Théologie Médiatique

Alphabétisation: le degré zéro de l’information

Le rapport à l’écrit est la base fondamentale des sociétés de l’information, plus encore que l’accès aux technologies dont on se soucie tant par les temps qui courent. On nous parle d’implanter la haute vitesse dans tous les recoins du monde, on va même jusqu’à considérer l’accès à Internet comme une ressource essentielle ou un droit fondamental. Communiquer sur le réseau des réseaux serait devenu une condition à la citoyenneté et même un pari démocratique. Il serait devenu impossible de participer à la vie civique sans être branché.

Lutter contre la fracture numérique – expression qui désigne le clivage entre les branchés et les non-branchés – semble ainsi être devenu la priorité des gourous et stratèges en communication. La présence dans les médias «sociaux», le personal branding et la participation à la conversation mondiale sont devenus des urgences nationales. Si vous n’êtes pas référencés sur Google, vous n’existez pas, disent les plus comiques.

Or, une fracture plus insidieuse encore, discrète, voire invisible devrait miner l’enthousiasme des stratèges marketing et des architectes des relations publiques les plus motivés. La fracture alphabétique traverse, comme un fossé, notre société: 49% de nos concitoyens n’ont pas les compétences requises en lecture pour se débrouiller au quotidien.

Attendez, je vais le redire pour être certain qu’on se comprenne bien: 49%.

Ce chiffre a le son d’un silence étourdissant, d’un vide absolu. Il s’agit d’un trou noir médiatique. La moitié de nos concitoyens doivent quotidiennement affronter le degré zéro de l’information.

Alors que la liberté d’expression nous apparaît fondamentale, que le droit de communiquer est devenu un dogme indiscutable imposé par l’église des nouveaux médias où les textes défilent, en temps réel sur tous les supports imaginables, nous avons largué la moitié de nos voisins, amis, collègues. Au moment où, pour être dans le coup, on nous invite à participer aux émissions populaires via Twitter, à commenter sur nos pages Facebook, croyant ainsi «démocratiser» les outils de communication, nous avons collectivement accepté de laisser derrière nous tous ceux pour qui les chaînes de caractères ne signifient rien.

Et, assez pompeusement, nous nous targuons de donner dans le nec plus ultra du grand dialogue planétaire alors que 140 caractères, pour la moitié d’entre nous, c’est déjà beaucoup. Même trop pour certains.

Parlez-moi encore d’un village global qu’on puisse rigoler un peu.

Le degré zéro de l’information donc. La moitié d’entre nous devront se contenter de slogans courts, de phrases faciles à comprendre, de grands titres, d’une image. Aller lire le jugement sur telle ou telle affaire judiciaire, consulter un programme politique ou un texte de loi, lire le livre dont on a parlé à la radio ce matin ou un rapport d’expert? Oubliez ça. C’est le silence.

Il y a certainement des leçons politiques à tirer de cette fracture alphabétique. On pourra réclamer que nos dirigeants rendent des comptes, qu’ils fassent des réformes en éducation et ce genre de choses.

Mais à l’heure où nous prenons part à une médiatisation globale de la société, où chaque individu peut s’autoproclamer producteur et diffuseur d’information, nous ne pouvons plus attendre que le message vienne d’en haut. Nous portons tous, pour autant que nous prenions part à l’écriture en temps réel de l’actualité, cette moitié de la population qui ne peut participer à la conversation.

Nous avons tellement basculé dans l’utopie technologique où chaque nouveau gadget nous apparaît comme l’eldorado de la cybercivilisation que nous avons oublié l’essentiel: le fondement des médias demeure le rapport à l’écrit. Nous nous sommes fabriqué un monde avec nos «amis», nos «followers», nos abonnés, que nous voyons, aveuglés par cette soudaine popularité où nous nous espérons influents, comme une société en soi.

Nous avons réussi à démocratiser les technologies. Tout le monde peut désormais s’exprimer, pense-t-on du haut d’une intolérable suffisance. Il suffirait de savoir écrire pour que les robots des moteurs de recherche puissent nous référencer afin d’être lus par tous. Guidés par des conseils d’experts en médias à la petite semaine, nous écrivons désormais pour que ces robots nous comprennent. Et nous trouvons tout cela formidable!

…Mais nous avons oublié d’écrire pour la moitié des humains qui nous entourent.

Alors… Vous qui avez la chance de lire ces lignes que j’écris ici et de les comprendre, je sais ce que vous allez me dire. Que devrions-nous faire, monsieur le chroniqueur?

Vous en rendre compte serait déjà un bon début!

Vous n’êtes pas ce 49%.

Et maintenant, allez-y… Référencez!

http://www.fondationalphabetisation.org/