Il est 17h30. Je suis assis à une petite table de la taverne Le Duplessis avec le député péquiste de Sherbrooke – mon député – devant deux pintes de 50 qu’il a payées. Serge Cardin m’assure qu’il savait que le bar où je lui avais fixé rendez-vous – l’Otre Zone (la porte à côté du Duplessis) – est un bar gai (c’est là que nous aurions éclusé des pintes si l’Otre Zone n’ouvrait pas qu’à 21h, tabarouette). «Je n’avais pas de problème avec ça.» Il m’assure aussi que les vandales qui ont répandu sur l’édifice qui abrite son bureau de la peinture aux couleurs du drapeau arc-en-ciel le 8 mars dernier (Journée internationale des femmes), afin de rappeler à Sherbrooke que son nouveau député provincial a voté contre le mariage entre conjoints de même sexe en 2005, alors qu’il était député bloquiste, se méprennent à son sujet. «On essaye de me faire passer pour le grand méchant. J’ai voté contre parce que j’accrochais au mot « mariage », mais j’ai toujours été pour l’union des gens de même sexe. Le mariage dans ma tête, ça faisait partie de la famille initiale: un homme et une femme», plaide-t-il. Je me pompe: «Vous voulez dire que deux hommes qui ont un enfant ne forment pas une famille?» «Oui, c’est une famille, bien sûr», répond-il. Longue gorgée de bière. Cardin, homophobe? Je ne le crois pas, malgré ces propos un brin équivoques. Je dirais plutôt mal à l’aise, comme plusieurs de mes oncles, mettons, avec toutes ces questions. Questions avec lesquelles je cesse de l’asticoter.
Serge Cardin est un politicien sans histoire que les circonstances ont récemment placé au cœur de l’Histoire. À bien y penser, c’est moi qui aurais dû lui offrir la bière, afin de le remercier d’être sorti de sa retraite pour évincer Jean Charest, alors qu’il aurait très bien pu se dorer la couenne au soleil en dilapidant la pension que Pierre-Luc Dusseault (avec qui je suis allé boire une bière en juillet dernier) l’a forcé à toucher en mai 2011. Il dira d’ailleurs au sujet du cadet du caucus Mulcair, alors que je le presse de faire une belle-mère de lui-même et de se prononcer sur la performance de son successeur: «Je ne sais pas s’il fait une bonne job ou pas. Je sais qu’il ne fait pas de gaffes, comme moi je n’en faisais pas.»
L’analyse, bien qu’en apparence défensive, témoigne de la lucidité d’un homme capable de prendre la juste mesure de son héritage politique. Dusseault et Cardin ont en fait beaucoup en commun: ils partagent un amour infini pour les points de suspension (qui ponctuent toutes leurs phrases), n’ont tous les deux pas exactement inventé le charisme, parlent tous les deux sur le même ton lénifiant (j’ai revêtu tous les masques – flagorneur, insolent, comique – pour essayer de sortir Cardin de sa torpeur de politicien de carrière, en vain). Dusseault et Cardin ont beaucoup en commun, à la différence près qu’on lira plus facilement de la gêne charmante dans l’impassibilité d’un vingtenaire, alors que l’impassibilité d’un monsieur visiblement habitué aux petits miracles que permet Grecian Formula passera difficilement pour autre chose que de l’indolence. Une indolence sympathique, presque attendrissante, dirais-je.
Est-ce que vous sortez souvent? que je demande à monsieur Cardin avant qu’il ne quitte. «Pas beaucoup… J’ai un repaire, un camp entre Scotstown et La Patrie. Il y a un hôtel pas loin, j’y vais parfois. Ils ont de la grosse bière.» Et c’est ainsi, attablé dans un «hôtel» perdu, que j’imaginerai désormais Serge Cardin chaque fois que j’entendrai son nom à la radio, je le sais. Dans ma tête, il aura cet éternel demi-sourire aux lèvres d’avoir battu Jean Charest. Et de ne pas avoir fait trop de gaffes.