Je me souviens quand j’étais plus jeune, on allait voir les feux d’artifice en famille. Mon père traînait les chaises pliantes, ma mère la glacière pleine de boissons trop sucrées, pendant que mes frères et moi nous chicanions pour le gros Gameboy gris.
Je m’émerveillais devant les feux qui m’éclairaient le visage, marquant le début de ma phase pyromane.
Le spectacle était toujours accompagné de musique. Je me souviens d’une année où on a eu droit à un hommage aux BB. Les feux d’artifice pétaient en symbiose avec les chansons, comme une chorégraphie de lumières.
«Tu ne sauras jamaiiiiiis (petits feux pas très hauts, comme des feux de Bengale) comme je t’aiiiiiime (les mêmes feux, mais plus lentement, qui se croisent) Tu ne sauras jamaiiiiiis (encore les petits feux, mais bleus) POURQUOI (une grosse boule qu’on n’avait pas vue venir éclatant haut dans le ciel) je souriiiiis quand tu ris (les étincelles tombent) Quand je vois briller tes yeux griiiiiis Ohhh! (un à gauche) Ohh! (un au milieu) OOOH! (un à droite) OH!! (les trois en même temps) POURQUOI (encore la grosse boule)» et ainsi de suite.
En tout cas, il fallait être là.
Après, on applaudissait les gens responsables de ce divertissement même s’ils ne pouvaient pas nous entendre et on rentrait à la maison.
Sur le chemin du retour, la conversation post-féérie d’étincelles battait son plein dans la voiture. On peinait à trouver les mots pour décrire les moments qu’on avait préférés.
Ma mère disait: «Ah, c’tait ASSEZ BEAU, t’sais là, quand ç’a faite comme trois p’tits palmiers mauves!»
«Ouais, c’tait trop malade!» de répondre mon frère, la face dans le Gameboy.
Des moments créés en famille qu’on n’oubliera jamais.
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Je ne me doutais pas, il y a 20 ans, qu’aujourd’hui j’aurais des sentiments amers face aux feux d’artifice. Je ne trippe plus. Peut-être parce que j’habite à un endroit où je peux les entendre de tout près sans les voir. Des sons terrifiants, l’impression d’être en pleine guerre, moins les cris.
Je m’imagine mal expliquer à quelqu’un qui vit quotidiennement des bombardements dans son pays ce que c’est, des feux d’artifice. «On regarde exploser des produits chimiques, parce que c’est beau. Un peu comme vous, mais nous c’est dans l’air, pas sur les maisons, pis on a du fun, personne crève. Ça nous coûte cher, mais maudit que c’est beau.»
Tu sais que ça va bien financièrement quand chaque week-end, tu pètes des milliers de dollars par minute dans les airs, juste parce que. Et des milliers de gens se ramassent en tapon dans le trafic pour ne pas manquer ça. Contempler la pollution en célébrant le capitalisme. Mais n’oubliez pas de recycler votre cannette de coke en sortant.
Est-ce que c’est SI beau que ça, une demi-heure de couleurs, au point de ne plus pouvoir s’en passer? Est-ce si magique que ça vaut la peine d’ajouter des couches à toutes les empreintes de carbone qu’on continue d’envoyer dans l’atmosphère?
On joue à la loterie avec l’environnement et c’est la loto qui paye.
Les feux d’artifice, c’est à couper le souffle, littéralement. C’est peut-être à cause du CO2 qui nous monte à la tête qu’on reste autant dans le déni. Ou bien on a lâché prise parce qu’il est déjà trop tard.
De toute façon, on a beau planter des arbres, paraîtrait que les plantes ne survivraient probablement pas au réchauffement climatique. Que faire, sinon de faire pousser des arbres à l’air climatisé?
Ça commence déjà à péter de partout, on n’a pas besoin de plus de pétards que ça. À la vitesse où ça va, bientôt on n’aura plus rien d’autre à célébrer que notre maudite écoanxiété.
Je fais mon coming-out d’individu contre les feux d’artifice. J’en reviens. Je suis capable de dealer avec le fait de ne plus en voir. Si jamais je m’en ennuie, j’irais voir des vidéos de feux d’artifice que j’aurai filmés sur mon téléphone, en espérant qu’il ne soit pas vraiment trop tard.
À voir comment on la traite, la planète ne saura jamais comme on l’aime. (insérez ici refrain des BB)