Veston un peu trop grand et casque de vélo vissé sur la tête, Antoni Daigle entre dans le Tapageur où nous nous sommes donné rendez-vous. T’es ben clean cut, que je lui lance quand il finit par retirer, une fois attablé devant moi, le couvre-chef qui jure avec son nouveau look d’homme cherchant à montrer qu’il est capable de porter sur ses épaules d’éminentes responsabilités. Qu’est-ce qui se passe avec toi? «Je n’ai plus le choix d’aller au moins une fois par semaine chez ma coiffeuse, Marie Toutcourt [rue McManamy]. C’est la personne la plus influente de mon district», blague-t-il.
District, oui, vous avez bien lu. District comme dans «conseiller municipal». Antoni Daigle, 29 ans, adjoint aux communications et partenariats au Conseil régional de l’environnement de l’Estrie, l’a annoncé la semaine dernière: il sollicitera les suffrages (comme le veut la formule consacrée) le 3 novembre prochain comme candidat indépendant dans le district de la Croix-Lumineuse à Sherbrooke. Il avait beau me l’avoir déjà soufflé à l’oreille après le concert de Groenland à la Petite Boîte Noire il y a quelques mois (je connais vaguement Daigle, qui est l’ami d’un ami d’un ami), je n’en croyais pas mes yeux encore encollés en dépliant ma Tribune mercredi matin. Antoni, mais qu’est-ce qu’un gars de grands idéaux, qui a conduit à titre d’attaché politique la plus récente campagne électorale du candidat solidaire Christian Bibeau, veut bien aller foutre sur le plancher des vaches à négocier avec les problèmes triviaux du banal quotidien d’un district? Ce n’est pas comme conseiller municipal que tu vas changer le monde mon chum, tu le sais?
«Je ne suis pas d’accord», qu’il me répond sans broncher et sans que ne s’efface de son visage cette banane qui désamorce (presque) mon cynisme. «Prends le dossier du Provigo au coin McManamy et Belvédère qui doit fermer [au grand dam de plusieurs citoyens se désolant de la défection de tous les commerces de proximité dans le quartier]. Les élus actuels disent qu’on ne peut pas faire grand-chose. Pourtant, on a été capables quand on a ouvert le Times de donner un congé de taxes pour favoriser l’implantation d’un complexe hôtelier. Pourquoi on ne serait pas capables de penser à des solutions du genre afin que l’épicerie ne déménage pas?»
Pour Daigle, vous aurez compris, la frontière entre les grands et les petits enjeux n’est qu’une vue de l’esprit et c’est en tant que jeune qu’il veut parler autant de poules en milieu urbain que du plan de mobilité durable au conseil de ville. «La moyenne d’âge est d’à peu près 57 ans. Ce n’est pas mal en soi, mais les décisions qui se prennent en termes de culture, de voirie ou de transport reflètent forcément les préoccupations de gens de 57 ans.»
Quand il m’a annoncé sa décision de se mettre la tête sur le billot municipal il y a quelques mois à la Petite Boîte Noire, je me souviens avoir demandé à Daigle s’il le faisait comme Québec Solidaire au provincial, en concédant que c’est perdu d’avance, ou pour vrai, avec tout ce qu’une véritable campagne suppose de porte-à-porte, de party de cour arrière et de ronds de sueurs sous les aisselles (l’été va bien finir par arriver). «Je le fais pour vrai mon gars», qu’il m’avait répondu, son goulot de bière pointé vers moi. «Je veux au moins une fois dans ma vie m’essayer pour vrai en politique.»
En sortant du Tapageur, Antoni a enfourché sa bécane puis a grimpé la côte King afin de regagner son district. Paraît que ses chances ne sont pas mauvaises.
Vous savez, vous, s’ils ont des racks à vélo à l’hôtel de ville?