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Indien ou l’autopsie d’un miniscandale récurrent

Source: Comité luttes autochtones de Montréal (via Facebook)
Source: Comité luttes autochtones de Montréal (via Facebook)

 

Il y a deux semaines, le Comité Luttes Autochtones du Cégep du Vieux-Montréal lançait un communiqué de presse et créait un événement sur Facebook appelant au boycottage du lancement de l’album Indien de Clement Jacques. «Nous invitons les gens à boycotter le party de Clement Jacques et à le dénoncer et à l’en empêcher.»

Beaucoup de bruit pour rien et plus de peur que de mal: au final, le show a eu lieu comme prévu au Divan Orange. Les militants se sont dégonflés et personne ne s’est pointé avec des pancartes ou en scandant des slogans anticolonialistes.

Quelques jours plus tard, à Québec, je rencontrais le principal intéressé pour une entrevue retranscrite et mise en ligne dans la section Musique. «C’était un combat mal choisi. Pour moi, c’est une démarche personnelle et artistique. […] Les manifs comme ça, c’est organisé par du monde extrémiste.» Information digne de mention: Clement Jacques soutient que son arrière-grand-mère était autochtone.

Curieuse d’en savoir davantage sur les motivations du Comité Luttes Autochtones du Cégep du Vieux-Montréal, j’ai tenté de joindre l’association étudiante de l’établissement collégial. Le membre qui m’a répondu avait l’air pas mal confus: «C’est un groupe en sommeil, parce qu’ils n’ont pas renouvelé leur demande. […] En fait, le comité n’existe plus depuis deux sessions. La personne qui l’a mis sur pied n’étudie plus au Cégep.»

 

C’est quoi le problème?

Prise de parole anonyme ou pas, les points soulevés par le CLACVM amènent une piste de réflexion. Jusqu’où peut-on aller en art sans se faire accuser de colonialisme? Elle est où la ligne entre gaffe et hommage?

J’ai pensé à appeler Elisapie pour lui poser la question. Porte-parole des Premières Nations par défaut depuis le début de sa carrière, la chanteuse inuk a accepté de commenter l’affaire à condition que je spécifie qu’elle a «beaucoup de respect pour Clement Jacques» et qu’elle n’est pas une Montagnaise (NDLR: il faut maintenant dire Innus), peuple associé au terme péjoratif «Indien».

De toute façon, c’était son avis au sens large qui m’intéressait. Qu’est-ce qui fâche ou qui blesse les militants autochtones quand un Blanc récupère l’iconologie amérindienne ou son vocabulaire avec plus ou moins d’adresse? «C’est un peu comme ces Européens qui pensent que tous les Québécois vivent dans des igloos.» Une analogie efficace.

Même à l’ère du village global, les clichés comme ceux de la «police montée» et des chiens de traîneaux ont la vie dure. Imaginez, maintenant, ce qu’Elisapie peut entendre quand les gens lui partagent leurs impressions sur sa vie au Grand Nord. «Nous, les Autochtones, on se fait souvent mettre dans le même panier. Les gens oublient que les Premières Nations sont nombreuses et différentes. Comme Inuk, je n’ai pas la même culture que les Inuits ou les Montagnais, par exemple.»

 

Le cas de la tribu des rouges

Autre province, même «problématique». Dans une entrevue accordée au Huffington Post canadien, les membres du trio ontarien A Tribe Called Red ont confié qu’ils en avaient sérieusement marre de voir des fans porter des coiffes de plumes pour assister à leurs concerts. «Ces costumes ne sont représentatifs d’aucune nation. […] Au lieu de nous reconnaître comme des Anishnabes ou des Ojibways, ils nous considèrent tous comme des Indiens.»

Coiffes de plumes, pagne cache-sexe en simili cuir, robes à franges… Parfois, j’ai l’impression que les Blancs ont été tellement exposés aux films westerns qu’ils en intègrent les clichés sans même réaliser que ceux-ci peuvent s’avérer extrêmement blessants. Suffit de regarder le nombre d’équipes de sport qui s’appellent les Chiefs ou le «retour» du mocassin qui a fait les beaux jours des Little Burgundy de ce monde ces cinq dernières années.

 

Et Les Indiens dans tout ça?

J’ai poursuivi la discussion avec Guillaume Sirois, leader de la formation stoner rock Les Indiens. «C’est super délicat pour moi, parce que je vis avec des Montagnais. Je partage une maison avec eux dans Saint-Sauveur. […] Avec les blessures qu’ils portent encore, je pense que c’est normal pour les Autochtones d’être picky quand il est question de récupération culturelle.»

Quand on lui demande la signification du nom de son band, il me répond que c’est «un clin d’œil humoristique à la culture autochtone pour montrer que c’est fait avec légèreté et par des Blancs.» Reste que sa démarche à lui et aux trois autres gars est vraiment rigoureuse. Leur but? Transposer les rythmes innus et inuit sur leur rock psychédélique et s’inspirer des légendes innues pour les paroles. Une recette qui, en plus de plaire aux Blancs, fait aussi plaisir aux vrais. «Le 20 avril dernier, y’a des Autochtones de Pessamit qui sont descendus pour voir notre show au Cercle. Les gars trippaient et nous dansaient dans la face! Je pense que ça démontre que notre manière de faire est respectueuse et que ça ne heurte personne.»

D’ailleurs, le groupe de Québec sortira bientôt sa reprise de la chanson Tipatshimun de Kashtin, enregistrée il y a plus d’un an avec Jace Lacek. Claude et Florent leur ont donné leur bénédiction.