Du haut de la King

Un samedi soir à Eastman (le bonheur)

S’il est vrai que le bonheur tient à de petites choses (j’ai entendu ça à Salut bonjour l’autre fois), le mien tenait samedi dernier tout entier dans ce minisac de popcorn BBQ maison que le serveur du nouveau restaurant Le Côte, situé dans le presque aussi nouveau Cabaret Eastman, a déposé sur ma table, question de faire patienter mon estomac qui réclamait sa ration de viande. Un verre de vino et du popcorn à grignoter indolemment, en se salissant joyeusement les doigts dans la rutilante lumière de fin d’aprèm que laissaient entrer les grandes baies vitrées: Camarade Soleil et le chef du Le Côte avaient vraisemblablement conspiré afin de clouer au pilori mon légendaire cynisme. Bien joué, les boys.

Il s’agissait samedi de ma première visite au Cabaret Eastman qui, sans blague, vient de prendre une sérieuse option sur la première position au palmarès de mes salles de spectacle favorites des Cantons. Inauguré en grande pompe l’automne dernier, le Cabaret était la proie des flammes un mois après son ouverture, forçant son propriétaire Jean-Pierre Clairoux, gérant des Grandes Gueules, à se re-rouler les manches. Le Cabaret Eastman rouvrait ses portes en février dernier, dévoilant une programmation tous azimuts, tenant le beau pari de réunir sur la même marquise (mais pas le même soir, quand même) des stars de la FM comme France D’Amour et des étoiles de l’émergence comme Les Sœurs Boulay.

«Ça sent le neuf», dis-je samedi soir en tendant mon billet au placier. Je trimballe dans l’autre main mon verre de vin – que l’on puisse apporter le fond de sa bouteille de pinot noir dans la salle de spectacle, au deuxième étage, me rend heureux comme c’est pas possible. Je prends une grande poffe de cette odeur de Bureau en gros que dégagent les bâtiments tout juste rénovés. Première église catholique d’Eastman érigée en 1893, l’édifice abritant aujourd’hui le Cabaret Eastman aura été tour à tour la propriété de la famille Normand (célèbre clan d’Eastman, me dit-on), une auberge de jeunesse et un centre de réinsertion sociale, jusqu’à ce que monsieur Clairoux l’acquière dans le but de satisfaire sa passion pour la musique, me raconte-t-il lundi au téléphone depuis sa résidence eastmanoise tapie dans la montagne.

Samedi dernier, Dumas célébrait à la bonne franquette le dixième anniversaire du Cours des jours devant cette intime salle de 215 places, revisitant pour l’occasion plusieurs classiques de cet album phare grâce auquel il allait se tailler une place parmi le peloton de tête des auteurs-compositeurs québécois. Un concert jouissivement brouillon, ce qui n’est peut-être pas sans lien avec la magnifique cave à vins aménagée au sous-sol du restaurant Le Côte. La belle idée qu’a eue Dumas d’intercaler quelques lignes de J’t’aime comme un fou dans la coda de son hit Les secrets lui serait-elle advenue en apercevant la gigantesque toile de Garou 1er, œuvre de la femme de monsieur Clairoux, suspendue au mur du Cabaret, aux côtés de portraits de Félix Leclerc et de Nina Simone, colossal trio toisant les artistes sur scène? J’aime l’imaginer.

C’était un tabarouette de beau samedi. J’ai mangé du tartare de bœuf, du filet mignon et du popcorn BBQ. J’ai trimballé le fond de ma bouteille de vin d’un restaurant jusqu’à une salle de spectacle sans opposition, en franchissant simplement un escalier. Dumas a chanté Linoléum. Si vous avez une maison de campagne à prêter à Eastman, vous pouvez me joindre au bureau de Voir Estrie, poste 666.