La catastrophe patrimoniale dont tout le monde se fout
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La catastrophe patrimoniale dont tout le monde se fout

La lente agonie de l’église Saint-Jean-Baptiste tire à sa fin. Après avoir traversé trois siècles et deux guerres mondiales, le monument patrimonial accueillera sa dernière messe le 24 mai 2015 à 10h. Un événement tristement historique.

La lente agonie de l’église Saint-Jean-Baptiste tire à sa fin. Après avoir traversé trois siècles et deux guerres mondiales, le monument patrimonial accueillera sa dernière messe le 24 mai 2015 à 10h. Un événement tristement historique.

L’abbé Pierre Gingras a le cœur gros et, malgré sa prestance indéniable, il ne cherche même pas à cacher sa peine.  « C’est comme quelqu’un qui meurt. C’est comme si le feu prenait une deuxième fois. »

L’histoire de l’église Saint-Jean-Baptiste du quartier du même nom remonte au 8 juin 1881. Cette journée-là, le temple catholique construit par Charles Baillargé était la proie des flammes tout comme la quasi totalité du Faubourg. Sans perdre de temps, son ancien apprenti  Joseph-Ferdinand Peachy entreprend de reconstruire l’église actuelle sur le tas de cendres.

Aujourd’hui, le curé de la paroisse estime la valeur de la bâtisse à 10 millions de dollars. Rien que le prix d’entretien annuel, et sans travaux majeurs, ça coûte la même chose qu’un condo dans le quartier. 170 000$ pour le chauffage, l’électricité, les assurances, le déneigement. En se basant sur sa propre étude de soumissions réalisée cette année, M. Gingras soutient que la réparation d’une seule verrière (sur un total de 40) se chiffre à 200 000$. Rien que l’orgue vaut un million et demi de dollars. « J’ai rien contre l’orgue du Palais Montcalm. Au contraire, ça prenait ça pour finir et garantir un accompagnement à la fois de l’orchestre et des chœurs qui s’y présentent. Mais pourquoi ne sommes-nous pas capables d’investir sur un instrument qui traduit l’histoire ? »

L'abbé Pierre Girard au Presbytère des Saints-Martyrs-Canadiens (Crédit: Catherine Genest)
L’abbé Pierre Gingras au Presbytère des Saints-Martyrs-Canadiens (Crédit: Catherine Genest)

Pour le moment, c’est les fidèles et le Ministère de la Culture qui paient pour ça. Un petit 20% provient des citoyens qui veulent bien faire un don, l’autre 80% du gouvernement.  Mais l’équipe de M. Gingras travaille d’arrache pied et ils n’ont plus les reins assez solides.  « En 2010, on a présenté une demande au Ministère de la Culture et à la Ville de Québec pour qu’ils prennent en charge les cinq grandes nefs de Québec. La Basilique-Cathédrale, Saint-Roch, Saint-Sauveur, Saint-Charles-de-Limoilou et Saint-Jean-Baptiste. Et puis on a eu un refus pour ça. »

 

Les catholiques croient-ils en la réincarnation ?

L’église Saint-Jean-Baptiste sonnera son propre glas, une mise en abîme crève cœur, dans neuf jours. Mais quelles sont les deuxièmes vies envisageables pour l’endroit ? Pierre Gingras a eu une bonne idée : une école d’art et métiers. « On sait que les vieux métiers sont en voie de disparition. Alors ceux qui travaillent le vitrail, ceux qui travaillent la dorure, ceux qui travaillent la restauration des tableaux, la restauration des vêtements… Ce serait une magnifique école pour les jeunes qui ne veulent pas s’aventurer dans de longues, longues études mais qui sont habiles. […] C’est deux ministères qui pourraient s’allier là. » En plus, les travaux pratiques des élèves permettraient de restaurer l’église. On fait ainsi d’une pierre deux coups.

Mais ne lui parlez pas de l’option d’un gymnase ou de condos. L’édifice doit, selon lui, préserver sa vocation communautaire et respecter celles et ceux qui l’ont construit il y a presque 150 ans.  Dénaturer le lieu ? Non merci.

 

La prochaine étape ? DuProprio !

Si vous voulez visiter l’église Saint-Jean-Baptiste, faudrait vous grouiller un peu puisque monsieur le curé mettra la clé dans la porte juste après la dernière eucharistie. « Là on va considérablement diminuer les dépenses liées à l’entretien du temple, mais il faut quand même assurer la bâtisse, la chauffer un minimum, il faut quand même assurer une certaine protection parce que c’est un monument classé patrimonial. On est les propriétaires donc on en reste un peu les gardiens. On a une responsabilité. […] Si y’a pas un projet qui se dessine d’ici quelques années, on va faire une autre liturgie pour planter une pancarte ‘’en vente du proprio.’’ Ça c’est une blague, j’exagère, mais je suis sûr que vous comprenez où je veux en venir. »

Le plafond de l'église Saint-Jean-Baptiste en 2011 (Crédit: Catherine Genest)
Le plafond de l’église Saint-Jean-Baptiste en 2011 (Crédit: Catherine Genest)

Les artéfacts, quant à eux, pourraient être livrés en Chine ou en Amérique du Sud où le christianisme vit une forme d’âge d’or. Faut dire que les prêtres n’ont pas particulièrement bonne presse ici depuis quelques années, idem pour l’ère Duplessis (lire : la Grande Noirceur) qui fait encore l’objet de documentaires et autres reportages. Les Québécois sont rancuniers envers cette Église autrefois stricte et envahissante. « Actuellement, y’a une critique qui me semble malsaine de l’église et de ce qu’on a fait avant. L’époque noire c’est pas celle que l’Église a créée. L’époque noire c’est celle dans laquelle on vit présentement. […] Une société qui ne reconnaît pas son passé est une société qui n’a pas d’avenir. » Venant d’un type qui invite les drag queens à parader sur son parvis pendant la Fête Arc-en-ciel, je serais tentée d’écrire que cette déclaration-là vaut la peine d’être méditée.

 

 

Un puissant symbole sociolinguistique

On a aussi fait une entrevue avec Alex Tremblay, chroniqueur historique à l’émission Chéri(e) j’arrive sur les ondes de CHYZ depuis 7 ans et candidat au doctorat dans la même discipline à l’Université Laval. L’église Saint-Jean-Baptiste est, selon lui, étroitement liée à l’affirmation identitaire des Canadiens français d’autrefois. « Lorsqu’elle a été conçue par Joseph-Ferdinand Peachy, le but était vraiment de se tourner vers une architecture d’inspiration française et moderne pour être capable d’affirmer que la ville de Québec aurait un visage plus français. Que les francophones regagnaient de plus en plus d’importance parce que les élites anglophones se sont retirées avec la perte de la capitale et le départ de la garnison militaire britannique. »