Du haut de la King

Wagner pas amer

Je conçois que cela puisse être difficile à croire, mais je vous l’assure: les journalistes culturels ont eux aussi un cœur. J’irais même jusqu’à avouer, si vous insistez pour que je révèle un secret du métier, que ces pauvres et blafards scribouillards se prennent parfois d’affection pour un de leurs interviewés. C’est arrivé à l’auteur de ces lignes pas plus tard que l’an dernier alors qu’il rencontrait Guillaume Wagner en prévision de l’été que l’humoriste s’apprêtait à passer au Vieux Clocher de Magog pour roder son premier one-man show, Cinglant. Foudroyé par un sérieux man crush (ne lancez surtout pas de potins, nos mains sont demeurées sous la table tout au long de notre discussion et aucun fluide n’a été échangé), j’avais longuement jasé avec Monsieur Mordant – goûtez bien l’ironie – de la frontière à ne pas dépasser en humour (une entrevue qui avait abouti en une de ce journal sous le titre «Le misanthrope humaniste»).

Si bien que je me suis fait une sorte de sang d’encre quelques mois plus tard quand la presse s’avisa de prendre en grippe mon nouvel ami, sautant comme des chiens faméliques sur le simple prétexte qu’il avait eu le mauvais goût de souligner, dans une des vannes les plus vaches de ce spectacle, qu’une certaine hurleuse chouchou des auditeurs-trices de Rouge FM n’avait pas exactement le sex-appeal de Scarlett Johansson (je paraphrase). À l’aube de son retour au Vieux Clocher de Magog, j’ai pris des nouvelles de ce vieux chum que j’avais négligé.

Alors, Guillaume, que je lui demande, as-tu sombré dans l’alcool? Te sens-tu, à l’instar d’un de tes humoristes préférés, le défunt Bill Hicks, lentement aspiré par le trou noir de l’amertume? «J’espère que je ne vais pas développer un cancer comme Bill Hicks», blague-t-il d’abord avant de me rassurer pour vrai. «Je suis le genre d’humoriste qui carbure aux trucs négatifs. J’ai pas mal écrit dans les mois suivants la controverse. Ce sera l’angle de mon deuxième spectacle: mesurer les limites de ce qu’on peut dire et de ce qu’on ne peut pas dire.»

Je rappelle à la petite peste au sourire narquois qu’il m’avait confié l’an dernier avoir été mis en garde par son metteur en scène Jean-François Mercier contre la réaction de Martin Matte, victime d’une ligne particulièrement acerbe au sujet des artistes qui compromettent leur crédibilité par le jeu de la publicité (encore une fois, je paraphrase), un camouflet qui n’a causé aucun remous sur la rivière de notre écosystème médiatique. Es-tu étonné Guillaume que la tempête soit arrivée de là où tu ne l’attendais pas? «Honnêtement oui, parce que c’était assez clair il me semble que c’était une niaiserie [la ligne sur Marie-Élaine Thibert]. Ce n’était même pas une vraie joke, c’était une fausse joke grasse gratuite qui d’ailleurs n’avait fait capoter personne l’été dernier à Magog avant que certains médias la rapportent après ma première montréalaise.»

Bien qu’il revendique aujourd’hui le droit de donner dans la vulgarité quand ça lui chante, Wagner aura préféré expurger de son spectacle le passage litigieux, parce qu’une blague aussi éventée a autant de goût qu’un Pepsi flat et parce que la réaction de la chanteuse mettait profondément mal à l’aise le bon gars qu’il est au fin fond, malgré ce personnage de scène de baveux blindé au cynisme. Ça tombe bien: je n’ai d’amis que des bons gars.

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Guillaume Wagner présente Cinglant au Vieux Clocher de Magog les 21, 22, 28, 29 juin, 30 juillet, 1er, 6, 7 et 8 août à 20h30.