Du haut de la King

J’aime les groupes hommages

Cher lecteur, maintenant que nous nous connaissons mieux, je peux te susurrer dans le creux de l’oreille cet aveu honteux sans craindre que tu ne renies notre amitié: j’aime les groupes hommages. Pour tout te dire, je rentre à l’instant du Théâtre Granada où des centaines de mélomanes transis ont applaudi Brit Floyd, groupe hommage à un certain quatuor anglais ayant fait le pactole grâce à son voyage du côté obscur de la lune. Devant moi, une adolescente de 16 ou 17 ans et son souriant de papa bedonnant goûtaient chacune des notes qu’un David Gilmour substitutif arrachait à sa Stratocaster. Il y avait de l’amour intergénérationnel dans l’air, mon ami, pendant cette grosse gig pointant vers le ciel.

J’aime les groupes hommages, malgré le parfum de mort lente qu’exhalent souvent ces cérémonies rodées au quart de tour durant lesquelles des musiciens sur-révérencieux invitent les nostalgiques à communier à l’autel d’une époque où le rock participait d’un décloisonnement des consciences et des mœurs. Communion, oui: c’est avec un respect habituellement réservé aux Évangiles que les membres de groupes hommages se saisissent de la musique de leurs idoles. Guidés par un désir de mimétisme limite monomaniaque, ces succédanés de Peter Gabriel ou de Roger Waters font du même coup la preuve de leur immense virtuosité et d’une suspecte docilité incompatible avec ce grand cri d’affirmation personnelle que hurle le rock depuis plus de 50 ans. J’écris «affirmation personnelle» en sachant très bien que le rock a toujours été un art de l’imitation et que le genre de dévotion qu’inspirent Black Sabbath et Genesis à ceux qui les singent n’est qu’une version portée à son paroxysme de la frénésie qui embrase mon corps tout entier lorsqu’un DJ fait tourner Jumpin’ Jack Flash et que je ne peux m’empêcher de faire la poule à la Mick Jagger. Un groupe hommage dort au fond de chaque cœur de rockeur.

Malgré les lourds soupçons qui pèsent sur les musiciens hommageux, j’ai vécu plusieurs grands moments de félicité devant des tribute bands, dont je préfère le pendant «show de bar/billets à 8$» au pendant «grand déploiement/costumes/projections risibles/billets à 68$». Je me souviens encore d’une bande de cinquantenaires ontariens, émules d’AC/DC, qui étaient venus secouer les puces de l’ado que j’étais dans la salle de réception d’un hôtel à Asbestos (on tenait des concerts rock dans de drôles d’endroits à Asbestos au tournant des années 2000). Je garde aussi des souvenirs bénis quoique confus d’un paquet de mercredis soir au Café du Palais, dont celui d’un hommage à Weezer particulièrement inspiré présenté par Mathieu Baillargeon et Dominique Massicotte, désormais derrière le projet Limbo.

Il y a quelques semaines, j’assistais dans un bar de Montréal à un hommage aux Strokes et je mentirais si j’écrivais qu’un sentiment proche de la nostalgie ne s’est pas mis à bouillir dans mon sang dès les premières notes d’Is This It. Qui déjà disait que la nostalgie, c’est comme la drogue, vaut mieux s’en méfier, mais on serait con de ne pas parfois s’y abandonner?

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Le Théâtre Granada accueillera bientôt deux spectacles hommages: L’expérience Beatles avec Day Tripper (6 avril à 20h30) et Moonwalker: The Reflection of Michael Jackson (25 avril à 20h).