Mon ami Claude emploie cette expression depuis des années lorsqu’il fait référence à des gens qui s’échinent et investissent beaucoup de temps dans des causes qui lui semblent futiles. Par exemple, il dirait de la présidente de la ligue de défense des poissons rouges (qui existe vraiment): «Elle, elle a de gros problèmes de loisirs.»
Dans nos conversations, des passionarias de tout acabit sont devenues «des gens qui ont des problèmes de loisirs». L’expression peut aussi définir les gens qui ont, justement, des loisirs tonitruants dont ils parlent trop et qui, nous trouvons, y consacrent beaucoup trop de temps et de passion. Les adeptes du jogging entrent souvent dans cette catégorie.
En ce début d’été lancinant, j’éprouve moi-même un réel problème de loisirs, un problème de loisirs au sens propre, lié essentiellement à ma jeune vie conjugale. Comme mon fiancé ne lit jamais mes chroniques, je peux bien vous en parler à vous, puisque vous m’écoutez sans m’interrompre à tout bout de champ pour glisser un «c’est comme moi ou c’est pareil pour moi». Sachez que je l’apprécie énormément. Vous avez une bonne écoute.
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Pour vous résumer ça en concept clair: mon chum est du type Los Angeles, moi j’aime la Gaspésie. Je n’éprouve aucun problème à cohabiter avec les mouches noires, en proportion raisonnable. J’aime les épinettes, le canot et, même, monter ma tente sous la pluie. Lui, il… n’aime pas ça pour deux cennes. Il ne connaît pas par cœur des chansons d’Harmonium à chanter près du feu. Il n’aime pas avoir frette au milieu de la nuit quand le matelas de sol commence à être un peu humide. Il ne rêve absolument pas de venir avec moi au nouveau parc national de Machin ou de Bidule. Au début, il le faisait pour me faire plaisir. Il plantait la tente sans trop chigner et mangeait le macaroni au fromage que je faisais cuire sur le petit poêle à propane en faisant semblant de se régaler. Mais depuis quelque temps, quand je propose d’aller faire du camping, il dit: «Oui, mais pas cette fin de semaine, peut-être au mois d’août.» Il reste vague, un peu comme moi avec le spa.
Depuis les trois ans que nous sommes ensemble, j’ai réussi à éviter le piège du spa. Voyez-vous, contrairement aux êtres humains normaux, qui adooooorent se faire tremper les os avec d’autres êtres humains dans de petites cuves remplies d’eau tiédasse qui tourbillonne, moi, allez savoir pourquoi, l’idée de me promener en chaussons, d’enlever et de remettre une robe de chambre irrémédiablement humide et de me rendre dans cet accoutrement au petit restaurant – sympathique dudit spa – manger de la bouffe santé m’horripile.
Je trouve tout long dans un spa. Payer, c’est long dans un spa. Il y a tout le temps une fille ou un gars en «apprentissage», un formulaire à remplir comme si on rentrait à l’université. Il y a toujours beaucoup trop de monde dans ces endroits, ce qui fait que des employés se promènent et doivent rappeler aux gens de se la fermer. Shuuuuut. Le tout accompagné de petite musique «zen» qui me tape royalement sur les nerfs.
Gling, gling, gling.
Bref. Ça fait trois ans que mon chum insiste pour que nous allions au spa. Et, moi, je n’ose pas lui dire que je trouve que le spa, c’est pour les gens qui ont de graves problèmes de loisirs et que j’aimerais mieux aller passer un après-midi aux autos tamponneuses ou au paint ball de Mirabel pour relaxer que de m’asseoir avec des inconnus dans un bain vapeur à l’eucalyptus.
Mais, récemment, alors que je traversais une période de stress, mon chum m’a dit: «Viens, je t’amène au spa.»
Je me suis dit : «Allez, fais un effort, fais-lui donc ce plaisir et fais semblant.»
Nous, les femmes, paraît-il, serions capables de singer un plaisir factice.
Ç’a été une catastrophe. Je vous passe les détails, mais au bout d’à peu près une heure, je n’en pouvais plus. Je suis allée régler la note, mais il y avait une file d’attente de 40 minutes… pour payer. Je me suis plainte. Les gens dans la file se sont plaints de mes plaintes: «Vous êtes ici pour relaxer, madame, c’est pas grave que ce soit long…»
Mon chum a fini par sortir de cet antre maléfique, tout sourire, détendu.
— J’comprends pas. Qu’est-ce qui s’est passé? On était tellement bien!
— Je déteste les spas.
Mon chum m’a regardée avec… comment dire? Étonnement?
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C’est à peu près comme si quelqu’un qui cruise sur Tinder déclarait qu’il n’aimait pas «le bon vin et les soupers entre amis». (Les célibataires comprendront la référence. Pour les autres, demandez à vos amis qui ont déjà fréquenté des sites de rencontres.)
— Qu’est-ce que tu veux dire?
— Ben, exactement ça, je n’aime pas les spas.
— Mais comment ne peux-tu pas aimer les spas…?
— Aimes-tu le camping…?
— Non.
Voilà. Il y a dans les couples des moments charnières. Qu’est-ce qu’on va faire? J’aime la randonnée, il consacre beaucoup de temps à sa ligue de balle molle. J’aime faire de la rénovation, il pratique la méditation.
Bref, on a un véritable problème de loisirs conjugaux.
— Mon amour, qu’est-ce qu’on fait pour les vacances?
— Si on essayait de juste rien faire… On fait jamais ça, rien faire. Tu crois que t’es capable de rien faire…
Ne rien faire. Quelle formidable idée.