Avouez que ce titre vous fait penser à ce qu’on peut lire en page frontispice des magazines comme La Semaine ou Dernière Heure. Révélations choc, scandale. Sexe, drogue et création.
Au risque de paraître matante – ce qui ne sera pas si mal connaître la uptown girl que je suis – j’avance sans gêne avoir voulu briser un tabou avec cette chronique du 28 mai de l’an de grâce 2014. Sérieusement : qui ose parler de consommation de drogue aux maudits journalistes? À part Justin Trudeau, je ne sais pas trop.
Même un certain quintette de rockeurs – que je ne nommerai pas pour raviver la flamme de la chicane – s’est plaint à mon estimé collègue Dominic Tardif après que ce dernier les eût cités concernant leur consommation de drogue. Une question me trotte dans la tête depuis : pourquoi est-ce si gênant de parler d’ecstasy dans la sphère publique?
Il y a les exemples sans âge, les exceptions. Baudelaire en est un et on l’étudie même dans les cours de français au Cégep. Si quelqu’un jouissait des avantages de l’état second pour stimuler sa créativité, c’est bien lui. L’opium, c’était son truc et il n’aurait sans doute pas péter une coche à Dominic si ce dernier avait révélé son « terrible secret » suite à une entrevue où les mots off the record n’ont même pas été évoqués.
Désireuse de crever l’abcès une bonne fois pour toute, j’ai lancé un appel à tous façon statut Facebook. Première surprise : musiciens (connus ou non, détenteurs de projets sérieux ou non) ont été très nombreux à me répondre. Et moi qui croyais que c’était un tabou, ça, la drogue.
Philippe Brach a été le premier à m’écrire en privé. On s’est parlé au téléphone mardi, pour une entrevue, et je me suis sentie comme une mère devant son ado de 14 ans en lui posant ma première question: « Philippe, prends-tu de la drogue? » Sa réponse a été sans équivoque. « Je prends du mush ou du buvard à l’occasion mais j’ai sorti mes meilleures phrases en étant sobre. […] Je m’en sers pour ouvrir des portes, mais la sobriété en ouvre aussi. C’est juste pas les mêmes. » Selon lui, la ligne est vraiment mince entre trop et juste assez. Pour sortir des bonnes lignes, en tout cas. « L’important c’est de bien se connaître en faisant des tests pour les doses. On n’a pas tous le même métabolisme. »
Et il en ajoute : «C’est important aussi de faire la nuance entre consommer pour créer et consommer pour n’importe quelle autre raison en étant un créateur. Je pense qu’il y a pas mal plus de monde dans la deuxième catégorie.»
Si Philippe confiait être incapable d’écrire quoi que ce soit de bon sur le pot – parce que ça le down ben raide – Simon Paradis en vante quand à lui les mérites avec prudence. « Si t’en abuses, ça va être plus destructeur que constructeur. Mais, comme artiste, on cherche un truc qui nous déstabilise. Quand on est dans une situation émotionnelle stable, ça nous permet d’avoir une autre perception des choses. »
Simon et Philippe sont généreux et ouverts, mais on sent qu’ils marchent sur un terrain relativement glissant. « Le but, c’est pas de vivre comme dans les années 70. C’est pas d’être dans le 27 Club. », confiera Simon.
Désireuse (moi aussi) de ne pas entraîner les kids dans la méchante drogue, j’ai voulu faire un contrepoids en allant chercher le point de vue d’une intervenante en toxicomanie. Les musiciens et les artistes en général sont-ils plus enclins à devenir accros? C’est Anne-Élizabeth Lapointe de la Maison Jean Lapointe qui m’a répondu. « Il y en a beaucoup, c’est vrai. Les artistes ont peur de ne plus être capables de créer s’ils arrêtent mais nous on travaille à briser ça. C’est une erreur et une illusion. »
Un point de vue que partage Jean-Étienne Collin-Marcoux du Pantoum, un gars pas moralisateur pour deux cennes et qui se tient pourtant loin du christian rock ou ses dérivés pastoraux. Oubliez les stéréotypes: on peut être sobre et faire la musique qui groove. Comme celle de Beat Sexü.
En fait, et toujours selon Jean-Étienne, l’absence de consommation dans sa vie ne limite en rien sa créativité. « Moi, ça me permet d’être plus growndé et plus alerte. […] Quand je joue avec les X-Ray Zebras, c’est très technique et très précis. Je ne pourrais pas me permettre d’être là-dessus. »
Mais, au final, l’important c’est de s’entendre au sein du band. « On ne peut pas créer dans une situation d’inconfort », croit Jean-Étienne. « Faut que tout le monde soit sur la même longueur d’ondes pour qu’il y ait une cohésion de groupe. C’est une question de respect. »