Le gars de son a des stretchs dans les oreilles et un t-shirt «Jésus est l’espoir» sur le dos. Bienvenue au Carrefour chrétien de l’Estrie, église d’obédience protestante sise rue Montréal, ze quartier du bon voisinage interconfessionnel à Sherbrooke (hey, toi, conflit israélo-palestinien, tu aurais intérêt à t’inspirer de la rue Montréal où les amis du p’tit gars de Nazareth coudoient les disciples d’Eckankar sans effusion de sang ni mur de séparation). Le groupe d’indie pop-rock chrétien de Québec The Hearing lance en ce samedi soir son premier EP et une bonne centaine de jeunes (et quelques moins jeunes) membres de la communauté grignotent des chips et sirotent des boissons gazeuses en attendant que le spectacle débute.
Je m’accoude au bar (sans alcool) pour commander un espresso et jase avec Jean-René Bibeau, pasteur jeunesse tout sourire sapé comme une pub de la boutique Amnesia. L’actuel chanteur et guitariste du R3volution Band (le groupe maison du Carrefour, du rock planant) me raconte avoir déjà été membre d’une formation de ska chrétien, Étrangers, dont il me refile généreusement le CD. «On a déjà partagé l’affiche avec les Planet Smashers, qui ne sont pas très religieux [leur plus gros hit s’intitule Super Orgy Porno Party]. On mettait parfois des bibles sur notre table de merch, ça créait des réactions intéressantes», me raconte-t-il comme pour m’assurer de son ouverture d’esprit.
Après la première partie de Philippe Garceau, leader du groupe folk The Bright Road qui se dissocie de l’étiquette pop chrétienne, bien instruit de ce que la foi charrie de préjugés au Québec, The Hearing plaque ses premiers accords en hommage à Lui. La bassiste arbore une courroie frappée d’une croix et murmure presque toutes les paroles en posant les yeux au ciel. Ces musiciens-là sourient, c’est presque effrayant (The Hearing est au sourire béat ce que Joy Division était à la moue impavide). «I trust and I’m not afraid», chante à un certain moment la toute petite batteuse et je crains un instant qu’elle ne s’effondre en larmes tant son regard s’embue d’une intensité mystique qui m’est complètement étrangère.
«Implorez Dieu de vous montrer l’amour qu’il a pour vous, c’est incroyable», suggère entre deux tounes le guitariste Tom Fournier à qui je demande, pendant notre jasette post-concert, s’il s’autorise à écouter du vrai rock pas chrétien pantoute. «Oui, bien sûr.» Que penses-tu de Guns N’ Roses, ces princes de la débauche, mettons? «Ce sont de bons musiciens, mais leur message est négatif et je ne pense pas que c’est bon d’écouter autant d’idées négatives.»
Plus à l’aise que Garceau avec l’étiquette «Christian rock», Tom m’assure qu’il ne veut pas imposer sa foi à ceux qui assistent aux spectacles de son groupe. «Sauf que Dieu prend une telle place dans nos vies qu’on ne peut pas ne pas en parler dans notre musique.» Je lui fais remarquer qu’il y a quelque chose de vertigineusement paradoxal dans cette usurpation au profit de Jésus d’une musique inventée par quelques jeunes hommes qui brûlaient de savoir ce qui se tramait sous les jupes des filles. «Je sais que c’est dérangeant d’entendre un gars dans la vingtaine dire qu’il a attendu après le mariage pour avoir des relations sexuelles avec sa femme, mais je n’ai pas peur de déranger», réplique-t-il avec le plus avenant des sourires. Il faut donner ça aux chrétiens, ils sont gentils.
«Tu devrais venir demain matin, mon groupe joue à 9h30», me lance le pasteur jeunesse avant que je quitte pour un bar du centre-ville. Désolé, Jean-René, mais j’aurai une soirée de péchés dont me remettre demain matin.