N’en déplaise à tous ceux qui sont tannés d’en entendre parler, je ne peux faire autrement que de m’intéresser aux plus récents développements dans le débat sur la laïcité au Québec, et plus précisément au projet de loi 21. Ce n’est quand même pas tous les jours – et même pas tous les quatre ans – qu’on a l’occasion de décider collectivement d’une loi durable sur un enjeu de cette ampleur.
Surtout qu’on a eu droit les 10 et 11 avril derniers à un combat de poids lourds intellectuels étalé sur deux émissions du 24/60 À RDI entre le sociologue et historien Gérard Bouchard – coprésident de la commission Bouchard-Taylor qui a accouché de ce qu’on a plus tard appelé le «compromis Bouchard-Taylor» – et l’avocate et ex-bâtonnière de Montréal Julie Latour – en faveur du projet de loi de la CAQ.
Je ne m’en cacherai pas: je ne suis pas neutre en la matière, et j’espérais voir le camp pro-laïcité en sortir gagnant. Mais je m’attendais au moins à un match serré et, qui sait, à voir l’esquisse d’amendements constructifs au projet actuel. Ce ne fut même pas le cas. Et j’ai eu la nette impression que le mois dernier, dans la souque à la corde idéologique qui se joue au Québec depuis plus de 10 ans, le camp pro-laïcité venait de gagner plus de terrain que durant ces 10 dernières années.
Premier à répondre aux questions d’une Anne-Marie Dussault qui faisait son travail bien qu’elle donnait l’impression d’être pas mal plus réceptive aux arguments des «contre», Gérard Bouchard s’est non seulement planté, mais il nous a fait réaliser que, dès le départ, la composition du tandem Bouchard-Taylor par le Parti libéral ne pouvait avoir comme objectif que d’en donner le moins possible aux pro-laïcité.
En plus d’arguments mous et essentiellement de nature émotive (il me semble qu’au Québec, on n’est pas une société comme ça…), il y est allé d’une déclaration étonnante. À Anne-Marie Dussault qui lui faisait remarquer qu’au Québec, les religieux qui enseignaient autrefois en portant les signes de leur appartenance à la hiérarchie catholique (collets romains et cornettes de sœur) avaient accepté de les abandonner sans rechigner au tournant de la Révolution tranquille, Bouchard a répondu que ces religieux avaient opéré ce changement de façon volontaire, et que s’ils avaient décidé de les garder, «on aurait pu continuer avec ça sans difficulté».
Autrement dit, un des hommes mandatés pour proposer une nouvelle loi moderne pour encadrer le port de signes religieux dans l’espace public regrette l’époque d’avant la Révolution tranquille, ou du moins, ne voit pas dans ce premier tournant vers la laïcité un élément essentiel du Québec moderne. Drôle de choix, mettons…
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Puis, vint le tour de Me Latour, qui a été fan-tas-tique! Avec un discours étoffé de nombreuses références à d’autres décisions juridiques établissant le bien-fondé de la loi, de manière posée mais résolue, non seulement elle a su répondre à toutes les questions d’Anne-Marie Dussault sans jamais prêter flanc au moindre soupçon d’intolérance, mais elle a eu en plus la présence d’esprit de ne pas la laisser clore cet entretien par l’affirmation que ce projet de loi «enflammait les passions», pour préciser qu’il nous faisait surtout avancer comme société.
Relancée sur le fait qu’on pouvait au moins parler de «paix sociale perturbée», elle a conclu en disant que c’est comme les autres grands débats, sur la peine de mort ou l’avortement, mais que c’était là «le débat d’une société pluraliste qui veut avancer». Elle a ainsi réussi à imposer ce mot de la fin beaucoup plus positif. À ce moment-là, c’était l’équivalent d’un but dans un filet désert pour confirmer la victoire…
Bien sûr, le projet de loi divise encore. Mais on sent de plus en plus que le momentum a changé de côté. Frustré de voir son chantage émotif ne plus avoir de portée, le camp anti-laïcité fait preuve d’indiscipline. Il y a eu le maire Steinberg de Hampstead avec ses propos (in english only…) sur le «nettoyage ethnique» et les réprimandes qui ont suivi venant même d’élus contre la loi. Il y a eu la manif anti-laïcité dominée par Adil Charkaoui et des fillettes voilées. Et il y a maintenant des sondages qui prouvent que même au sein de la «diversité», la laïcité récolte une grosse part d’appuis, brisant le mythe qu’il s’agit là d’un prétexte utilisé par des identitaires frileux pour faire dans la discrimination.
Et du coup, ceux que les «multiculturalistes» essayaient depuis toujours de faire passer pour des radicaux ressortent comme étant de loin les plus raisonnables. Et plusieurs semblent réaliser que finalement, le vrai radicalisme sur cette question, on baignait déjà dedans. Mais c’était celui du multiculturalisme le plus ghettoïsant, tel qu’imposé en douce par les libéraux.
Sur cette erre d’aller, on se met même à reculer dans le temps et à réagir enfin à d’injustes accusations de racisme envers les Québécois face auxquelles on avait collectivement fait le dos rond en espérant que ça passe. Un documentaire se penchant sur les dérapages induits par ces vagues d’indignation typiques des médias sociaux ramène cette histoire de jeunes étudiants noirs pris en photo alors qu’on les avait mobilisés pour pousser un char de la Saint-Jean-Baptiste – une image relayée hors contexte pour créer de toutes pièces un scandale et qui a profondément troublé ces jeunes. Il y a aussi le documentaire Lepage au Soleil, qui nous fait voir toute l’hypocrisie qu’il fallait pour mener à la censure de la pièce Kanata.
Qui sait, on en viendra peut-être même un jour à ce que l’Assemblée nationale s’excuse enfin pour l’affaire Yves Michaud – j’y reviendrai sûrement dans un prochain numéro.
Mais pour reprendre l’image de la souque à la corde, depuis l’arrivée au pouvoir de la CAQ, ce sont clairement les anti-loi 21 qui sont rendus dans la zone de bouette… Un petit conseil: c’est peut-être le temps de penser à lâcher prise avant de tomber en pleine face dedans…
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