C’était au début de la semaine dernière, ou à la fin de la précédente, je ne me souviens plus. En tout cas, comme vous l’avez lu un peu partout, eh oui, ça a brassé un peu au Voir. Il a fallu mettre des choses en place, changer quelques roues dans l’engrenage. Au gré de ces rénovations, mon collègue David Desjardins a appris que son poste de rédacteur en chef à Québec était aboli. Ma mission à moi, qui vais le remplacer à partir de Montréal, était de lui offrir de continuer de tenir sa chronique – c’est un des meilleurs chroniqueurs au Québec – et d’en faire une chronique nationale. Ça se passait au téléphone.
— On commencerait cette semaine, David.
— Je ne suis pas certain que ce soit une bonne chronique pour commencer à Montréal. Tu sais, j’y parle à la fin des parcomètres à Québec…
— Ouin, pis?
— Ben, je ne suis pas certain que ça va intéresser les lecteurs à Montréal.
— Hey… On a écœuré la province au grand complet avec les poules dans Rosemont, fait que les parcomètres de Québec, j’achète n’importe quand.
C’est ainsi que dans notre dernière édition, nous avons arraché des grands bouts de calendrier pour faire une place à David et que, oui, vous avez pu y lire un passage sur les parcomètres de Québec.
Et vous savez quoi? Il était temps.
Vous avez été nombreux à m’écrire ou à vous exprimer sur certaines tribunes pour témoigner de votre crainte de voir notre hebdo culturel, désormais piloté en partie à partir de la métropole, se «montréaliser». C’est une crainte qui se justifie. Et pourtant, en travaillant avec des chroniqueurs et des pigistes de l’extérieur, l’inverse peut tout aussi bien se produire. Le cas de la chronique de David en est un exemple et c’est loin d’être le seul. Il devient aussi possible de lire à Montréal des critiques de disques, des entrevues et des reportages rédigés en Estrie, à Québec, à Gatineau ou n’importe où ailleurs.
Il y a certes des spécificités culturelles très localisées, que nous allons bien évidemment continuer de couvrir, mais ces spécificités ne sont pas des frontières imperméables. Je me mords l’omoplate de vous entendre parler de la gauche du Plateau et de la droite de Québec comme si c’était des compartiments barrés à double tour. S’il existe quelque chose comme une société québécoise qui transcende les régions, c’est dire que toutes ces spécificités forment un tout, une mosaïque, un écosystème, et qu’un média culturel peut accomplir sa mission peu importe le lieu où se trouve sa maison mère.
Et c’est dire aussi que les parcomètres de Québec, c’est bon d’en entendre parler à Magog et à Laval.
On me dit aussi que les poules de Rosemont, si elles arrivent un jour, seront les mêmes qu’à Cookshire. À un moment donné, une poule, c’est une poule.
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Mon beau-père Roger, que je salue au passage, élevait des poulets il y a quelques années dans une fermette de Sawyerville, pas très loin de Cookshire justement. Ça me fascinait. On allait chez lui la fin de semaine et on repartait avec un poulet. Pas du poulet bio. Du poulet familial.
— Où tu les prends tes poulets, Roger? Je veux dire, c’est un peu comme les semences pour le potager, tu dois bien partir de quelque chose. Tu fais comment?
— On les commande et on les reçoit par la poste.
— Tu rigoles!?
— Non, non. Je les commande par catalogue. Quelques semaines plus tard, je reçois une boîte au bureau de poste et les poussins sont dedans.
Ah ben punaise! C’est comme pour les disques, les romans, les DVD, les recueils de poésie! On les met à la poste et au bout, il y a quelqu’un qui les reçoit et qui en prend soin. À la fin, ça fait quelque chose de bon qu’on aime bien manger.
Je ne vous l’ai jamais dit? Je ne suis pas rédacteur en chef, en fait… Je suis un fermier. Envoyez-nous vos poussins, on va en prendre soin.
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Dans le domaine de la montréalité, justement, on apprenait la semaine dernière que l’hebdo culturel Mirror fermait ses portes. Il subissait ainsi le même destin que le Hour que nous avons aussi fermé il y a quelques semaines. Terminé, les hebdos culturels gratuits en anglais à Montréal. Évidemment, on analyse ces fermetures à l’aune des grands changements dans les médias, le numérique, le Web et tous ces cossins qui sont assez commodes parce qu’ils expliquent tout.
Je ne sais si je devrais prendre le risque de vous poser une question toute bête… C’est un jeu dangereux… Mais bon, O.K., je me lance… On verra bien.
Est-ce que quelqu’un s’est déjà demandé s’il existait vraiment une communauté purement et simplement anglophone à Montréal? N’avons-nous pas désormais une communauté culturelle de plus en plus hybride apte à se retrouver au sein de médias communs?
Je vous avais prévenus… C’est une question bête.
Peut-être bien que les Anglos du Québec auraient décider dorénavant de lire en français?
Quelle belle victoire…
Merci de poser la question, pas bête du tout d’ailleurs.
Il me semble que tout ce qui se passe à Montréal depuis quelques années, tout ce qui mijotte par en-dessous, tout ce qui est beau et nouveau; tout ce qui fait que j’adore Montréal; tout cela sort de ce magma anglo-franco qui gravite autour de la rue St-Laurent.
Et puis, j’ai l’impression que les médias, pris dans le carcan de la langue unique, me dépeignent seulement la moitié du portrait. Mais la moitié, c’est toujours moins que la moitié dans ce domaine. Quand il manque un des ingrédients, pas de réaction chimique.
Ça vous dirait pas ça comme concept: Voir, un journal bilingue? Bon, vous pouvez commencer par un ou 2 textes en anglais seulement, le temps de laisser passer le psychodrame collectif que ça ne manquera pas de susciter. Après, je propose le free for all: anglais et français dans un même texte si ça chante à quelqu’un.
p.s.: Pour un guide des erreurs à éviter dans ce domaine, voir le dernier message de campagne de Justin Trudeau.
Je ne suis pas si vieux mais pas si bête non plus, par conséquent, je me méfie des questions « bêtes ». La naïveté a un je ne sais trop …. Et souvent poser la question est ….
Beaucoup de … mais malgré tout, j’oserai y répondre avec mon point de vue qui est naturellement personnel et surtout très limité par mes sorties culturelles. Ces dernières m’amènent dans certaines salles dans lesquelles j’entends parler près de moi les deux langues, autant dans les files d’attente que sur scène. Ces salles ? Agora de la danse, Théâtre La Chapelle, le Théâtre Centaur, la PdA, principalement. Si je ne suis pas surpris d’entendre parler anglais ou français dans la file de ses salles, je suis encore « perturbé » de découvrir les chorégraphes francophones d’ici nous proposer des textes en anglais. Cette confidence faite, cela m’amène à constater qu’effectivement nous avons une « communauté culturelle de plus en plus hybride ».
Cependant, si la cohabitation sur scène ou dans la salle ne me fait pas réagir, ce n’est pas la même chose pour une cohabitation dans les média. Sans que cela soit un psychodrame pour moi, comme le mentionne Simon Drouin, cela sera une pilule difficile à avaler. Malgré mon fédéralisme avoué, j’ai un penchant avoué pour le fait français dans ma ville et ma province.
La diversité culturelle implique à long terme la mort d’une culture ou plus qui la compose. La musulmane portera-elle le voile dans 30 ans ? Montréal deviendra-t-elle une ville anglophone comme elle l’était au 19e siècle ? Si l’on examine ce qui se passe chez les Hassidim, mon questionnement tombe à plat. Mais les francophones sont plutôt attirés par la différence. Ils adoptent des petites asiatiques alors que les enfants de la DPJ sont malmenés; ils voyagent sans compter au risque de leur vie comme le prouve la mort des deux soeurs de Pohénégamook. Comme me disait un de mes étudiants à qui je demandais pourquoi il parlait anglais à l’extérieur de la classe, on ne veut pas passer pour un « looser ». Même la France s’anglicise à un rythme grand V. L’anglais est un signe des temps avant que la Chine nous impose la langue mandarine. La vie sera-t-elle plus juteuse pour autant ?