Ceux qui me lisent plutôt sur le Web le savent déjà, je tente en ce moment une sorte d’expérience de débranchement. Depuis vendredi dernier et jusqu’au vendredi 5 octobre, je ne fréquenterai pas les médias sociaux, surtout Facebook et Twitter où je suis assez bavard en temps normal.
Il ne s’agit pas d’une cure de désintoxication ou d’un régime que je m’impose pour contrer une certaine boulimie numérique. Un tel débranchement n’est pas non plus très original et n’a aucune prétention scientifique. Je n’entends pas prouver ou démontrer quoi que ce soit. Mon objectif est simplement de réfléchir un peu sur la condition humaine numérique et cet univers en forme de réseau où l’individu doit désormais trouver un sens.
Je constate que, plus souvent qu’autrement, dans nos sociétés ultramédiatisées, les idées sont objet de débats plus que de réalisations. La prise de position semble être devenue une condition pour exister médiatiquement. Il ne s’agit plus ici de commentateurs et polémistes, mais bien de l’ensemble de la population branchée qui prend part à une grande entreprise de diffusion. Le média, c’est moi.
Le temps s’est rétréci. Nous ne parlons même plus de quelques minutes de réflexion. Nous parlons de secondes. Une nouvelle, pour autant qu’elle soit diffusée en ligne, est sujette à une réaction en temps réel immédiate. Elle passe instantanément au crible des émotions pures et du jugement approximatif. L’apparence devient évidence et le réseau s’emballe. L’humour noir et l’humour tout court, les analyses à l’emporte-pièce, les commentaires élogieux ou assassins comme les hauts cris et les révoltes se bousculent sur toutes les plateformes qui s’alimentent réciproquement.
Il faut voir, d’ailleurs, comment les grands médias, aussitôt qu’ils le peuvent, se branchent sur Twitter ou Facebook pour rapporter les propos de l’homme de la rue virtuelle. Les événements sont aussitôt arrivés qu’on nous rapporte les propos de Joe Dude, Johnny33467 ou Yalpé Nismou pour tâter la voix du public.
On nous explique souvent qu’il s’agit en fait des nouveaux vox pop, mais la différence est pourtant fondamentale.
Madame Unetelle questionnée sur la rue est un humain en chair et en os. C’est ce qu’on nous montre et rien d’autre: une dame dans la rue aujourd’hui, vêtue comme elle était vêtue, ni plus ni moins. Bien entendu, le message médiatique ne la concerne personnellement que très peu. Ce qu’on veut signifier, c’est que l’avis de cette dame mérite d’être mentionné et que, donc, la démocratie médiatique fonctionne bien et permet au citoyen – peu importe lequel – de s’exprimer.
Lorsque «les propos des médias sociaux» sont rapportés, la technologie englobe l’image. On nous montre des multitudes d’écrans manipulés du bout des doigts et dévoilant des applications qui ressemblent à des tableaux de bord d’une station en orbite. Les commentaires défilent à une vitesse folle sous forme de liens, d’images et de courtes remarques. Ce n’est plus le «citoyen moyen» qui parle, c’est le réseau lui-même! Le citoyen s’est évaporé.
C’est pour le moins curieux. Alors que le Web a permis l’émergence de ce que nous avons appelé le «journalisme citoyen» visant à donner à monsieur et madame Tout-le-Monde une voix qu’ils n’avaient plus au sein des grandes entreprises de presse, le recours massif aux nouveaux médias semble contribuer à leur effacement.
On ne laisse donc plus la parole à «l’homme de la rue» pour donner au moins l’illusion qu’on s’intéresse à ce qu’il dit. Il est désormais dissimulé, microscopique, formant en quelque sorte l’ADN d’un flux où, pris individuellement, il ne signifie plus rien. Débranché, il disparaît. La participation à la grande conversation est devenue une condition d’existence médiatique. Les médias sociaux se nourrissent des médias traditionnels pour créer un flot bruyant de réactions qui retourne aussitôt vers les stations de télévision, de radio et les journaux. Les médias ne s’adressent plus aux individus et ces derniers n’en consomment plus les contenus: désormais branchés, ils sont devenus eux-mêmes les contenus qu’ils consomment.
Il s’agit peut-être d’une forme avancée d’autocannibalisme numérique…
D’où l’idée d’un débranchement. Non pas pour consommer moins de contenus médiatiques mais pour s’assurer qu’en s’informant – une activité nécessaire – on ne se mange pas soi-même!
Trêve de philosophie, je vous invite à me suivre tout au long de cette expérience sur mon blogue au voir.ca et même à correspondre avec moi pour partager vos réflexions sur la question et sur l’actualité. Eh oui! Vous pouvez utiliser le bon vieux courriel pour me joindre: [email protected].
Au plaisir de vous lire!
Vous dites : » Je constate que, plus souvent qu’autrement, dans nos sociétés ultramédiatisées, les idées sont objet de débats plus que de réalisations. »
J’ai réalisé cela aussi à ma grande peine. Mais il y a un autre réalité, encore plus terrible à mes yeux : internet mettant en lumière les injustices, ne fait rien d’autre que ça. Beaucoup de commentaires sur les blogues pour s’insurger sans que rien ne change. Qu’est-ce que je peux faire ?
A lire justement sur Le Monde : le blogue de Hbert Guillaud s’intitulant « Nous ne serons plus jamais déconnectés… ».
L’auteur y présente une réflexion se rapprochant de la perspective auto-centrée discutée ci-dessus, et la compression de la dynamique temps/espace.
http://internetactu.blog.lemonde.fr/2012/09/07/nous-ne-serons-plus-jamais-deconnectes/
Votre chronique m’a rappelé un évènement récent où j’ai été très étonnée de constater que des journalistes d’expérience, en télévision, ont déclaré la mort d’une personne en se basant sur ce qui se disait sur twitter. Je n’en croyais pas mes oreilles, se fier sur un média où le placottage est roi. C’est ce genre de dérapage qui me fait peur. Cet évènement récent est lorsque Radio-Canada annoncait, le soir des élections, que la personne tuée était le chauffeur du bus des médias.