Au moment où j’écris ces lignes, je réalise que j’ai survécu à la fin du monde. Je ne vous parle pas du 21 décembre 2012 et des Mayas, car au moment où vous lirez ces lignes, vous n’en aurez plus rien à battre de leur calendrier machin. C’est une bonne chose. Non, je vous parle du monde, de l’ensemble des choses créées, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, le profane, le temporel. La fin du monde, donc, c’est en quelque sorte la limite du temps et de l’espace. J’aimerais bien vous dire ce qui s’y trouve, mais comme vous je suis bien baisé, car si quelque chose s’y trouve justement, c’est que la limite du monde n’est pas encore atteinte! Pour y penser, je dois tenter de ne penser à rien. Or ça, c’est l’angoisse… Le rien! Se pourrait-il qu’au-delà du monde, il n’y ait rien, ou autrement dit, que le monde soit tout! «C’est tout»… Voilà, en quelques lettres, une possibilité qui fait obstacle à toutes les rêveries métaphysiques. En question, c’est pire: «C’est tout?»… On n’espère pas de réponse…
— Je t’aime, chérie!
— C’est tout?
Oh fuck… Ça, c’est un vrai cataclysme!
C’est donc à ça que j’ai survécu, que je vous disais. À la fin du monde… Au grand Rien avec un grand R, à ce vide qui nous aspire tous les jours, dans le train-train, minute par minute, centimètre par centimètre, de wagon en wagon, de voiture en voiture, les flots de passants, des gens, peut-être même sur une autre planète, peut-être nulle part, dans mille ans ou dans les premiers grognements de l’humanité, toujours un peu pareils, toujours un peu les mêmes, des gros, des petits, des zèbres, des cons, des baleines… Le grand Rien qui pourrait avaler tout ça. Ça m’obsède un peu. Mais bon, j’y ai survécu. Le monde n’est pas terminé, il y a encore un peu d’espace et un peu de temps. Ayons donc des projets.
— Je t’aime, et c’est tout.
— C’est quand même quelque chose.
Je m’égare un peu. Je voulais vous dire qu’au moment où j’écris ces lignes, nous terminons l’année. Dernière journée au bureau, avec les collègues. Je vous en parle rarement de tout ce beau monde qui n’est pas terminé. Je pourrais écrire toutes mes chroniques sur le même sujet… Ce qui se passe ici, maintenant, alors que nous sommes occupés à réaliser, de semaine en semaine, un hebdomadaire culturel gratuit. Ça ne fait pas grand bruit. C’est pourtant ce qui occupe la vaste majorité de mon temps. Les chroniques, les opinions, les coups de gueule, les bons mots, ce sont des accessoires en quelque sorte. L’essentiel est ailleurs. Rentrer au bureau tous les matins, s’amuser avec les collègues et les amis, discuter avec les attachés de presse, les gens du marketing, les graphistes, ceux qui font la scène, la musique, la littérature, les expositions, le cinéma, les commerces, les restaurants… Trouver du temps et de l’espace pour tout ça. C’est ça qui est important.
Ce n’est rien de facile. Il faut être assez résolu, c’est le moins qu’on puisse dire.
Justement, c’est de résolution que je voulais vous parler. Vous en lirez quelques-unes dans nos pages. Laissez-moi vous parler de la nôtre pour commencer l’année.
Je vous le donne en mille, nous ferons de la convergence. Là où nous sommes, dans les métros, dans les petits commerces, sur la place publique, dans la rue. Je pourrais bien vous en mettre plein la vue avec des envolées esthétiques à propos de la pureté de la création. Permettez-moi de demeurer platement sur le plancher des vaches. Notre résolution continue d’être un média indépendant pour les indépendants… J’appellerais ça de la condivergence… La convergence des divergents. Créateurs, rédacteurs, inventeurs, commerçants, artisans, restaurants, libraires, disquaires, boutiques en tous genres, au nom de mes collègues, je vous fais une grande déclaration, un engagement même: nous allons continuer de porter votre voix, que ce soit par le truchement de la rédaction ou par la publicité et même à travers nos nouveaux projets en ligne comme la Boutique Voir. C’est sans doute notre pari éditorial le plus ferme pour 2013. Appelez-nous, parlez-nous, écrivez-nous… Nous voulons vous entendre et vous diffuser.
Et croyez-moi, ce n’est pas rien!
C’est vraiment quelque chose!
Une petite bactérie se déplaçant sur un globe terrestre n’arriverait jamais à la fin de son monde, elle ne trouverait jamais une frontière ou un précipice, au pire, elle retournerait à son point de départ. Elle pourrait TOUT connaitre de son monde, mais elle n’aurait même pas l’idée de regarder en haut ou en bas, dans deux dimensions que son cerveau bactérien est incapable d’appréhender.
Votre vertige cosmique est similaire à celui de cette bactérie lorsqu’elle se dit « mais il doit y avoir une fin! ». Ce n’est pas le monde qui a une fin, c’est notre manière de penser qui a des limites.
Oui, le monde est ce qu’on en fait, comme un film sur lequel nous projetons nos ignorances et nos confusions. Le monde changera lorsque nous changerons. La job à faire dans ce monde est d’être humain ne l’oublions pas. Essayons la paix cette année.
Le village des irréductibles gaulois, voilà ce que vous êtes, Simon et toute ta gang. Et c’est pour cela que jour après jour je viens vous visiter. J’y viens pour lire, pour écrire mais surtout me retrouver dans un univers différent. Un univers non asseptisé qui se permet de réfléchir, de dire et surtout d’affirmer. Un lieu pour voir différemment et qui me permet de me sentir différent moi qui m’affirme différent, moi qui n’a pas d’amis Facebook, pas de téléphone intelligent, je me sens bien ici sur ce site.
Merci de travailler fort pour continuer à exister. Une année à la fois, une année que je souhaite riche et surtout très longue. Merci aussi d’être un peu baveux, cette salive alimente la réflexion. Merci, point à la ligne.