Au moment de mettre mon portable sur mes genoux habillés de pantalons de pyj’ en flanalette, les mots volent en moi. De retour du Trident – et malgré la fatigue – le spectacle orchestré par Lepage me laisse dans un état d’émerveillement me forçant à prendre le clavier pour vous partager mes impressions.
Ce qu’elle était attendue, cette reprise de Robert Lepage avec Labrèche. Le visage connu du petit écran a même su convaincre mes semblables que je ne croise jamais les soirs de spectacles – et même s’ils avancent le contraire sur leurs tribunes respectives – à sortir de chez eux, se déplacer pour aller voir un show qu’ils ont annoncé. C’est dire l’engouement pour la pièce 1 de la saison 2013-2014 du Théâtre du Trident. J’ai même vu une caméra de TVA. J’ai aussi fait un X au calendrier.
C’est justement ce en quoi réside le tour de force de la production. Tendre la main au téléphile, à celui qui ne met jamais les pieds au Trident, au Périscope, à La Bordée ou à Premier Acte. L’immersion se fait sans heurt dans cette pièce commençant même par un générique d’ouverture qu’on croirait extrait d’un téléroman ou d’un film. La structure narrative et les changements de scène sont dynamiques, les décors réalistes. Même l’espace de jeu a été rétréci comme pour reprendre le cadrage d’une caméra vidéo. Un dispositif scénique en mouvance constante donnant lieu à des prouesses captivantes. Référence, ici, au travail de Wellesley Robertson III interprétant le rôle muet du trompettiste Miles Davis. Un acrobate qui joue de l’équilibre comme un pantin sans fil dans ce cube tournoyant sans cesse sur lui-même.
Mais c’est Marc Labrèche qui porte le spectacle sur ces épaules dans un monologue quasi ininterrompu de près de deux heures sans entracte. Si sa livraison du texte se fait sans l’ombre d’un faux pas verbal – d’un enfargeage entre deux mots comme il s’en voit si souvent au théâtre – son niveau de jeu ne s’éloigne cependant pas assez du personnage télévisuel si racé que le comédien a su peaufiner au fil des années. Une impression qui toutefois s’efface, au 3/4 de la représentation lorsque son personnage confie sa peine au thérapeute en hypnose à qui il demandera de le libérer de son lourd chagrin d’amour. Une scène écrite avec finesse et intelligence, d’ailleurs. À l’image de ce texte lepagien qui accote les mots de Cocteau enrobé dans une mise en scène de luxe hautement ingénieuse.
Nul doute que Les aiguilles et l’opium livre la marchandise et saura, je l’espère, conquérir de nouveaux adeptes (ou abonnées du Trident, encore mieux) pour le théâtre. Reste seulement à souhaiter que ces néophytes sachent faire la part des choses. Ou, en d’autres mots, qu’ils ne s’attendent pas à voir pareil ravissement pour les yeux à chaque fois. Tous n’ont pas l’expertise, la technologie et le budget de Ex Machina lorsque vient le temps de concevoir un décor. Parce qu’à ce niveau-là, ce soir, c’était du bonbon.
À voir jusqu’au 18 octobre au Théâtre du Trident
Du 6 au 31 mai 2014 au Théâtre du Nouveau Monde (TNM)