Pis? Sentez-vous le doux parfum de la paix sociale enfin revenue?
Parce que le Québec vivait le désordre. C’était le grand bordel et là, «enfin», un gouvernement a mis ses culottes et a ramené la paix sociale.
Le gouvernement caquiste l’a répété souvent, l’objectif de cette loi sur la laïcité est de ramener la paix sociale au Québec.
Vous me voyez sûrement venir, mais j’ai quelques doutes quant à cette promesse.
Mais, surtout, à quel désordre fait-il référence? Aux 36 cas de demandes de service-conseil d’accommodements religieux entre le 1er janvier 2018 et le 28 octobre 2018? Ou aux centaines (milliers) de débordements haineux et xénophobes en ligne, aux manifestations de groupes xénophobes comme La Meute ou Storm Alliance, aux dizaines de chroniques islamophobes, aux crachats que certaines femmes voilées ont reçus et aux menaces reçues par différentes mosquées au Québec – pour ne pas dire une attaque causant six morts?
Le plus grand trouble social quantifiable et identifiable, il vient de Québécois et de Québécoises qui se disent «de souche».
Doit-on comprendre qu’on peut créer une paix sociale en excluant des gens? Que la paix sociale passe en confortant des gens dans leurs peurs, leur racisme ou leur xénophobie?
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Qu’on se comprenne bien, il y a des éléments de cette loi qui peuvent se défendre sans tomber dans le racisme. Je ne pense pas non plus que toutes les personnes qui appuient cette loi sont racistes. Mais cette loi est née dans un climat raciste et son étrange urgence prend aussi racine dans un climat islamophobe.
Il faut répondre aux craintes qui préoccupent certains Québécois et Québécoises, certes, qu’elles soient fondées ou non, mais l’exclusion sociale ne peut pas être cette réponse.
Je viens d’écrire un livre de 250 pages où je cite je ne sais combien d’études universitaires pour expliquer à quel point l’ostracisation, la stigmatisation et l’exclusion sociale ne sont jamais une solution pour l’égalité, l’équité, la santé, l’épanouissement, aider les autres. Ça ne mène jamais à rien de bon, au contraire, l’exclusion sociale ne fait qu’empirer la situation. Ça brime des gens et ça coûte cher à la société.
Mais même pas besoin de se taper toutes ces études: c’est à la base de n’importe quel film pour enfants – que ce soit ceux de Disney, de Pixar ou de DreamWorks. N’importe quelle morale des fables de La Fontaine nous invite bien plus à la bienveillance et à l’inclusion sociale. Le Petit Prince, il fait quoi? Nommez-moi un seul héros qui a ramené la paix en faisant de l’exclusion? L’exclusion est toujours l’arme du méchant. Toujours!
Vous aurez beau me dire que ce sont des histoires pour enfants, ces morales-là, aussi légères qu’elles puissent avoir l’air, me semblent beaucoup plus profondes et matures que n’importe quelle forme de rejet. C’est la base du respect.
Je suis trop cucul pour vous? Même Star Wars et Star Trek ont des messages d’inclusion sociale – particulièrement Star Trek en fait. Pire, même les Transformers, malgré le peu de profondeur et un certain sexisme, se pètent la gueule au nom d’une certaine justice, pour la protection des plus faibles et des minorités.
La paix sociale a bien plus de chances d’exister avec des initiatives comme ce Beauceron qui souhaite rencontrer des musulmans, avec des activités comme le Festival contre le racisme de Québec ou avec les pièces de théâtre Un, Deux et Trois de Mani Soleymanlou qu’une loi qui puise son inspiration dans les peurs, les préjugés ou les malaises.
On peut bien rire de Donald Trump avec son mur à la frontière du Mexique, la loi adoptée par la CAQ n’est pas différente. C’est du spectacle pour faire semblant d’être dans l’action pour régler des problèmes qui n’existent pas – ou en passant à des kilomètres de la cible.
Sauf que ces politiques-spectacles font du tort à des gens, pour vrai, concrètement. On peut bien rétorquer que personne ne va mourir de cette loi, que dans le pire des cas, on ne brisera qu’un rêve de devenir professeur. Peut-être, même si ça va aussi empêcher des gens de possiblement décrocher le seul emploi qui les sortirait de la pauvreté – l’État est souvent un levier efficace pour l’intégration sociale avec la discrimination positive –, mais peut-être.
Mais même banalisée de cette manière, cette interdiction me semble démesurée par rapport à la peur que peut vivre une autre personne. Aussi forte que puisse être cette peur, elle n’empêchera jamais la personne qui la ressent de faire quoi que ce soit. Elle n’est peut-être même jamais concrètement confrontée à cette peur, autrement que par l’entremise d’histoires (vraies et fausses) entendues ici et là. Au pire, elle aurait attendu d’être servie par un.e autre fonctionnaire? Ce n’est pas grand-chose à côté d’une carrière brisée.
Des gens disent qu’être contre ce projet, c’est être contre la laïcité. On était déjà dans un État laïque. La religion n’est plus dans les affaires de l’État depuis belle lurette. Ne pas adopter le PL-21 n’allait pas ramener l’Église au gouvernement. La laïcité du Québec n’était pas en danger. Même pas fissurée.
D’ailleurs, d’autres comparent cette loi sur la laïcité à la loi 101, soutenant qu’elle participe à la protection du peuple québécois. La loi 101 nous protège comme minorité francophone devant la majorité anglophone. Le PL-21 est plutôt une majorité qui écarte une minorité. Elle ne nous protège d’absolument rien.
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Si la crainte est vraiment un pseudo-envahissement de l’islam au Québec, cette loi est aussi cosmétique que les symboles qu’elle fait enlever. S’il y avait vraiment des musulmans complotant dans un bureau secret afin d’envahir le Québec… Je doute que la prestation des services de l’État avec un symbole religieux fasse partie des plans. Ce n’est pas comme ça qu’on s’empare d’un pays. Sur cet enjeu, ça ne change absolument rien.
L’objectif de certaines personnes qui appuient cette loi est louable, mais le résultat renforce un racisme systémique déjà présent. Des gens seront discriminés et d’autres seront avantagés. Cette discrimination vaut-elle la peine? J’en doute. Êtes-vous à l’aise avec? Moi, non.
Certaines personnes me traiteront d’être anti-québécois. C’est un peu malsain cette fixation sur ce qui devrait et ce qui ne devrait pas être québécois.
Qu’elle est belle, cette paix sociale!
Même si la loi résiste aux contestations judiciaires, même si la clause dérogatoire permet de maintenir la loi, elle ne peut pas ramener une paix sociale. Ce genre de loi ne peut que créer des tensions. Parce que l’exclusion sociale crée toujours des tensions.
Toutes les histoires depuis Homère nous le disent. L’exclusion n’est jamais la solution. Une page s’est peut-être tournée, mais c’est loin d’être la fin de l’histoire.