«Dead Kennedys ont été hébergés là, D.O.A. aussi, Black Flag, GBH, Suicidal Tendencies… J’invitais à peu près tous les groupes [hardcore punk] qui passaient par Montréal à dormir là», raconte Mike Price, chanteur du groupe hardcore montréalais Genetic Control, dont la musique fait l’objet d’une réédition chez Return to Analog Records.
Bleury Beach Club
C’était entre 1983 et 1985. Deux années fastes pour la musique punk locale. Ce lieu où tous ces groupes légendaires ont été hébergés était baptisé le BBC (Bleury Beach Club). C’était une maison que Mike louait sur Bleury, près du coin Président-Kennedy.
Ce «punk house», c’était le cœur de la scène hardcore montréalaise des années 1980. Ils étaient plusieurs membres de groupes locaux hardcore à y habiter. Et chacun des groupes y avait son espace de pratique. «Ça coûtait 400$ par mois, au total. Avec tout le monde qui y habitait et qui y pratiquait, ça revenait à 8 ou 10$ par mois par personne. Et y en a qui arrivaient à pas me payer! Des gens me doivent encore de l’argent aujourd’hui», lance Price en riant.
You are the scene!
Parmi les groupes qui faisaient partie de la scène du BBC, on compte Unruled, No Policy et Fair Warning, notamment. Et bien sûr, Genetic Control. Mike Price était un peu l’aimant qui retenait ensemble tous les morceaux qui rendaient fonctionnelle cette petite scène déglinguée. Non seulement avait-il mis son nom sur le bail de cette maison, mais il était également le principal promoteur de spectacles hardcore à Montréal.
Le noyau de ce microcosme était constitué d’une centaine de personnes, pas plus, calcule Price. Bien sûr, beaucoup plus de gens gravitaient autour. De sorte que, lorsque le jeune homme produisait, par exemple, un spectacle des Ramones au Spectrum avec The Nils en première partie, la mythique salle de spectacles de la rue Sainte-Catherine était pleine à craquer.
Quand les noms sur l’affiche étaient moins prestigieux et plus locaux, les spectacles se déroulaient dans une salle plus petite, au club Le Visage, angle Saint-Laurent et Rachel, que Mike avait rebaptisé «Club Hardcore». «Dès qu’un band local jouait, les membres des autres groupes de la scène devenaient l’auditoire», dit-il.
À lire aussi : Jérémie McEwen – Fanny Britt est un trésor national
«Break a leg»
Et quand ce n’était pas des spectacles qu’il organisait, c’était des partys au BBC au cours desquels chaque groupe jouait dans son espace, les fêtards pouvant assister à plusieurs spectacles informels en passant d’une chambre à l’autre. C’est d’ailleurs dans ce contexte que Mike Price s’est cassé une jambe.
«Pendant le spectacle, je suis descendu dans le mosh pit. J’ai foncé dans le bassiste de Northern Vultures. C’était un énorme gars. Je ne faisais pas attention. C’est comme si j’étais entré directement en collision avec un mur de brique. Lui n’a probablement rien senti. Je suis retourné sur scène et j’ai terminé le spectacle. Une fois la prestation terminée, ma jambe était tout enflée. Des gars m’ont aidé à marcher jusqu’à l’hôpital. Là-bas, ils ont dit qu’ils devaient m’opérer le soir même. Ils m’ont mis une plaque de métal dans la jambe!»
Genetic Control s’apprêtait à donner une série de spectacles plus officiels, ses premières vraies sorties. Mike les a faits avec une jambe dans le plâtre. En anglais, en guise de bonne chance, ils disent «break a leg». Price l’a vécu au premier degré.
Ça fait beaucoup de points punk, ça.
Un autre état d’esprit
Ce qui ajoute beaucoup d’autres points punk, c’est le fait que tout ce qui entourait les activités de la scène hardcore montréalaise était réalisé de façon farouchement indépendante, à la manière DIY (do it yourself) propre au mouvement punk hardcore du début des années 1980. Sur la côte ouest-américaine, il y avait Black Flag qui faisait ça. Sur la côte est, Minor Threat. Sur la côte ouest-canadienne, D.O.A. étaient les porte-étendard de cette éthique de production. Et à Montréal, Mike Price de Genetic Control était au centre du foisonnement.
De sorte qu’il s’est notamment retrouvé dans l’important documentaire Another State of Mind (1984) qui relate une tournée de Social Distortion et Youth Brigade qui s’arrête à Montréal. Le spectacle montréalais de cette tournée, c’est lui qui l’a organisé. Il fait aussi partie de cette bande de punks – Mike Ness compris – qui, à l’invitation de la police appelée sur place, se fait mettre dehors d’un pool room où ils étaient allés manger après le spectacle.
First Impressions
Quand est venu le temps d’enregistrer quelques chansons pour son groupe, tout a été fait de manière tout aussi DIY. Quatre chansons se sont retrouvées sur un EP vinyle sept pouces intitulé First Impressions. Mike et sa gang en ont fait imprimer 500 exemplaires qu’ils ont distribués dans leurs spectacles et dans quelques boutiques du coin. Ils ne sont jamais sortis du Canada. Ils ont joué des dizaines de fois à Montréal, quelques fois à Toronto et une fois à Ottawa.
Pourtant, First Impressions est maintenant un objet de convoitise de portée internationale. Sur Discogs, un exemplaire original a trouvé preneur pour la coquette somme de 1179 dollars canadiens en 2015. Les prix continuent d’avoisiner les 1000 tomates. L’avide appétit des collectionneurs de hardcore d’un peu partout sur le globe a fait de ce sept pouces un objet de collection hautement prisé dans le milieu. «C’est flatteur, mais bizarre en même temps. Jamais on aurait pensé que ça virerait comme ça!», s’étonne encore Mike Price.
À lire aussi : Maude Landry – Vision nocturne – partie 3 (finale)
Sitôt réédité, sitôt réimprimé
Compte tenu de ce buzz, c’est peu surprenant que les 500 exemplaires de la toute première réédition vinyle officielle de First Impressions se soient envolés en précommande, avant même que la galette ne soit arrivée sur les tablettes des marchands. Ce succès a donné peu d’options à la maison de disques montréalaise Return to Analog : une nouvelle édition de 500 exemplaires sur vinyle transparent et marbré est en route. Un coffret de 125 exemplaires comprenant un vinyle coloré et des tonnes de goodies – dont des copies d’affiches de spectacles, des macarons, des patches et des autocollants – est aussi en préparation.
Mike réfléchit également à l’idée de lancer un album de 19 chansons enregistré à l’époque, mais qui n’a jamais vu le jour. De nouveaux spectacles pourraient aussi s’aligner pour les cinq membres originaux de Gen Con.
Force est de constater que Genetic Control et la scène hardcore montréalaise des années 1980 génèrent encore beaucoup d’intérêt. Parmi cette centaine de punks qui orbitaient autour de Price, l’un d’eux se démarque de l’histoire. Une poule. C’était l’animal de compagnie de Mike pendant un bon bout de temps au BBC. Il a nommé ce poulet Elvis. Et c’est cet animal qui a ensuite donné à Mike Price son nom de scène : Polio Elvis.