Chaque Noël, on réitère (collectivement) l’importance d’acheter local. De se ravitailler en prévision du potluck de la famille élargie chez le boulanger au coin de la rue, de privilégier la bûche du Picardie au profit de celle congelée et bon marché trouvée dans je ne sais quel recoin presque sombre du supermarché. On le fait sans chigner, on se garroche au marché du Vieux-Port comme des réfugiés philippins auxquels on a promis une cruche d’eau potable. L’analogie est de mauvais goût, mais vous voyez le topo.
On achète le collier d’une créatrice québécoise X au Rose Bouton au lieu de faire le choix facile et écono d’un bijou en toc (mais qui brille!) fabriqué dans une manufacture insalubre d’Asie. De quoi sentir qu’on supporte une micro-entreprise de la région le temps d’un dépouillage de sapin et parce que ça paraît bien devant notre mère. Le «fait ici», au rayon de la coquetterie, ça a toujours plus de valeur.
Joailliers, charcutiers, fromagers, boulangers, pâtissiers. Tous profitent de la manne. Le geste est inscrit dans notre inconscient, sans cesse répété par des médias (comme le Voir, section Voir la vie) qui se font une mission d’anoblir le travail des artisans du bon manger chaque année. Le geste est noble, la mode est saine. Mais en fait-on autant avec les biens culturels à proprement dit? Les disques, les livres, le théâtre made in Québec?
Si des endroits comme Le Trident et Le Périscope proposent des forfaits spectacles follement avantageux dédiés aux bas de Noël, force est d’admettre que le réflexe n’est pas encore là au rayon des disques. Des labels et des journalistes aussi. Et pourtant, il y a de quoi gâter tout le monde sur votre liste en matière de musique locale. Pour vrai. Je ne l’écris même pas par chauvinisme.
Sélection, donc, de trois valeurs sûres pour trois types de personnalité. C’est du déjà-vu, les magazines d’intérêts féminins ont épuisé le concept, mais il n’y a (à ma connaissance) personne qui a adapté le truc pour la scène musicale locale. Ça fait que je me lance, en toute humilité et par souci de propager la bonne nouvelle: encourager les artistes d’ici.
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L’ado hipster
Celui qui n’est pas facile à satisfaire, celui qui a tout et en vinyle. Sa bible, c’est probablement Pitchfork, mais il y a fort à parier qu’il ne connaît pas la musique bricolée à côté de chez lui. Le mot d’ordre? Ne pas trop le déstabiliser. Et pour ça, les textes en anglais de The Seasons auront pour effet de le garder dans sa zone de confort. De plus, l’intelligence mélodique des frères Chiasson le charmera d’emblée. Avouons-le: le quatuor de Beauport joue dans la cour des grands. Le potentiel pop de leur premier EP intitulé Velvet est énorme à l’international, parce qu’ils sont vraiment en osmose avec leur époque musicalement parlant, en plus – ça, c’est essentiel – d’avoir développé un son indie folk qui leur est propre.
Le père (ou le mononcle) prisonnier des années 1970
Pour lui, après Harmonium, la Terre a arrêté de tourner. Toute famille a un spécimen qui pense à peu près ainsi: le rock progressif, au Québec, c’est sacré comme les vaches en Inde. Et en bon fan de toujours, votre oncle/père a fort probablement déjà fait l’acquisition de tous les best of de Pink Floyd, Supertramp et autres qui ont été mis sur le marché. La solution? Le faux du soir, un disque prog contemporain (oui, ça se peut!) qui allie expérimentations presque jazz, bon vieux rock n’ roll (allô Ruelles!), atmosphères psychédélico-planantes et textes à haut coefficient poétique. Un LP solide signé Mauves qui plaira aux dames comme aux mâles alpha, faut-il préciser.
Pour la matante qui ne jure que par les belles voix
Tradition télévisuelle de concours d’interprètes oblige, nombreux sont les Québécois qui jugent (d’abord) la qualité d’un groupe par la voix de son chanteur. En ce sens, I.No répond à toutes les attentes et même les plus élevées en raison de la voix si singulière et incroyablement juste d’Amélie Nault. C’est elle qui donne une âme à Haunted Hearts, un disque sur lequel on peut d’ailleurs entendre la troublante chanson Mon chéri, devenue virale grâce au Festival OFF. Son succès massif est aussi attribuable à la grande beauté de cette si talentueuse mademoiselle Nault, qui mérite d’être découverte du plus large public qui soit. Elle en a tout le potentiel.
Acheter local, c’est bien beau, mais où devrait-on aller pour se procurer tous ces beaux disques made in Québec? Exit les grandes chaînes. On joue safe en se rendant au Knock-Out (832, rue Saint-Joseph), le disquaire qui garde en consigne tout ce que crée les bons bands de la Vieille Capitale. Et en plus, on fait une pierre d’un coup en encourageant un commerce indépendant tenu par des gens de coeur qui le font d’abord pour leur amour de la musique. Pas pour l’argent.
À ce sujet, on encercle la date du 29 novembre à l’agenda pour ne pas passer à côté de leur célébration toute particulière du Black Friday avec un spectacle gratos du grand Keith Kouna dans l’arrière-boutique, des prix de présence, des hors-d’œuvres signés Pizzeria Gemini, un disque géant en chocolat sculpté par Érico et de gros rabais sur les vinyles.