulement une telle chose avait existé), ne sont pas du même avis. Christophe et ses potes sont insatisfaits et entreprennent une longe valse-hésitation avec la pop; le mégatube de danse qu’est Rock the basement sera bientôt remisé. Sexyboy donnerait quelques mois plus tard au Téléphone rouge son vrai concert d’adieu. «Notre prochain projet va s’appeler Rock Forest», lance alors en boutade CLL, suscitant l’hilarité générale. Le prochain projet s’appellera Man Machine et sera assez exploratoire, merci. Christophe et sa bande tournent le dos à toute velléité pop.

À force de répéter la boutade, CLL et ses partenaires Philippe Bilodeau, Renaud Payant-Hébert (qui avaient tous les deux participé à l’épopée Sexyboy) et Olivier Pépin ont fini par embrasser de bon coeur, sans ironie, le nom de l’arrondissement-dortoir (de loin le meilleur nom de groupe depuis Mange L’ours Mange). Nous devions Christophe et moi discuter du premier album de Rock Forest, X1000 (sur lequel la bande se réconcilie vaguement avec la pop), il y a quelques semaines; nous avons plutôt jasé de quarante-huit autres sujets. Du groupe brooklynois Liars, dont il admire la haine obstinée du surplace. Du diplôme qu’il poursuit à Concordia. De son projet parallèle, Organ Mood. Je l’ai félicité d’avoir eu les couilles de tâter pour la première fois du français sur X1000. Il en faut pour prendre à bras-le-corps la langue de Marc Drouin dans un contexte électro où les exemples probants ne pullulent pas.

J’ai un souvenir photographique de la dernière fois que j’ai vu Christophe. Nous nous sommes quittés au coin King/Belvédère, lui piquait vers chez ses parents, auxquels il rendait visite pour le week-end. Moi, j’allais rallier mon appartement, les écouteurs enfoncés dans les oreilles jusqu’aux tympans, La drogue en moi de Rock Forest dans le tapis. C’est un grand disque – anxiogène et apaisant en même temps, ça se peut-tu? – que je me disais.

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Rock Forest monte sur la scène de la Petite Boîte Noire le 23 mars en première partie de l’incendiaire formation The Death Set. X1000 est disponible au rockforest.bandcamp.com