Du haut de la King

Sherbrooke Street Fight

«Vivre, c’est lutter

– Victor Hugo, tel que cité par Mad Dog Vachon

Barbwire, qui comme son nom l’indique sème la terreur en trimballant un bâton de baseball recouvert de barbelés, dévale la rampe sur laquelle font leur entrée les lutteurs puis entreprend aussitôt d’inventorier le dessous du ring, qui recèle plus de panneaux de circulation qu’un entrepôt de la SAAQ. Le jeune homme au regard menaçant catapulte le fruit de sa chasse aux trésors par-dessus le troisième câble avec toute la nonchalance du monde, avant qu’une version rock de La ziguezon ne retentisse, annonçant la venue du Patriote Séguin, une caricature d’indépendantiste à chemise carreautée, le favori de la foule. Les deux durs à cuire doivent s’affronter dans un Sherbrooke Street Fight sans merci (comprendre: un match extrême où tous les coups sont permis): c’est le grand moment de la soirée. «Je me demande à quel point ça va être violent», me lance l’ami Lewis, fan de lutte devant l’Éternel (comme l’auteur de ces lignes; on a tous nos squelettes dans le placard, OK?), interrogation à laquelle les saltimbanques répondront très catégoriquement en se rouant de coups de chaise (le Patriote ira même jusqu’à balancer une boule de quille dans les bijoux de famille de Barbwire qui, d’après sa réaction, n’étaient pas protégés par un slip-coquille).

Bienvenue, mesdames et messieurs, au gala L’Apogée, point culminant de toutes les rivalités faisant rage depuis des mois au sein de la ALE (Académie de lutte estrienne), qui rameutait plus ou moins 350 spectateurs au Centre Julien-Ducharme de Fleurimont samedi dernier. Oui, la lutte, cet art de la démesure, du faciès simiesque et de la violence chorégraphiée, inspire toujours à de jeunes hommes et femmes ce genre de témérité physique qui dans d’autres contextes leur mériterait un aller simple vers la psychiatrie, camisole de force incluse.

«Ils répètent et s’entraînent tous au moins une fois par semaine, sinon plus, et déboursent de leur poche pour louer le local», me raconte Carl Champagne, ex-annonceur de la SCW (Sherbrooke Championship Wrestling, ancêtre de la ALE) au sujet de ces authentiques athlètes qui ont visiblement tous été biberonnés par Bret Hart, Shawn Michaels et Steve Austin, ex-stars de la WWE dont les ambitions impérialistes ont, paradoxalement, marginalisé la lutte locale en Amérique du Nord depuis les années 1980. «Les fédérations indépendantes de Montréal peinent à attirer autant de gens», m’apprend, impressionné, Pat Laprade, présent sur place pour faire la promotion de Mad Dogs, Midgets and Screw Jobs, la très instructive histoire de la lutte dans la métropole qu’il a coécrite.

Je traverse le gymnase pour jaser avec ceux qui ont tout l’air d’être les parents du Patriote Séguin – une dame d’un âge respectable agite un fleurdelisé avec l’intensité de celle qui cherche à endiguer la nervosité. Je serre la paluche d’ours de Claude, le père de notre Papineau du matelas. «Disons que ma femme est pas mal sur le nerf. C’est la première fois qu’on voit François [le prénom du Patriote] se battre dans un match extrême. On ne manque aucun de ses combats. La seule fois qu’on n’a pas été là, il s’est blessé.»

Sur le ring, Barbwire vient tout juste d’enfoncer dans une table le Patriote, qui se relèvera sans blessure, au grand soulagement de ses parents (et du journaliste). Les acrobates des 7 doigts de la main devront cet été, à la place Nikitotek, faire des pieds et des mains pour m’épater autant que mon nouveau héros.

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