Ce qui étonne dans cette campagne électorale, c’est qu’alors que le Québec vibrait il y a quelques semaines au son des revendications hautes en couleur des étudiants, artistes et intellectuels de tous les horizons, l’éducation et la culture semblent avoir été laissées en coulisse. Nous sommes passés d’un état d’effervescence et de création constante auquel tout un chacun tentait de prendre part, ne serait-ce qu’en jouant de la casserole, à un silence radio complet.
Les différents débats auxquels se livrent les politiciens sont strictement de nature comptable. Qui peut bien s’y retrouver dans cet océan de chiffres où on nous balance des pourcentages, des montants, des temps d’attente à l’urgence, des médecins par famille et autres résultats de calculs dont nous ne savons ni les prémisses ni les méthodes? Peu d’entre nous, en fait, sont à même de comprendre ou de vérifier tout ce charabia. Les commentateurs politiques se présentant comme analystes s’y perdent tout autant et se rabattent le plus souvent sur quelques généralités d’ordre stratégique en reprenant des arguments avancés par l’un ou l’autre des protagonistes. On peut les comprendre. S’il fallait approfondir chacune des données dont nous sommes submergés quotidiennement, il faudrait suspendre le fil de l’actualité des jours entiers…
Les politiciens qui s’adressent à nous le savent fort bien. Il s’agit en quelque sorte d’une inondation de pétitions de principes et d’argumentum ad nauseam. On vous noie dans les données et dans une collection de propositions qu’il faut accepter comme démontrées du simple fait qu’on les affirme.
Si d’aventure un valeureux aspirant au pouvoir s’avançait sur le terrain culturel, il se limiterait sans doute à des chiffres, encore, pour parler des montants versés à tel ou tel programme de subventions dans le domaine des arts et spectacles. Encore là, jamais nous n’aurions droit à autre chose qu’à un discours concernant purement et simplement la gestion de budgets et de portefeuilles. On troquerait les mots «cinéma» et «musique» contre «médecin de famille» et «convention collective» qu’on ne s’en rendrait pas compte.
Ainsi, même les rares fois où la culture devient un sujet de discussion en période électorale, on ne parle pas de culture en fait. On parle d’économie et de gestion des produits culturels. Seul le résultat semble avoir une certaine valeur, jamais sa recherche.
Mais le plus fascinant, c’est qu’alors même que la création se trouve complètement évacuée du discours des politiciens, on ne cesse de nous parler de «politique autrement» et de «changement»… Comme si ces projets – si tant est qu’ils en sont vraiment – d’une politique réinventée ne comportaient, assez curieusement, aucune remise en question, aucun risque, aucune inventivité. L’«autrement» dont on nous parle tant sur toutes les tribunes est constamment amputé du mouvement qu’il présuppose. Dans le brouillard des chiffres avec lesquels on nous assomme, on nous présente la destination comme un phare, une évidence indiscutable vers laquelle nous devrions nous diriger. Or, «faire autrement», c’est, entre autres et surtout, remettre en question des évidences.
Encore ici, seule la destination semble importer… Jamais il n’est question de partir à sa recherche et encore moins de se demander comment y parvenir.
Pourtant, dans le «changement» dont tout un chacun se réclame, l’important est moins le résultat – qu’on ignore le plus souvent – que le mouvement de réflexion qui permet de l’imaginer.
Et si on se demandait tout simplement si ce brouillard n’est pas créé de toutes pièces afin que la moindre lueur dans la nuit soit perçue comme une balise fiable?
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J’ai déjà écrit ici que les politiciens manquent cruellement de poésie. Loin de dissiper ma déception à cet égard, cette campagne électorale ne fait que la nourrir. Mais peut-être aussi que la poésie – et je ne parle pas ici du simple travail des poètes – , lorsqu’elle tente d’embrasser les questions politiques, manque d’elle-même. Peut-être même que les artistes, intellectuels et autres créateurs se sont laissé prendre au jeu d’un discours purement gestionnaire. Peut-être.
Il y a quelques mois, ils ont été nombreux à reprendre le mot de Miron comme slogan: «Nous sommes arrivés à ce qui commence»…
…Une bien jolie phrase, qui illustre peut-être assez cruellement que c’est en vain qu’on cherche un élan créateur dans l’actualité qui est la nôtre, tant et si bien qu’il faut dépoussiérer les mots d’avant-hier pour commencer à avancer.
Car la possibilité existe que nous ne soyons nulle part…
À quoi servent les élections sinon à offrir une arène à la population pour cracher son fiel comme au temps des Romains. L’idéologie néolibérale est fondée essentiellement sur les chiffres, sur l’économie : plus fraîche parce que plus de gens en mangent, plus de gens en mangent… Cette logique permet d’assurer qu’un artiste est bon à partir du moment où il vend un grand nombre de disques. L’équation est simple et efficace, voire populaire. 1+1 =2. Une logique d’enfant. On propose d’abolir les commissions scolaires pour faire des économies parce que les fonctionnaires ne servent à rien, croit-on. Autant abolir le gouvernement au complet.
« Il existe bien peu de réalité en ce monde. » disait Miron. C’est qu’il existe beaucoup de croyances dans notre tête. En fait, il n’existe que ça, même dans la tête des plus rationnels d’entre nous. La réalité, elle, elle est dans nos yeux, sur nos papilles, sur notre peau, dans nos oreilles ; pas ailleurs. Lévesque était un poète. Mais on a oublié c’était quoi, alors on vote pour des comptables.
Non ce n’est pas tout à fait le silence radio, certaines continuent leur bashing sur le dos des étudiants, artistes et intellectuels, croyez-moi. Vous serez bientôt touché, à Montréal. Bravo !
Juste un mot pour te dire Simon qu’il te faut absolument aller faire un tour dans les Cégeps et les universités où l’INM organise conjointement avec le DGEQ et les Forum jeunesse de bons débats…
J’ai participé à deux depuis le début et j’en ai encore deux à venir. On y discute d’éducation, de gouvernance et d’environnement / développement durable.
Le Parti libéral n’y délègue personne, mais les salles sont pleines et autant nous à la CAQ que QS, PQ et ON pouvons y présenter nos idées et répondre aux questions des étudiants.
Très inspirant… ;-)
Monsieur Jodoin,
votre journal fait partie de mes lectures hebdomadaires depuis de nombreuses années. MERCI beaucoup de nous donner « gratuitement », sans relâche un son de cloche autant retentissant qu’intelligent sur les activités humaines, et bien sûr culturelles, dans la société québécoise. Votre artice «Théologie médiatique – Culture politique» a pour moi le son le plus assourdissant que même Big Ben ne saurait faire résonner avec son plus gros bourdon. On devrait rendre la lecture de votre article obligatoire par tous avant de pouvoir voter en septembre prochain. Bravo pour votre intelligence, votre humanisme surtout, et vos tentatives d’éduquer un peuple si peu «scolarisé» sur le plan politique. Merci et encore bravo à vous et à votre équipe. Longue vie à Voir!
Bonjour,
J’ai un peu de difficulté à comprendre ce que vous essayez de dénoncer dans votre billet. Le gouvernement devrait être là pour offrir à la population un certain nombre de services publics, tels que l’éducation, les routes, les services de santé, etc., ce qui est inévitablement relié à des considérations financières, c.-à-d. le financement de ces services et la meilleure façon de dépenser l’argent.
Les politiciens et le gouvernement ne devraient pas avoir à se mêler de culture et de création, bien au contraire. C’est aux artistes et aux créateurs de prendre leur place et d’en faire la promotion, et c’est aux amateurs d’arts de décider ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas. En aucun cas le gouvernement ne devrait s’ingérer dans mes choix musicaux, mes lectures ou mon cinéma, que ça soit avec des lois, des règlements ou des programmes de subvention ayant des critères de sélection discutables.
Bref, il faut arrêter de penser que le gouvernement est là pour tout régler, voire tout contrôler, et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne les arts et la culture. Je préfère grandement avoir un ministre des finances pragmatique qui gère son budget efficacement et qui laisse la population s’occuper de poésie.
Guillaume Thériault
St-Augustin-de-Desmaures