Satellite 418

Que reste-t-il d’Alys?

Sa carrière a été faite de robes somptueuses, de chansons latino-américaines traduites, de succès immenses, d’accomplissements professionnels jusque-là inégalés. Rien ne destinait Alice Robitaille à la vie de bling qu’elle a eue. Il était une fois la fille de lutteur, née en 1923 dans l’alors (très) pauvre quartier Saint-Sauveur.

Elle quitte le nid familial à 12 ans, la puberté à peine entamée, 25 cents dans ses poches et la tête pleine de rêves trop gros pour le Québec d’alors. Elle s’installe à Montréal, le mythe naît, son nom change. Alys Robi deviendra quelques années plus tard la première pop star de la Belle Province mais aussi l’inventrice d’un nouveau profil de carrière. Pendant quatre ans, elle fera courir les foules à New York comme à Mexico ou à Londres. Une étoile filante au firmament des chanteuses. Chica Chica Boum, Tico Tico, Amor Amor, Besame Mucho. Alice, elle n’était pas une one-hit wonder.

On raconte qu’elle aurait, malgré la gloire, gardé un pied à terre en Haute Ville. Chez elle, à Québec.  Je le sais parce que c’est une des premières choses que mon concierge M. Bouchard m’a dit quand j’ai visité le 3 ½ qui allait devenir ma maison. Un argument de vente comme un autre pour que je me porte locataire de cet appart-là. C’était un mois, à peine, après sa mort. Tout le monde avait recommencé à parler d’elle.

À ce moment là, je travaillais à la succursale locale de TVA. Quand la nouvelle était tombée, un soir de tournage, les collègues techniciens plus âgés s’amusaient à se rappeler de la vieille déplaisante. La diva, comme ils l’appelaient. Celle pour qui le tapis rouge était conditionnel à toute entrevue accordée à un animateur de la station. Rien de trop beau pour la Lady.

Quelques mois plus tard je rencontrais le personnificateur de Réglisse, la célèbre drag queen des nuits de Saint-Jean-Baptiste. Ce n’était pas le sujet de mon entrevue avec lui, mais je me souviens qu’il avait été question des derniers milles de la carrière de Mme Robi. Elle avait donné un de ses derniers spectacles au Drague en 2008 ou en 2009 devant une foule qui lui lançait des pointes. Elle avait été capable de répondre du tac au tac avec élégance en plus de chanter avec son coeur. Alys, 85 ans, avait ensuite attendu que le bar ferme avant de descendre les marches de la scène en se faisant aider de quelques messieurs. Elle était trop orgueilleuse et trop fière pour que ses fans (ou ses détracteurs) ne la voient dans sa faiblesse.

Il émane de ses anecdotes somme toute banales quelque chose de terriblement touchant. Alys a été une diva jusqu’à la fin. Sans demi-mesure, malgré la chute brutale au temps de sa grande dépression. Elle avait été une grande et le demeurait coûte que coûte. De toute façon, aucune autre ne pouvait se vanter d’exploits plus grands que nature comme celui d’avoir été la vedette de la première émission télévisée de l’histoire. C’était en 1946, sur les ondes de la BBC. On le sait, parce qu’une photo a survécu au temps.

La plupart de ses effets personnels ont en effet été perdus ou brûlés au moment de son entrée à Saint-Michel-Archange. Difficile, donc, de mesurer sa célébrité aujourd’hui : il ne reste plus rien sinon que la petite collection dont la conservatrice Lydia Bouchard s’est récemment portée acquéreuse au nom du Musée de la Civilisation. Quand je lui ai demandé si la Lady avait été aussi big que Céline Dion sa réponse a été  instantanée et sans équivoque. « Oui, absolument. »

Mais est-ce que les gens de Québec se souviennent d’elle? Les plus jeunes ont-ils entendu parler de cette femme qui vivait en contradiction avec l’église qu’elle vénérait, une femme en avance sur son temps qui se décrivait elle-même glamorous et aguicheuse?

Je me suis prêtée au jeu du vox pop. À côté du VOIR, coin St-Joseph et du Pont. À mois de 200 mètres de l’église St-Roch d’où on eu lieu ses obsèques. Le dernier spectacle de la reine.

Ma question était toute simple, uniforme pour chacun de ces trois passants choisis au hasard : qui était Alys Robi?

 

Martine, 35 ans : « C’était une chanteuse. Je sais qu’elle avait vraiment marqué son époque mais bon, je suis trop jeune un peu pour l’avoir vue. »

Rolande, 63 ans : « C’était une chanteuse. Elle avait 20 ans qu’elle est partie de Saint-Sauveur. Elle est allée à Montréal pour chanter et jusqu’à Hollywood. En 1940, elle a été à Robert-Giffard et elle a été opérée pour une lobotomie et elle n’a pas re-chanté avant qu’elle ait 75 ans. Elle est morte il y a environ deux ans. »

Philippe, 27 ans : « J’ai aucune idée c’est qui. Ma famille est mexicaine et j’ai pas beaucoup de culture québécoise. […] Il ne doit pas avoir assez eu de remix de ses chansons, peut-être que ça m’aurait permis de la connaitre. »

 

La  conclusion se tire d’elle-même.

Et si on commençait par lui donner l’épigraphe commémorative qu’elle mérite? Ce serait déjà ça.

 

// Mise à jour, 4 février 2014 à 21h

Vérification faite: une plaque commémorative a été apposé sur la façade de la toute première demeure de Alys Robi située sur le boulevard Charest dans le quartier Saint-Sauveur de Québec.

Alys