C’est ce que j’appelle une polémique d’été.
Elle commence lorsque Manu Militari, afin de promouvoir son prochain album à paraître cet automne, met en ligne un premier vidéoclip d’une chanson, L’attente, qui raconte les pensées d’un Afghan occupé à installer une charge explosive sur la route d’un convoi militaire canadien. Le type réfléchit, pense à son action, en explique les raisons, pour finir par appuyer sur le détonateur. Une fiction comme vous en avez vu des centaines au cinéma.
Ça commence toujours comme ça, une polémique estivale, par un élément de divertissement. Le scandale qu’elle amorce est à l’avenant. La vidéo a choqué un certain public, notamment des militaires qui l’ont fait savoir au principal intéressé. On pouvait s’y attendre. Qu’une création puisse déranger certains auditeurs, c’est, comme qui dirait, dans l’ordre des choses.
Ce qui devrait étonner – si tant est qu’on s’étonne encore de quoi que ce soit venant des conservateurs – , c’est que James Moore, ministre du Patrimoine, a lui-même sauté dans le ring de cette polémique pour intervenir, sur son compte Twitter…
«L’entente de subvention de Musicaction veut qu’aucun projet ne soit obscène, indécent, pornographique, haineux, diffamatoire ou, d’une quelconque autre façon, illégal. Il me semble que la chanson et la vidéo ne répondent pas à au moins trois de ces conditions.»
James Moore aurait mieux fait de rester chez lui pour visionner la vidéo et écouter les paroles de cette chanson avant de sortir l’artillerie lourde. Certes, l’œuvre de Manu Militari – comme c’est trop souvent le cas lorsque l’art tente d’être «engagé» – est fortement teintée de tourisme politique. Cela étant dit, on a beau la réécouter en boucle, c’est en vain qu’on y cherchera de l’obscénité, de l’indécence, des propos haineux, de la diffamation ou quoi que ce soit qui puisse se rapprocher d’une quelconque glorification du terrorisme. Manu Militari prête sa plume, dans une fiction, à un personnage afghan qui prend les armes contre des Canadiens et autres Occidentaux, «celui qui aurait dû rester chez lui», chante-t-il dans le refrain. Rien de plus (et rien de mieux, aussi).
Or, si l’œuvre de Manu Militari ne peut d’aucune manière être affublée des qualificatifs utilisés par James Moore, en tout cas pas plus que n’importe quelle fiction militaire, où est donc le problème? Où sont la haine, l’obscénité, la diffamation ou l’illégalité dont nous parlions il y a quelques secondes?
Est-ce donc qu’il est devenu potentiellement interdit et éventuellement passible de sanctions d’oser se mettre dans la peau d’un ennemi qui s’attaque, pour les tuer, aux troupes canadiennes?
On a peine à imaginer un conservatisme plus prude et plus idiot. Un conservatisme à mon sens beaucoup plus inquiétant que la vidéo à l’origine de cette déclaration.
Au risque de vous étonner, je vous dirais que oui, il doit bien exister quelque part des Afghans qui considèrent que les Canadiens sont leurs ennemis et qui ont envie de leur en mettre plein la gueule. Ce sont les aléas de la guerre. J’irais même jusqu’à dire que certains nous détestent.
Il est ainsi possible que des artistes, en ce plate pays qui est le mien, tentent de témoigner de ce conflit en choisissant de porter le regard de l’autre. La poésie a cela d’absolument formidable qu’elle permet de dépeindre des situations controversées, de mettre des mots sur l’innommable et de déranger le confort des certitudes. On se sent un peu triste d’avoir à rappeler ces quelques évidences à un ministre du Patrimoine…
Il y a une chose qui est indéniable en tout cas. C’est qu’une société où les créateurs doivent craindre de se faire mettre à l’index s’ils expriment un point de vue pouvant déplaire à quelques politiciens occupés à semer les graines d’un patriotisme débridé est une société malade. On se souhaite mieux.
Plus grave, la sanction pourrait bien passer, comme le laissent entendre les propos de James Moore, par le retrait du financement autorisé par Musicaction. Qu’un ministre puisse s’immiscer, par idéologie, dans les processus de sélection, c’est ni plus ni moins faire des artistes des propagandistes sous-traitants.
Qu’à cela ne tienne, il s’en trouve, sur diverses tribunes, pour se vexer que nos impôts puissent servir à financer de telles créations. Ils sont de plus en plus bruyants, adeptes du néo-douchebagisme et du j’veux-pas-payer-pour-ça-moi, à crier au scandale dès qu’un artiste plus ou moins nébuleux reçoit une subvention. Ils viennent de trouver une proie de choix. Non seulement Manu Militari reçoit-il du financement de l’État, mais en plus, il s’en sert pour mettre en scène les réflexions d’un barbu enturbanné au visage sablonneux qui s’attaque à nos troupes. Une hérésie pour les zélotes de la droite jambon.
Désolé les boyz, mais il y a un os.
Car moi, avec mes impôts, je paye le salaire de James Moore, et ce, même quand il profère des idioties sur Twitter.
Pourrions-nous faire un arrangement, chers concitoyens apôtres du conservatisme? Considérez que vos impôts payent les tweets de James Moore, et les miens, les vers des poètes, même quand ils sont plates. On sera quittes. Ou presque.
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Je suis entièrement d’accord avec vous.
Avant même de s’écrier sur le financement des artistes, il faudrait déjà mettre un ordre de priorité sur la corruption et la collusion avant de même songer questionner les dépenses de nos impôts aux bénéfices de nos artistes.
Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut expliquer à nos politiciens que l’argent qui sert à financer les artistes via des programmes de parainage et de subvention n’appartient pas au parti politique mais aux peuples.
Le peuple fournit cette argent pour la liberté d’expression et pour promouvoir les artistes de chez nous. Que nos artistes critiquent ouvertement vos politiques, vos décisions et votre vision est tout à fait légitime et correct.
C’est pas parce qu’ils parlent en mal de vous que vous avez le droit de leurs couper les subventions …
C’est pas votre cash, c’est celui du peuple et le peuple n’a pas à suivre votre ligne de pensé ou votre ligne de parti.
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J’pense que les médias diffusent tout simplement ce qu’ils veulent et les vétérans ou combattants eux sont très focus avec leurs conservateurs et la fierté militaire. Après ils viennent dire qu’ils comprennent le français alors que même moi j’ai du la réécouter une couple de fois avant de bien comprendre le sens de la toune et de vraiment voir ce que Manu voulait dénoncer. De plus, la plupart des nouvelles parlent de taliban dans la chanson alors que c’est totalement l’inverse je prend ça comme une propagande du gouvernement par peur de dénoncer ce que l’armée nous cachent vraiment.
Juste pour vous aviser que notre cher James Moore est en train de gagner car la subvention accepté pour son album qui devait sortir en septembre est en train d’être remis en question….dommage car c’est une perte pour le hip-hop Qébecois. Manu etait un vrai poète de cette art.
Mademoiselle Hip
On reproche souvent aux artistes d’être hermétiques. Le langage artistique qu’ils approfondissent oblige les adeptes à un minimum d’effort pour accéder au propos de l’œuvre. Cela a au moins l’avantage de ne pas tomber aux mains des idiots. Mais hélas, c’est moins pratique pour décrocher des subventions !
J’abondes dans le même sens que votre chronique,d’un point de vue cinématographique c’est d’un réalisme saisissant mais malheureusement des situations comme celle ci il en existe des multiples exemples quotidiennement de par le monde et de censuré la création d’un artiste est tout simplement navrant pour la libre expression et moi en ce qui a trait à la subvention financé une création est pas mal mieux que de financé un chasseur à réaction pour la destruction.
Il est toujours réjouissant de voir un «progressiste» comme Simon Jodoin fustiger l’affreux conservatisme du gouvernement Harper, tout en prenant fait et cause pour la droite religieuse musulmane dans ce qu’elle peut avoir de plus réactionnaire, intolérant, puritain, misogyne, homophobe et liberticide, à savoir les talibans afghans. Vous avez dit «islamo-gauchisme»?
En ce qui concerne la rébellion pépère et la subversion subventionnée qui plaisent tant à M. Jodoin, Raymond Ruyer avait déjà dit l’essentiel sur le sujet dans son livre paru en 1969 «Éloge de la société de consommation» (son analyse concerne la France mais elle va comme un gant au Canada de 2012): «Il faut croire que quelque chose manquait à la France depuis cette séparation de l’Église et de l’État. Car elle se hâte aujourd’hui d’avoir une culture d’État, aux lieu et place d’une religion d’État. L’État ne reconnaît et ne subventionne aucun culte, mais il subventionne la culture. Il ne bâtit plus d’églises, mais il édifie des Maisons de la Culture. Et les nouveaux clercs, tournés vers le ministre de la Culture, trouvent qu’il n’en fait jamais assez. La culture est, en clair, un culte religieux, avec prêtres payés par l’État mais réclamant sur l’État tout pouvoir de le mépriser et de le dominer. […] On comprend aussi que la société globale qui subventionne, via l’État et son budget, des actes aussi élevés, en prélevant sur la consommation vulgaire des masses, ne peut prétendre par là avoir le moindre droit sur les créateurs de la culture. Pas plus que l’État, avant la séparation, ne pouvait prétendre surveiller le dogme et la liturgie simplement parce qu’il salariait les prêtres et les évêques. La Culture a des droits sur la société subventionnante, et celle-ci n’a pas plus de droits sur la culture que le pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel. Si la culture déborde dans les actions révolutionnaires et dans les contestations terroristes, le gouvernement en place n’a qu’à s’incliner. Toute résistance est sacrilège, toute répression est un crime contre l’Esprit-Saint, un attentat contre les droits sacrés de l’Église culturelle. L’État, le pouvoir temporel, doit continuer à nourrir le pouvoir spirituel qui prêche sa destruction et le clergé qui l’excommunie.» (p. 151-152).
S’agissant de cette nouvelle religion d’État si bien décrite par Raymond Ruyer, M. Jodoin est visiblement un Vrai Croyant et c’est là son droit le plus strict. Il est cependant permis de préférer le laïcisme et de professer l’agnosticisme plutôt que la culturolâtrie.
Beau ballon d’essais, mais malheureusement, votre commentaire repose sur une prémisse fausse.
D’aucune manière je ne prends fait et cause pour la droite religieuses musulmane.
Le reste est à l’avenant et suppose une grossière exagération. Il n’a jamais été question de dérives révolutionnaires ou de contestation terroriste.
Au plaisir.
Beau texte, plus long que la chanson elle-même je crois. Question, vous a t’ont menacé de couper vos subventions à cause de ce texte ?