Ils sont plusieurs, dans le clan des stratèges et des gourous du Web 2.0, à se gargariser à l’influence. Sur Twitter, aiment-ils raconter, on retrouverait les acteurs les plus influents des médias. Ces derniers seraient devenus des incontournables pour les stratégies de marketing et les campagnes de relations publiques.
La présence sur les médias sociaux est ainsi devenue, pour ceux qui en font une profession (j’allais ajouter «de foi»), une sorte de quête d’influence. En prenant part au flux – c’est ainsi qu’on nomme l’agrégation des contenus partagés en temps réel –, les citoyens peuvent espérer faire partie de cette classe à part, cette caste médiatique apte à influencer les comportements.
Mieux encore! Un réseau publicitaire québécois, Newad, propose aux annonceurs de rejoindre les «jeunes et influents». Il s’agirait de ce qu’on appelle la génération Y. «Les jeunes urbains, peut-on lire sur le site de la compagnie, constituent un segment difficile à rejoindre dont l’influence sur les tendances est indéniable.» On nous invite aussi à déployer nos marques «sur des sites pertinents endossés par les influenceurs».
Par ailleurs, le service Klout se présente comme le «standard de l’influence» (the Standard for Influence). À l’aide d’algorithmes secrets et mystérieux, cet outil propose aux utilisateurs de Facebook et de Twitter de mesurer leur propre influence. Ils obtiennent ainsi un «score», calculé par des programmes, qu’ils peuvent comparer à ceux des autres pour saisir à quel point ils influent sur les comportements de leurs semblables.
On nage ici en plein occultisme. En fait, personne ne sait ce qu’on mesure au juste. On se dit que si des alchimistes du like et du retweet ont su concocter une équation pour transformer une vidéo de pet qui s’enflamme en influence, il faudrait bien leur faire confiance. Après tout, les robots ont toujours raison (et on n’a surtout pas envie de discuter avec eux).
En deçà de ces jouets numériques – qui sont aux relations publiques ce que les pac-dots étaient à Pac-Man (l’enjeu est le même, manger des petits points pour gagner on ne sait trop quoi) –, nous devrons bien un jour nous poser une question fondamentale qui demeure sans réponse: qu’est-ce donc que l’influence?
Herméneutique de l’influence
Le dictionnaire Littré définit d’abord le mot «influence» comme une «sorte d’écoulement matériel que l’ancienne physique supposait provenir du ciel et des astres et agir sur les hommes et sur les choses». C’est à peu de chose près la première définition qu’en donne encore aujourd’hui le Robert: «Flux provenant des astres et agissant sur les hommes et les choses.» C’est d’ailleurs le sens en vogue dans le domaine de l’astrologie. C’est ainsi qu’on nous parle parfois, dans les horoscopes, de l’influence des astres ou de telle ou telle planète sur le devenir humain et nos destinées individuelles.
Par ailleurs, mais dans le même ordre d’idées, l’étymologie nous permet de saisir que le verbe «influer» provient du latin classique influere qui signifie «couler dans» ou «s’insinuer dans».
Ces significations anciennes permettent de mieux saisir lorsqu’il est question, de nos jours, de mesurer l’influence de tel ou tel personnage médiatique ou utilisateur des médias sociaux. Il est d’ailleurs assez réconfortant de retrouver dès l’origine la notion de flux. En effet, l’influence, ce n’est pas une qualité de tel ou tel intervenant sur Twitter ou Facebook, mais bien le flux lui-même!
Nous touchons peut-être ici à une sorte de pari métaphysique de la postmodernité. Dans la mesure où nous prenons part collectivement au flux des médias, nous serions tous des composantes de l’influence, cet écoulement qui pourrait, du moins le croit-on, agir sur «les hommes et les choses». En somme, le flux, c’est nous et nous croyons, en y prenant part, avoir un certain effet sur le devenir de l’humanité.
Mieux encore, les outils de mesure de l’influence sont peut-être, pour ceux qui les utilisent, de nouveaux horoscopes: une manière de dresser votre carte du ciel dans ce nouvel univers. Ils permettent ainsi de comprendre si l’alignement des astres vous est favorable ou défavorable. Les nouveaux astrologues, stratèges Web 2.0, peuvent ainsi vous conseiller de vous comporter de telle ou telle manière.
Tout se passe comme si les anciennes croyances astrologiques qui nous semblent désormais si farfelues trouvaient au sein des médias sociaux un lieu pour renaître. À croire qu’elles ne demandaient qu’un substrat pour croître à nouveau.
Ce qui devrait nous intéresser, c’est que ce nouveau substrat n’est plus une substance mystérieuse qui proviendrait des astres, mais bien les individus qui prennent part aux médias sociaux, en tant que communauté. Le nouveau repaire des croyances de nos sociétés médiatiques pourrait bien être… la société médiatique elle-même! L’influence, c’est à la fois le flux que nous produisons et celui que nous absorbons. Il s’agit peut-être d’une sorte de cercle herméneutique propre à un nouveau mode de croyance: il faut communiquer pour influencer et influencer pour communiquer.
Simon, je voudrais d’abord dire qu’étant né sous le souverain et infaillible (prérogative quasiment papale) signe du lion, je suis, à toutes fins pratiques, incapable de croire en (ou à) l’astrologie.
En effet, une étude astrologique d’envergure planétaire dévoile, de manière convaincante et irréfutable (il va sans dire) que les lions sont plus portés vers le délire pataphysicien et «rhino-cé-rien» que vers la«benêtitude» astrologique. Il est même permis d’affirmer, sans sourciller, que grâce aux divins et séraphiques lions, l’étoile de cet attrape-couillons appelée astrologie commence sérieusement à blanchir, sinon à pâlir (peut-être de honte, de dégradation et d’usure).
Maintenant venons-en, pas trop modestement quand même (un lion reste toujours un lion), à l’influence et au pouvoir des médias dits sociaux.
Il est vrai que de très (trop?) nombreux humanoïdes veulent, quelle que soit la stragégie adoptée, faire ou décréter leur place au soleil (encore les astres; décidément on n’en sort jamais).
Alors, ils se dirigent spontanément, presque instinctivement, vers les puissants et les influents. Après tout, puisque notre ami Simon nous conduit toujours vers les sentiers tortueux de la théologie, on peut dire que de nombreux zigotos assoiffés de pouvoir pensent qu’il «vaut mieux parler à Dieu qu’à ses saints» (très vieille expression française), ce qui leur permettra d’avoir voix au chapitre, de tenir le haut du pavé, de tirer les ficelles (ah! ces incroyables et mystérieuses ficelles qui mènent si loin, probablement plus loin que le vieux fil d’Arianne).
Il s’agit donc d’occuper le devant de la scène, de tenir la dragée haute et de faire partie de ces gros poissons qui mangent voluptueusement les plus petits (il va de soi que cela n’existe pas dans le Canada «harper-rien»).
Mais il existe une vieille expression française qui sert un sérieux avertissement aux ambitieux trop arrivistes et souvent immoraux, sinon amoraux: «PLUS LE SINGE S’ÉLÈVE, PLUS IL MONTRE SON CUL PELÉ». Mais qu’importe: l’essentiel, c’est de faire la pluie et le beau temps, c’est d’avoir les autres dans sa manche (vieille expression française issue de l’époque où les manches servaient à ranger de menus objets; aujourd’hui ce sont les poches qui remplissent cette fonction).
En fait Simon a largement raison. Mais pourrai-je, un jour, lui pardonner de m’avoir culpabilisé en démontrant que ma présence assez régulière dans divers médias sociaux fait de moi un complice et un «frangin» de tous ces loups qui espèrent diriger la meute?
Me voici donc dans le rôle pathétique de LA PETITE CHÈVRE DE MONSIEUR SÉGUIN (Alphonse Daudet). La morale de ce conte de Daudet est celle-ci, très «pacifiste»: «au petit matin le loup la mangea» (ma «petite-fille» raffole de cette histoire racontée de manière un tantinet édulcorée).
Puisque je suis, veux-veux-pas, partie prenante de cette dramaturgie moderne et contemporaine, je vais accorder ma totale (ou presque totale) confiance aux propos de Simon: «il faut communiquer pour influencer et influencer pour communiquer», ce que je m’empresse de faire sans perdre une seule précieuse seconde.
Qu’à cela ne tienne! AINSI SOIT-IL!
JSB
« On se dit que si des alchimistes du like et du retweet ont su concocter une équation pour transformer une vidéo de pet qui s’enflamme en influence, il faudrait bien leur faire confiance. »
Rire, mais rire toé chose… Rouge ou jaune, jaune, jaune, jaune… Ma gorgée de café m’en est ressortie par le nez. De l’humour théologique, de mieux en mieux!
Avec le genre d’avatar que j’ai, je crois qu’une image vaut mille mots… lol
Une dernière intervention-citation!
Henry de Montherlant:
***«Si vous exercez une influence, feignez au moins de l’ignorer.»***
JSB
Ou bien encore, que penser de cette boutade de Michel Lauzière?
***«ASTROLOGUE: Individu qui, pour vous prédire une grande fortune, vous en exige une petite.»***
Alors, la question est: comment les gourous des médias sociaux s’y prennent-ils pour bénéficier de nos petites fortunes, souvent fort modestes?
Tu vois, Simon, le théologien que tu es oblige les autres, les profanes, à se poser de grandes questions, existentielles, «divines» et métaphysiques!
AU PLAISIR!
JSB