Printemps de deuils pour les mélomanes de Québec
L’AgitéE mettra la clé dans la porte en juin, la salle Unisson est fermée depuis le début du mois, le Babylone est à vendre, le Cabaret du Capitole a décollé son enseigne à Place d’Youville cet hiver. Mais qu’est-ce qui pousse les propriétaires (ou locataires) de salles à fermer?
L’AgitéE mettra la clé dans la porte en juin, la salle Unisson est fermée depuis le début du mois, le Babylone est à vendre, le Cabaret du Capitole a décollé son enseigne à Place d’Youville cet hiver. Mais qu’est-ce qui pousse les propriétaires (ou locataires) de salles à fermer?
C’est assez inquiétant parce qu’aucun créneau musical n’est épargné. Du hardcore aux spectacles hommage en passant par les musiques du monde et le folk, les billets se vendent moins à Québec.
Surenchère culturelle ou ralentissement économique? Le comptable et membre du C.A. de l’AgitéE Raphael Mascolo pense qu’il y a un peu des deux. « Y’a eu une baisse un peu de clientèle, un peu de l’offre de spectacles, un peu de consommation par clientèle. […] Je pense qu’il y a un aspect de morosité économique générale et ça fait en sorte que les gens sortent moins. Par rapport à l’offre de spectacles, moi je pense que c’est parce qu’il y a eu beaucoup de spectacles d’envergure et de spectacle gratuit suite à 2008. Après ça, les promoteurs de spectacles font moins d’argent par show et c’est comme une espèce de courbe exponentielle. Ils commencent à faire moins de spectacles et les gens réservent leurs sorties pour des choses comme le Festival d’été. »
D’ailleurs, il évoquera le prix du macaron qui est passé de 30$ en 2007 (l’année d’ouverture de l’AgitéE) à 88$ en 2015. Une inflation impressionnante qui laisse forcément une marque sur le marché.
Présentement, l’AgitéE est à vendre au même titre que le Babylone, mais pour des raisons bien différentes. Pierre Lanthier, l’unique propriétaire du café de la rue St-Vallier Est, soutient que c’est une autre opportunité dans le milieu de la restauration qui le pousse à fermer. Ça, et un nouveau petit bébé qui le démotive à travailler le soir. « C’est un changement de cap pour moi, j’ai fait le tour de la roue. Ça fait sept ans que je suis ici. » Tout n’est donc pas si noir.
Adieu l’AgitéE
Le cas du bar de la rue Dorchester est assurément le plus triste. Après neuf ans, la coopérative planifie sa propre dissolution. Aucune date n’est encore fixée pour l’ultime Assemblée générale, mais on sait que Keith Kouna, Gab Paquet, Beat Sexü participeront à ce concert d’adieu le samedi 27 juin.
En attendant le jour fatidique, Mascolo et son équipe s’affairent à trouver un acheteur sérieux qui saura poursuivre leur mission de diffusion axée sur l’émergence, l’avant-garde, mais aussi une certaine marginalité. « On cherche activement à passer le flambeau. Y’a eu des visites, y’a eu des offres, mais la porte est encore ouverte à un projet subséquent. »
Deux rues plus à l’ouest, Fred End (né Frédéric Samuelsen) vient tout juste de booker son dernier spectacle avec le groupe de punk allemand Instinct of Survival. C’était le 8 mai dernier. L’arrivée d’un nouveau propriétaire pour le complexe Unisson l’a mis au pied du mur un an et des poussières après qu’il ait ouvert sa salle au sous-sol. « J’avais comme pas le choix, entre guillemets, de partir pour que lui fasse toutes les rénovations. […] Lui il va faire plus de locaux de pratique, probablement en bas, et ça va être plus payant pour lui aussi. C’est comprenable. »
Samuelsen compte toutefois continuer à organiser des événements à La Source de la Martinière, au Scanner et à l’Autre Zone.
Jean Pilote du Cabaret du Capitole, quant à lui, avait refusé notre demande d’entrevue à la fermeture de sa salle en mars dernier.
Sans parler d’une autre mauvaise nouvelles pour les mélomanes qui est tombée hier, soit la fermeture de Sillons le disquaire après 31 ans. L’entreprise n’était plus rentable. (Tous les détails ici)
Une période de transition?
Alors que les salles de Saint-Roch se meurent et que son voisin traverse une période difficile, Jean-François Barré du Pub Saint-Alexandre s’apprête à ouvrir une nouvelle salle dans l’ancien Archambault. Bravoure ou insouciance? Le principal intéressé croit plutôt à un engouement renouvelé pour le Vieux Québec. « L’objectif de cette salle-là, c’est de dynamiser un quartier pas seulement touristique et commercial, mais aussi résidentiel. Notre mission est très large. C’est d’offrir à la clientèle résidente un lieu où ils vont pouvoir sortir et se divertir. »
Il reste toutefois évasif quant à la programmation. « Il va avoir de la musique, mais on veut pas seulement se définir par ça. On va laisser les choses évoluer, on va donner la chance à plusieurs représentants des arts de la scène de venir nous proposer des idées. » D’ailleurs, en entrevue, il a aussi évoqué un « partenariat complémentaire » avec La Maison de la littérature de l’Institut Canadien qui ouvrira ses portes juste à côté en octobre.
La salle de M. Barré sera inaugurée à l’automne, quelques mois après le bar qui sera aménagé au rez-de-chaussée et à la première mezzanine. Le lieu pourra accueillir 150 à 175 personnes.
Et s’il fallait remonter la côte et investir la cité intramuros pour faire des sous? Le temps nous dira s’il s’agit là d’un retour du balancier ou tout simplement du fruit du hasard. Mais la demande est là, selon Jean-François Barré. Il y croit dur comme fer.
// Mise à jour, 7 juillet 2015: L’AgitéE vient d’être rachetée par Jay Manek du EXO et Karl-Emmanuel Picard de District 7 Productions. Plus de détails ici.
Je crois que blâmer le FEQ comme étant un facteur de la fermeture de l’Agitée est tiré par les cheveux.
On parle d’une coop qui opérait à l’année longue, avec des shows et une offre d’un registre bien différent du FEQ ou même des autres événements musicaux de la capitale. La réalité, c’est que des mauvaises décisions financières ont amené l’Agitée dans un état de vulnérabilité, notamment parce que de prêts insoutenables et de la politique des bas prix. De plus, la volonté de bénévolat des membres était essoufflée, et la gestion des structures démocratiques prenait beaucoup d’énergie, parfois inutilement.
Le scénario de la fermeture est revenu périodiquement dans les dernières années. Aussi, la programmation des shows et des événements culturels à tout moment de la semaine faisait que l’établissement d’une clientèle régulière était plutôt difficile.
Je ne blâme en rien le FEQ, mais force est d’admettre que la forte inflation du prix du macaron peut avoir eu un effet (même petit) sur le marché du spectacle local.