J’ai adopté le chien de mon grand-père après son décès doux et serein, à 101 ans. L’animal s’appelle Chanel et elle a 7 ans. C’est une belle madame affectueuse qui pue de la bouche mais qui me fait beaucoup rire. J’aime vraiment parler d’elle, c’est ma meilleure amie, elle m’aime tellement… Je dirais même un peu trop. Quand je suis absente, je lui manque tellement qu’elle prend mes chaussettes sales dans sa gueule et les renifle pour mieux se souvenir de mon odeur. Ça dépasse peut-être les limites de l’obsession, mais aucun homme dans ma vie n’a fait ça pour moi avant.
En raison de son poil court et de sa morphologie de «chien costaud avec la face écrasée» (les molossoïdes), Chanel correspond à ce qu’on appelle les «chiens de type pitbull». Sauf que ce n’est pas un pitbull, c’est un boxer.
Je me surprends toujours à être insultée sur le coup quand on confond mon chien avec un pitbull. Pourtant, c’est bien normal de se tromper, personne n’est tenu de s’y connaître en races de chiens.
Mon malaise est sûrement lié à la connotation négative qui plane sur cette race depuis quelques années. Pourtant, moi je n’ai rien contre les pitbulls, je les défends! Je crie au mensonge en lisant la documentation douteuse dans les médias sur les attaques de chiens. Le bouche-à-oreille et la désinformation ont donné mauvaise réputation aux «chiens de type pitbull».
Mais ça n’insulte que moi, pendant une seconde. Chanel, ça ne l’insulte pas du tout. Elle ne s’identifie à rien, en fait. Je ne sais même pas si elle est consciente d’être un chien. S’il y a une seule chose qui l’insulte, c’est quand je lui mets un chapeau et que j’essaie de la prendre en photo. Je la comprends. À en voir les photos, c’est effectivement humiliant.
Je fais attention quand j’accompagne ma bête pour une promenade, car Chanel fait peur à des gens du quartier que nous croisons, certains vont même jusqu’à changer de trottoir. Tandis que d’autres tombent sous son charme et se ruent vers elle avec enthousiasme pour la flatter. On ne sait jamais à quoi s’attendre alors je ne prends pas de chance.
Quoi qu’il en soit, Chanel ne veut de mal à personne. Tout ce qu’elle veut, en permanence, c’est être un chien. Jouer, manger, et se faire flatter en loop jusqu’à la fin de sa vie.
J’en viens à penser que si Chanel pouvait comprendre, peut-être se sentirait-elle victime de racisme de la part de ceux qui la jugent sans la connaître en se basant sur des idées préconçues qu’ils ont des chiens.
Il m’arrive de me demander ce que ça ressent, une personne raciste. De la peur? La menace de l’étranger, comme la crainte de se faire attaquer par un chien qu’on ne connaît pas? On jase, là.
La meilleure façon de surmonter la peur des chiens ou de se remettre d’un traumatisme lié à l’animal, c’est de s’en faire présenter un d’agréable, une Chanel, pour constater qu’il y en des bons.
Pardonnez-moi cette comparaison précipitée entre l’humain et la gent canine, mais j’aime penser qu’on pourrait essayer le même procédé avec les gens racistes du Québec et leur organiser une rencontre avec un étranger. Par exemple, proposer à un ami (c’est relatif) raciste d’aller prendre un café avec l’ami racisé d’un ami. Établir un lien de confiance pour que l’inconnu devienne moins terrifiant. Ça pourrait finir en éveil de conscience, voire en amitié.
Je m’adresse aux non-racistes de la province, aux gens comme moi qui en sont revenus qu’il y a des humains de différentes couleurs, qui ne se racontent pas les mêmes histoires et ne chantent pas les mêmes chansons. Que pouvons-nous faire, sinon de s’insurger contre une montée de haine à leur égard? Je déteste profondément les racistes et l’envie me prend de les confronter. Mais je me dis que ce n’est peut-être pas dans la même violence, en étant racistes envers les racistes, qu’on les fera changer d’idée.
En tant que personne favorisée de naissance par le fait d’être caucasienne, je ne peux qu’essayer de m’imaginer le sentiment d’être victime de racisme. Mais je ne pourrai jamais vraiment le comprendre. Je m’adresse aux privileged whites comme moi qui sont frustrés par l’injustice qu’est le racisme et qui croisent à contrecœur des personnes racistes sur leur chemin au quotidien. La solution n’est peut-être pas de changer de trottoir.
Je propose une approche alternative pour la paix. Prendre un raciste par la main.
Voici une photo de Chanel qui n’est pas une terroriste.