À Jean Dion, avec amitié
Les Jeux olympiques sont donc terminés.
Pour la plupart de nos concitoyens, j’en fais le pari, ils se sont terminés de la plus belle des façons: par une victoire de 3 à 0 au hockey masculin, qui a valu au Canada la médaille d’or dans cette discipline tenue chez nous pour importante entre toutes.
J’ai commencé à regarder le hockey en 1972. En prime, j’ai donc eu droit à ce qu’on appellera la «Série du siècle», opposant nos meilleurs joueurs à ceux de l’URSS.
1972, c’était encore la guerre froide. L’URSS et les Soviétiques nous étaient largement inconnus. Les joueurs russes débarquèrent, différents, mystérieux, et ils déclarèrent aussitôt être venus pour apprendre.
Mes amis et moi – tout le monde en fait, ou presque –, on se disait: vous allez surtout apprendre à encaisser de sévères défaites. Car on en était certains: on allait les manger tout rond.
Le reste appartient bien entendu à l’histoire: Équipe Canada gagnera, mais ce sera de justesse.
Je sortis de cette expérience transformé. Je dirais que j’étais, quoiqu’encore quelque peu confusément, à la fois honteux d’avoir pris part à l’hystérie nationaliste et déçu de ne pas m’être lucidement admis ce que je pensais au fond en regardant les matchs: les Russes jouaient du vraiment beau hockey et ils auraient probablement dû l’emporter. J’avais eu tort de prendre pour «mon» équipe ou «mon» pays et j’aurais seulement dû souhaiter que ce soit le plus méritant, sur le plan sportif, qui l’emporte.
Si je n’ai guère de sympathie pour les hooligans et les autres fanatiques de tout poil, je n’ai par contre jamais non plus pu me reconnaître dans cette espèce de mépris définitif pour le sport et les amateurs de sport qu’on retrouve en certains milieux dits savants ou intellectuels.
Mais je pense aussi que les Jeux, tels qu’ils existent désormais, sont dans une importante mesure néfastes aux saines valeurs de la pratique du sport et de la contemplation des athlètes.
Coubertin, semble-t-il, voyait dans la pratique du sport, pour les participants, une sorte de «laboratoire moral», de lieu d’apprentissage et de développement de certaines vertus comme le courage, le respect de l’adversaire et bien d’autres encore, sur fond d’un honnête internationalisme. Ces valeurs restent-elles au cœur des Jeux? Le mercantilisme, le commercialisme, les intérêts politiques et le nationalisme exacerbé leur laissent-ils la moindre chance? On peut en débattre.
Mais le fait est aussi que les Jeux, tout comme les sports professionnels, sont aujourd’hui, grâce aux moyens de communication de masse, un fabuleux et gigantesque laboratoire moral… pour les spectateurs. Une réalité que bien entendu Coubertin ne pouvait aucunement prévoir. Et ce qu’on apprend dans ce laboratoire est certainement dans une large mesure attristant.
Pour l’avoir mille fois entendu, vous connaissez aussi bien que moi ce couplet qui nous rappelle les effets délétères de cette partisanerie sportive: détournement de l’attention des vrais enjeux politiques et économiques; entretien d’un nationalisme malsain et même toxique; perte de vue de la beauté du sport par fixation sur la seule victoire; et que sais-je encore.
Et pourtant, une fois tout cela dit, et qui est bien vrai, il me semble aussi que quelque chose d’important reste tu.
Ce quelque chose, qui existe aussi quoique moins immédiatement visible, qui existe derrière tout le reste, c’est l’importance de l’émulation que fait naître et nourrit la contemplation de ces modèles que le sport de haut niveau donne à observer.
Et je voudrais suggérer que pour les mettre en évidence, il faudrait aussi, outre la seule victoire, outre la seule haute et remarquable performance, chercher à exalter certaines de ces valeurs que met en évidence la pratique du sport.
Un exemple?
Au risque de vous étonner, j’ai déjà publié un livre sur le hockey (sur le hockey et la philosophie, en fait), livre que j’ai codirigé avec mon ami Christian Boissinot. Il s’intitule: La vraie dureté du mental. Eh bien, dans ce livre, je proposais – sans grand succès, je l’admets, mais dans l’esprit de ce que je viens d’avancer – que la LNH (et les Jeux olympiques) remette un prix (ou une médaille) au plus beau joueur, à celui ou celle qui incarne le mieux ces qualités esthétiques qui font le bonheur des spectateurs et qui justifient que l’on parle si couramment d’un beau but, de poésie sur glace, de grâce et ainsi de suite.
Et dans l’esprit de ce doux internationalisme de Coubertin, j’aurais voulu qu’on l’appelle le Prix Orr-Kharlamov, en l’honneur de ces deux joueurs remarquables de beauté, justement, que furent Bobby Orr et Valeri Kharlamov.
Kharlamov? Celui-là, c’est justement en 1972 que je l’ai vu jouer pour la première fois. Quel extraordinairement beau joueur!
Il m’a beaucoup aidé à me défaire de mon nationalisme à courte vue et à vraiment aimer le hockey…
Bonne idéel. Je vous dirais pourtant que la finale féminine l’a emportée en beauté, et en intensité sur la finale masculine ;-)
Vraiment pas. Désolé.
Je suis d’accord avec vous sur tout un tas de sujets. Pourtant sur celui-ci non. Coubertin, qui a certes remis les jeux au gout du jour était bien autre chose qu’un défenseur des valeurs humanistes (misogyne, raciste, nationaliste…). Certains parlent très bien de ce a quoi conduit le sport, même avec les meilleurs intentions possibles (voir JM Brohm, P.Parlebas, ou encore la conférence : http://uneautrehistoiredusport.over-blog.com/).
C’est pourquoi il me parait important de différencier l’activité physique du sport. Je pense aussi que la contemplation des modèles du sport a haut niveau est dangereuse : le sport a heut niveau reste un spectacle dont les coulisses sont sombres, cachées et peu reluisantes.
Votre très suspecte admiration pour Valeri Kharlamov et le peu d’enthousiasme dont vous faites montre au lendemain de cette brillante victoire contre les nations ennemies auront fini de me convaincre que vous êtes, Normand, au fond, un nostalgique fini de l’Union Soviétique. J’espère que vous ne réussirez pas à corrompre, soit-ce en tout amitié, mon compatriote Dion dont la vraie amour du sport transpire par tous les pores de sa fibre sherbrookoise d’origine. Non mais !?
La wikipedia nous apprend par ailleurs que «Le trophée Kharlamov (…) est remis au meilleur joueur russe de la LNH».
Richard, j’espère que c’est de l’ironie. Les gens de ma bande, les anarchistes, comme vous le savez sans doute, ont commencé à dénoncer l’URSS vers … 1917…
Ceci dit, et en présumant que c’est de l’ironie de votre part, il était vraiment superbe, Kharlamov. Et le match Canada-URSS était beau, pour ce que j’ai pu en voir: j’étais en ondes…
Normand,ne voulais-tu pas dire Canada-Suède ? Je crois que tu étais un peu jeune pour être en onde en 1972 pendant un match Canada-URSS!
@M. Rivard: non, non, c’ets bine Canada-URSS. Mon introduction au hockey, après une enfance africaine…
Normand, en effet, je sais que votre allégeance anarchiste vous éloigne en principe du communisme. Sauf qu’à défaut de constituer une équipe gagnante parce qu’avec pas de coach et peut-être même pas d’uniforme – où régnerait l’ordre, mais sans pouvoir -, je pense que vous rabattriez plus volontiers de ce côté-là de la force…
Ouf… subtile second degré. :)
« J’ai souvent eu à défendre ces idées, mais plus souvent encore à les expliquer, tant elles sont méconnues et mal comprises. Elles me semblent pourtant constituer un héritage précieux, digne d’être préservé et dont on devrait s’inspirer en l’actualisant. »
Normand Baillargeon
http://voir.ca/chroniques/prise-de-tete/2014/01/29/une-autre-vision-du-syndicalisme/
Il ne s’agit pas d’absence de pouvoir, seulement la justification en bonne et due forme d’une autorité qui vient diriger la vie des gens.
C’est pourtant très bien expliqué de base par nombre d’auteurs anarchistes, et abondamment par Chomsky.
Bonjour Simon,
j’espère que tout le monde aura compris que c’était de l’ironie. S’il faut encore – et je le crois aussi – combattre les préjugés à cet égard, ce ne sera pas avec moi. Si je voulais exprimer des réserves – et j’en ai ! – je ne le ferais pas de cette manière, qui serait injuste pour un héritage en effet si précieux.
Bonjour Richard,
Bien sûr, va pour l’ironie.
Mon intervention est liée à: « …vous éloigne en principe… » et « …mais sans pouvoir… », ça m’a peut-être « accroché » davantage qu’il le faut.
Ou serait-ce vos réserves qui transparaissent et que je décèle dans le choix des mots ? Cela m’arrive souvent, à tort ou à raison…
Est-ce qu’il nous viendrait à l’esprit de mettre en compétition la poésie afin de décerner un prix pour le plus beau poème ? Eh bien, probablement que ça s’en vient. Parce que nous en sommes à calquer sur les arts sur le modèle sportif. C’est ce que l’on fait dans ces émissions de tv qui mettent en compétition des chanteurs, des danseurs ou toutes autres formes artistiques. J’ai appris que dans certains milieux de garde, et même dans les écoles, on demande aux enfants de dessiner un pot de fleurs placé au milieu de la classe. Le gagnant du « plus beau dessin » est celui qui reproduit le plus fidèlement le pot de fleurs. Pourquoi en est-il ainsi ? C’est simple : pas besoin d’évaluer l’originalité, la personnalité, l’expressivité, le degré de transcendance, la pertinence du message, etc. toutes ces choses qui ne s’évaluent pas avec un chronomètre ou un galon à mesurer. Vous savez qu’il existe un mouvement de yoga (bikram) qui souhaiterait voir sa discipline inscrite aux olympiques. Ce mouvement est fortement critiqué, et avec raison. Parce qu’une posture de yoga ne s’évalue pas de l’extérieure, on peut en apprécier l’esthétique, certes, mais il est impossible d’évaluer le bien-être intérieur du pratiquant, le travail qu’il effectue sur son corps, son calme mental, son degré de transcendance, l’apaisement de son émotivité, etc., toutes ces choses qui sont la finalité de la pratique yogique.
Je pense que vous serez d’accord avec moi que d’attribuer un prix de beauté à la poésie serait la dénaturer profondément. Car l’activité poétique, si elle s’inscrit forcément dans un mouvement esthétique et culturel, ne vise absolument pas la beauté esthétique. Ce sont ceux qui n’y comprennent rien qui y cherchent de la beauté ou y trouve de la laideur.
Il n’y a aucune différence d’un point de vue extérieur entre un athlète qui monte au but pour scorer dans un esprit de compétition malsain (gagner de l’argent, recevoir les honneurs, l’admiration, l’élitisme, sentiment de supériorité), d’un autre qui le fait avec des valeurs plus louables. Tant que l’un et l’autre respectent le règlement, les deux seront perçus exactement de la même manière. Or, actuellement, tant les athlètes que les organisations n’ont qu’un seul objectif : gagner à tout prix. Malheureusement, gagner n’est pas une valeur, c’est un état de fait. C’est ce qui me fait dire que le sport, aujourd’hui, est sans valeurs. S’il en avait, les athlètes qui ne les incarnent pas seraient au golf plutôt que sur la patinoire.
Bonjour
Pourrais-je savoir pourquoi mon commentaire d’hier n’a pas été publié? il ne m’a pas semblé qu’il était « censurable » dans son contenu ni dans sa forme. Pourriez vous donc m’informer des raisons de cette non parution ? merci d’avance.
Cordialement
@ M. Carpentier.
Cela arrive régulièrement sur Voir, je crois que c’est uniquement technique. Il m’est arrivé de re publier un commentaire et que finalement celui ci apparaisse 2 fois…
Juste pour rappeler que je (Normand Baillargeon) ne contrôle rien de ce qui a trait aux commentaires — ce qui est publié, ne l’est pas, etc.
« l’importance de l’émulation que fait naître et nourrit la contemplation de ces modèles que le sport de haut niveau donne à observer. »
Je ne trouve pas qu’il y ai de modèles à contempler dans le sport tant les sportifs de haut niveau vivent dans une « bulle » à part. Il me parait meme dangereux, pour tout ce qu’ils représentent (sports, politique et capitalisme restent très proches). De plus les sacrifices corporels et affectifs nécessaires pour réussir à se distinguer dans le sport me semblent tels qu’ils devraient interdire toute pratique professionnelle du sport et limiter l’usage de l’activité physique au seul plaisir « gratuit » et faire redescendre le sport au même niveau que les arts du spectacle.