De mémoire, je crois que la dernière fois qu’on a parlé de crise au Québec, c’était lors de la crise du verglas.
J’habitais un 4½ avec chauffage et eau chaude au gaz, rue Saint-Dominique, entre Bellechasse et Beaubien. Averti par les nouvelles télévisées que les dépanneurs et les épiceries seraient bientôt vides de toutes denrées, j’ai couru au Canadian Tire pour trouver des bombonnes de gaz pour mon poêle de camping. Plus rien. Suis donc allé en face, chez Villeneuve, la cour à bois, et j’ai acheté des bombonnes à souder. Ça faisait la job.
Je me trouvais très malin. J’avais raison. Une semaine plus tard, l’arbre devant mon appartement a pris feu au contact des lignes électriques. Le gigantesque disjoncteur du poteau d’Hydro a sauté et hop, plus de courant.
J’ai donc pris l’habitude de cuisiner dans mon portique, avec mon poêle de camping. Porte intérieure fermée et porte extérieure ouverte. Un vrai champion de la résistance au climat. Je faisais du café, des œufs et du bacon tous les matins.
D’aussi loin que je me souvienne, je crois que de toute ma vie d’adulte avec une adresse à moi, c’est la première fois où j’ai discuté avec mes voisins. La veille, je ne les connaissais pas. Il a suffi d’une tempête de verglas et d’une panne d’électricité et je leur servais le café tous les matins. On rigolait bien.
Quelques jours plus tard, un camion d’Hydro est passé devant chez moi. Ils ont rebranché le disjoncteur. J’ai failli leur dire de le laisser comme ça. Nous sommes tous rentrés à la maison bien sagement. Je n’ai plus jamais revu ces voisins.
Je m’égare un peu. Je ne sais si vous avez remarqué, mais au Québec, en tout cas à Montréal et dans bien des villes, le voisinage ne traverse pas les rues. On discute avec les gens de la ruelle, les voisins à gauche et à droite, mais rarement de l’autre côté de la rue. L’asphalte a un je ne sais quoi d’antisocial. Quoi??? Traverser la rue!? Vous rigolez!
J’ai trouvé de nouveaux voisins lorsque nous avons déménagé un peu plus au nord, dans Villeray, près de la Plaza. Il faut dire qu’une petite fille est apparue dans le décor depuis. Ça aide, les enfants, pour le social. Y a rien de mieux qu’une petite fille de 7 ans pour te ramener tout le voisinage dans ta cour. Depuis, c’est bien implanté. Beaucoup de jeunes familles dans notre coin. On prend même l’apéro ensemble dans la ruelle. Il y a des soirs où je vois des enfants jouer dans le jardin et je ne sais même pas leurs noms.
– T’es qui, toi?
– …
– Et tes parents, ils sont où?
– Dans la ruelle.
On ne parlait plus de crise jusqu’à tout récemment. Les droits de scolarité, les manifestations, la corruption, occupons-tout-ce-qui-existe, la loi spéciale et tous ces machins. Je dois bien vous avouer que je suis parfois sceptique. Une crise, vraiment?
S’il y avait une crise, ça se saurait. Mes voisins m’en auraient parlé.
Justement, hier soir, mes voisins m’en parlaient, de la crise. Enfin, avec des casseroles. Huit heures pile, j’étais en train de dire à la petite de se brosser les dents avant d’aller au lit, et tonk tonk tonk, ping ping ping, pounk pounk ponk… Un doux vacarme s’installait tranquillement.
– C’est quoi ça, papa?
– Je dirais que c’est les voisins qui jouent de la casserole… Viens, prends un chaudron, on y va!
On a fait un tour du pâté de maisons. Mes voisins sur leurs balcons – que je ne connais pas pour la vaste majorité – jouaient de la cocotte-minute et de la poêle à frire. Une atmosphère un peu surréaliste. Sur Christophe-Colomb, plein de passants, munis d’accessoires de cuisine, marchaient aussi en riant. On avance, se joignant à cette manière de concerto pour oreilles bouchées. Devant le Patro Le Prévost, deux jeunes se sont arrêtés. Ils ont choisi pour leur part de jouer du rack à bicycles municipal. Très drôle. C’est fou ce que ça peut sonner, un rack à bicycles. Enfin bon, on marche comme ça et sur leurs balcons, des voisins, partout des voisins, certains applaudissent, d’autres sortent munis de casseroles. «Viens bobonne, il se passe quelque chose.»
Juste avant que nous tournions le prochain coin de rue, un couple dans la soixantaine se met à taper des mains en souriant sur son balcon.
– Bravo, monsieur!
– Pourquoi?
– Pour votre casserole.
Là, je n’ai plus aucun doute. Il y a bien crise. Quand vos voisins vous applaudissent parce que vous tapez sur une casserole, commencez à douter de tout. En fait, quand vos voisins vous parlent, dites-vous qu’il se passe quelque chose. Je dirais même que le geste le plus subversif dans cette culture occidentalement beige que nous avons construite petit à petit depuis des années, c’est de parler avec son voisin. Être 10 000 dans les rues? Boaf… Facile. Suffit de souhaiter un club de hockey et un aréna pour ce faire. Mais entretenir une conversation avec ceux qui habitent, en permanence, à quelques pas de nous, ça, quand ça arrive, c’est que c’est rendu très grave.
Et quand on a même envie de former avec eux un orchestre de casseroles… Imaginez un peu…
Ils disent quoi sur les casseroles, au juste, dans cette loi spéciale, Madame la Ministre?
…Rien, justement.
Prochaine étape, les gens devraient commencer à se parler dans les wagons de métro.
À ce moment, la subversion sera totale.
Saloperie
J’ai lu cette semaine que Sophie Durocher était très fâchée. Un manifestant en mal de poésie avait écrit sur sa pancarte «Sophie Durocher, christ de salope». Vous savez combien j’aime Sophie et je le dis sans ironie, je la comprends. Ce slogan est une saloperie. Une vraie. Aucun doute à ce sujet. D’abord, c’est très impoli. Ensuite, même si je n’en sais strictement rien, je suis intimement convaincu que cette insulte lui sied assez mal. Je voudrais cependant dire à Sophie, qui s’indignait du fait que «les carrés rouges» l’avaient traitée de salope, que de juger tout un mouvement sur la base d’une seule pancarte, c’est un peu court.
Quoi qu’il en soit, elle a raison. Je suis très sérieux. Je voudrais donc profiter de cette tribune pour dire au triste sire qui a rédigé cette pancarte qu’elle n’est vraiment pas drôle. Je lui conseillerais même de cesser de frapper comme ça ad hominem sur Sophie Durocher.
Il doit bien avoir une vieille casserole à la maison. Ça devrait faire l’affaire.
Je ne peux pas croire que j’ai l’insigne honneur de placer un premier commentaire sous ce superbe texte que tous louangent sur facebook !
Avec raison. Vous faites un vrai Molière de vous-même à aborder le drame sous l’angle léger. On a bien besoin de rafraichir nos esprits échauffés.
Malgré tout, je crois que nous allons nous souvenir de la crise du verglas avec plus de bonheur. Quand ce sont les éléments naturels qui se déchaînent, ça inspire plus de respect que la nature humaine.
Donc en fait, il ne faut pas injurier Sophie Dugenou mais on peut lui taper dessus avec une casserole… C’est bien ça ? :-)
Vous avez raison, ce n’est gentil pour SD. Il faut dire qu’elle a parfois des jugements « tranchés » qui l’exposent à certaines réactions tout aussi tranchées. Qui crache en l’air….
Je ne sais pas ce qui est pire, se faire traiter de salope ou se faire comparer à la bosse anormale que nous avons tous collectivement dans l’anus. Il est probable que la salope puisse donner du plaisir à au moins une personne, fusse-t-elle le plus péripatétitien des jounalistes du Québec. C’est déjà ça. La bosse anormale, quant à elle… A part le chirurgien payé pour l’extraire, nul n’en tire avantage.
Moi qui ne manifeste pas ou si peu, eh bien monsieur Charest sachez que j’étais à la manifestation du mardi 22 mai et ce soir j’étais dehors devant chez moi avec ma casserole avec ma fille mes petits-fils et plusieurs de mes voisins. Et je n’étais pas dans un des quartiers dont les média parlent.
Bravo monsieur Charest ! Beau travail.
Eh bien, la crise doit être grave, car, sachez-le j’ai parlé hier vers l’heure du souper, juste après avoir quitté la « grosse » manif. du 22, à des gens inconnus dans le métro, tout ça parce qu’on se reconnaissait, nous du carré, rouge, noir ou blanc. L’heure est grave donc …
Bravo! Très bon texte. Très pertinent et profond.
Pour l’instant ce n’est que des casseroles mais lors des élections prenez garde petitesse de l’ingouvernance » ce n’est pas dans le dictionnaire mais cela conviens parfaitement à ces négationnistes de la démocratie », car la batterie de cuisine vas faire un tel tintamarre que la fausse écoute que vous avez envers la population vas êtres similaire à vos balivernes électorales et cela bien c’ se faire remettre la monnaie de sa pièce merci!!!
J’ai cru comprendre plus que de la petitesse, mais peut-être me suis-je trompé en m’aventurant à travers les réactions ambiguës…
La crise du verglas et la crise étudiante?
Le rapport entre les deux ne clique pas en ce qui me concerne – mais c’est peut-être moi qui ne clique tout simplement pas. Avec cette grande fatigue qui m’a envahi depuis trop longtemps déjà…
« Être 10 000 dans les rues? Boaf… Facile. Suffit de souhaiter un club de hockey et un aréna pour ce faire. » Hahaha!
Et pendant ce temps, à Québec, si j’essaie d’avoir une opinion plus nuancée que celle qui dit « les étudiants c’est tous des enfants-rois stupides qui ont des cellulaires », je ruine un souper de famille… (alors, j’ai appris à me fermer, en ayant causé une chicane par trois fois) Alors, ici, dans la banlieue que j’habite qui n’est dérangée que par les concerts de tondeuse les samedis matins dans la course au plus beau gazon, j’ai peine à imaginer ce qui se passe à Montréal. Si je me mettais à frapper sur une casserole, mes voisins appelleraient la police. Je trouve ça presque surréaliste ce qui se passe à Montréal, j’aimerais y aller, juste pour comprendre le sens de tout ce texte que vous avez écrit. J’aurais tellement envie de sentir ce que vous vivez à 3h d’ici.