Le 13 février, j’assistais aux audiences en Cour suprême des appels de Claude Robinson et de ses adversaires. L’ultime étape d’un long combat que je résumais dans un article publié il y a quelques semaines. Je vous l’avoue d’emblée, j’y allais surtout pour soutenir Claude et je souhaitais voir de mes propres yeux cette fin de parcours. J’avais une crainte folle de m’ennuyer royalement. Il faut savoir que bien souvent, même si une cause est passionnante sur le fond, les argumentaires sur des points de droit peuvent devenir très techniques. Contre toute attente, mon inquiétude a été vite dissipée. Ces quelques heures d’audiences s’écoutaient presque comme un très bon polar.
Permettez-moi de vous proposer aujourd’hui quelques impressions à chaud, en toute humilité, car je suis loin d’être un expert en droit.
Sur la question du plagiat, un point débattu dès le départ par Me Lefebvre pour Izard et France Animation, je suis porté à penser que les deux décisions antérieures seront maintenues, à savoir que Cinar et ses complices sont bel et bien coupables de contrefaçon. La démonstration à cet effet est très complexe. En Cour supérieure, il a fallu entendre six témoins et comprendre un rapport d’expert volumineux produit au terme de 600 heures d’analyse. Serait-il judicieux à ce stade-ci de reprendre cet exercice? Il semblerait que non. Une des juges, questionnant Me Lefebvre, a bien résumé ce problème: «Est-ce que vous nous demandez de refaire tout le procès?» Une question qui laisse entendre qu’il n’appartient pas à la Cour suprême de recommencer cette vaste analyse pour comparer des personnages de dessin animé. Le premier juge a eu accès à des preuves et des témoignages de première main, il a passé un temps considérable à comprendre les divers arguments et il a tranché, il serait vain de revenir sur cette question, d’autant plus que la Cour d’appel a maintenu le constat du juge de première instance.
Ce point ne me semblant pas poser problème, il reste donc la fameuse question du calcul des profits et des dommages. Il y a bel et bien eu plagiat, mais combien ça vaut? J’ai l’intime conviction que Claude Robinson se retrouve ainsi dans une position où il pourrait faire des gains considérables, notamment en ce qui concerne les revenus issus des droits musicaux versés aux producteurs. Rappelons que la Cour d’appel avait retranché 1 117 816$ des profits en jugeant que la musique était dissociable de l’œuvre. Une décision pour le moins curieuse, car «l’œuvre cinématographique» contrefaite dans ce cas-ci, c’est bel et bien la série Robinson Sucroë, prise comme un tout et mise en marché comme telle pour réaliser des profits.
De manière assez amusante – si tant est qu’on puisse en rire –, la partie adverse a tenté de faire valoir que ces profits sont comparables à la vente de pop-corn dans une salle de cinéma, parlant de profits indirects qui n’ont rien à voir avec la contrefaçon comme telle. Difficile d’être convaincu d’une telle avancée un peu loufoque, et la contre-argumentation de Me Gilles M. Daigle, représentant Claude Robinson, m’a semblé d’une solidité à toute épreuve, citant entre autres à l’appui des contrats entre Cinar et ses complices où la définition de l’œuvre mentionne toutes ses parties, incluant nommément et sans équivoque la musique. Les juges ont d’ailleurs trouvé assez amusante sa dernière remarque: «Vous voyez bien qu’il n’est pas question ici de pop-corn!»… En effet. Le pop-corn ne fait pas partie d’une œuvre cinématographique et n’est pas mis en marché par les producteurs. La musique, ça ne fait aucun doute, fait partie intégrante de l’œuvre.
Il me semble beaucoup plus hasardeux, pour l’heure, d’évaluer les possibilités de gains pour Claude Robinson en ce qui concerne la solidarité de Cinar et ses complices ou l’évaluation des profits, des dommages punitifs et des dommages-intérêts. Je suis d’avis que les droits musicaux ont de très bonnes chances d’être remis dans la colonne des revenus, mais pour le reste, il s’agit de questions complexes dont certaines reposent sur une analyse de la jurisprudence.
J’ai donc bon espoir que sur le fond, la question du plagiat ne soit pas remise en question dans la décision de la Cour suprême et que le montant que pourrait obtenir Claude Robinson soit bonifié. J’ignore, par ailleurs, combien ces démarches en Cour suprême ont pu coûter en frais d’avocats. Ce que je sais, par contre, c’est que le fonds d’aide mis sur pied par la SARTEC et l’Opération Claude Robinson a été suffisant pour payer la presque totalité des débours.
Une inquiétude majeure demeure cependant: si les complices de la contrefaçon ne sont pas condamnés solidairement, cette histoire serait loin d’être terminée, car Claude devrait courir après son argent auprès de compagnies étrangères comme France Animation et Ravensburger, ce qui n’est vraiment pas simple. On imagine alors d’autres coûts pour des démarches longues et compliquées. Je souhaite au plus haut point que la Cour suprême se rende à l’évidence qu’une telle décision ne ferait que perpétuer une mascarade qui dure depuis beaucoup trop longtemps et aurait pour effet net de réduire à néant les éventuels gains de Claude Robinson… Mais soyez bien certains qu’à ce moment-là, les amis de Claude Robinson – dont je suis – seraient encore à ses côtés pour l’aider moralement et financièrement.
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Voilà donc… C’est terminé. À l’extérieur de la Cour suprême, une drôle d’ambiance planait entre nous, une sorte de sentiment à mi-chemin entre la fatigue, la fierté et la fatalité. Claude venait de mettre le point final à plus de 17 ans de combat. J’ai peine à imaginer ce qui lui passait par la tête en descendant l’escalier vers la sortie. Il ne lui reste plus qu’à attendre le jugement. Nous avons fait quelques blagues et nous nous sommes quittés pour le retour à Montréal.
Dans l’empressement et l’effervescence de la discussion à propos de cette journée d’audiences, j’ai oublié de lui dire quelque chose d’important.
Bravo, Claude. Dans mon cœur – et je crois parler au nom de pas mal de monde en te disant cela –, c’est toi le gagnant.
J’ai assisté moi aussi au dernier round de Claude Robinson dans l’édifice de la Cour suprême du Canada. Je réalise en voyant votre photo que vous étiez assis en avant de moi après avoir été assis sur le côté le long du mur à droite.
Je partage vos impressions à chaud. J’étais juriste avant ma retraite et il m’est arrivé une fois de devoir soumettre une opinion juridique sur les droits d’auteur. Ce n’est pas facile. Mais je n’ai jamais eu à étudier le problème lié aux profits ou à la solidarité dans des cas de fraude ou plagiat. La décision à venir permettra d’en apprendre pas mal à ce sujet j’imagine. Je me croise les doigts comme tout le monde pour que les complices dans l’action demeurent complices dans la réparation.
Bonjour monsieur Jodoin,
j’apprécie vos articles et le long et dur combat de Claude Robinson. J’avais même rencontré Claude au début de son combat puisque je venais de remporter une victoire pour plagiat musical et quelqu’un nous avait mis en contact J’ai donc beaucoup de sympathie pour Claude et espère de tout coeur avec vous qu’il va gagner.
Si je peux me permettre un commentaire, il y a une chose qui pourrait être plus claire dans la facon dont vous parlez de la musique dans vos articles. Vous ne parlez pas du (ou des) compositeurs (qui eux aussi ont des droits). Partons du début , le compositeur crée une musique originale pour une série. A ce moment la 100% des droits lui appartiennent. Ensuite les producteurs peuvent parfois lui demander de céder une part éditoriale. Cette part ne peux excéder 50%. Donc dans les normes de l’industrie le compositeur conservera toujours au moins 50% des droits Disons que c’est le cas ici 50-50 entre compositeur et éditeur. La Socan qui percoit les droits va faire deux chèques et les envoyer directement 1- au compositeur et 2- a l’éditeur (dans ce cas ci le producteur, éditions Cinar ou quelque chose du genre) Donc le compositeur recevra ses droits directement chez lui au fur et a mesure de la diffusion (avec un délai quelque mois) . Je ne connais pas les détails de la cause mais si les éditions Cinar ont recu 50% des droits et qu’ils ont recu 1 million , ben cela signifie que le compositeur a recu un million aussi directement chez lui…. Par contre si la somme de 1 million représente la totalité des droits ca signifie qu’il y a 500,000 pour le compositeur et 500,000 pour l’éditeur..Les sommes ont aussi pu etre gelés en attendant une décision de la Cour mais comme c’est 4 paiements par année, certaines ont probablement du etre déja versés Bref, globalement, et en résumé c’est la facon de procéder. Ici je veux surtout préciser que les sommes ne s’en vont pas toute chez le producteurs C’est traité a part… C’est ce qui nous permet les compositeurs de recevoir les sommes sans courir après…. C’est donc très important pour nous
Cela dit, je suis quand même d,accord avec vous que la part qu’a recu les producteurs fautifs devrait etre remis a Claude. Mais pas la part du compositeur (je ne connais pas votre position la dessus puisque vous ne parlez pas du compositeur) Mais la nuance ici est que la part du compositeur pour sa musique (musique originale on s’entend) ne peux pas lui etre enlevé Si il a composé la musique originale d’une série plagiée. sa musique n’en demeure pas moins originale. (phrase a relire mais qui résume tout) Vos articles ne parlent pas de ca…. Et je trouve ca important de le dire car le compositeur n,a pas a devenir une victime, a son tour, en composant de bonne foi la musique originale d’une série, avant les poursuites, et se faire enlever tout ses droits et redevances alors qu’il n’a rien plagié lui…. On ne peux plagier la musique de quelqu’un (Claude) qui ne compose pas une seule note….Je voulais aussi préciser que la musique n’appartiens pas automatiquement 100% aux producteurs , comme on pourrait le penser en lisant vos articles, et que les droits du compositeurs lui sont versé directement.Il ne faut pas perdre cela de vue. Je ne vois pas comment cela puisse etre autrement a moins que ces producteurs, ait trouvé en magouillant, une facon tordue de s’accaparer tout les droits musicaux du compositeur (si cela a rapporté un million et que le compositeur a vendu cela pour exemple 25,000 $ en se croyant chanceux, avouons qu’il s’est fait avoir) Mais ce serait surprenant puisque les compositeurs professionnels de facon générale connaissent très bien les rouages. Comme je vous disais je ne connais pas les détails de la cause mais je connais assez bien les droits des compositeurs.
Enfin je voulais juste apporter cette précision Pour le reste, oui, je suis d,accord avec vous ,que les producteurs fautifs payent tout ce qu’ils ont touché en volant le concept et les personnages de Claude, incluant la part éditoriale musicale qu’ils ont recu Comprenez moi bien je suis d’accord avec vous la dessus. Je voulais juste qu’on oublie pas le ou les compositeurs dans l’histoire… qui eux ne devraient pas être puni si ils ont composé de bonne foi la musique d’une série plagiée. Puisqu’on parle de respect des créateurs et des droits et de la défense de la création originale. Et dans le contexte ou la musique de cette série est une création originale , on doit respecter les droits de celui qui a créé cette musique Cette cause doit faire avancer le respect des droits des créateurs donc elle ne peux diminuer ceux des compositeurs,… autrement dit. Voila c’est tout J’ajouterais que ma cause a duré 3 ans (Victoire en juin 91) j’en suis remis depuis fort longtemps mais j’ai trouvé ca très dur mentalement a l’époque Je dois dire que je trouve la résistance de Claude, a cet égard, au dela des limites humaines… J’espere donc a cet égard que les dommages punitifs aussi seront très élevés et espérons que ca se termine bientot pour Claude par une victoire finale et que les fautifs lui remettent tout ce qu’ils ont touché en exploitant cette série. Je vous remercie, j’espère avoir été clair, ma lettre défend les mêmes principes que Claude, mais… autour de lui, ;-)
Merci beaucoup de m’avoir lu, monsieur Jodoin, et je vous souhaite une bonne journée
PS: Voici en référence le lien du jugement victorieux de ma cause (juin 1991) sur le site officiel de la Cour Fédérale
http://decisions.fct-cf.gc.ca/fr/1991/t-1283-88_38262/t-1283-88.html
René Grignon
compositeur
Monsieur Jodoin, j’étais aussi de ceux qui se sont rendus à la Cour suprême pour appuyer Claude et en lisant votre compte rendu, je trouve qu’il reflète bien ce que j’ai moi-même senti. Je croyais que je n’entendrais rien au jargon juridique. Or, si je n’ai pas tout pigé, je crois avoir saisi l’essentiel et je n’ai pas vu le temps passer non plus. Il me semble aussi que (hormis un ou deux bâillements de la juge en chef et le «power nap» d’un confrère après le dîner, petits événements moliéresques…) nous étions devant des hommes et des femmes de loi qui comptent parmi les plus grands et les mieux équipés au pays, et tout ce que nous pouvons dire maintenant c’est: Alea jacta est!, tout en se croisant les doigts bien fort. Je lis aussi la réaction de monsieur René Grignon, qui est un de mes amis personnels, et avec tout le respect que j’ai pour ce dernier, j’aimerais valider ma perception des choses auprès de vous, au sujet des droits musicaux. Je résume, bien sûr, puisque le diable est dans les détails, et particulièrement dans cette cause: Claude a demandé «d’inclure» dans sa poursuite les droits perçus par Les Éditions de la rue Saint-André, maison d’édition créée par Cinar à l’époque dans le seul but de percevoir des droits. Claude a cependant demandé «d’exclure» les compositeurs de sa poursuite, justement pour que ces derniers puissent «conserver» et «jouir», en «tous temps» de leurs «droits» sur lesquels, je le répète, Claude n’a jamais eu de prétention. Voilà ma compréhension de ce qui a été plaidé à la Cour suprême de Canada le 13 février dernier, en écho à ce qui avait déjà été plaidé, et à la cour supérieure et à la cour d’appel, par Claude et ses avocats. Si j’ai raison sur ce point, on aurait tort de dire que Claude prétend se servir dans l’assiette des compositeurs et des ayants droit. Cela dit, on souhaite à Claude de recouvrer tout ce qui lui est dû: reconnaissance, dommages, intérêts, etc. En attendant, nous lui devons le plus profond respect, et j’ai bien aimé voir ce titre de Marc Cassivi «Robinson dignité» dans La Presse du 14 février. Au plaisir, Isabelle Doré
La cause de Claude Robinson me bouleverse. L’acharnement monstrueux contre lui est indécent.
Une méga-machine de justice constitués de gens intelligents contre une méga-machine d’affaire mercantile qui se bouffent mutuellement des millions de dollars en argumentant pendant des années à prouver le pour et son contraire.
Et ce, devant une évidence qui n’a pas besoin de preuves extraordinaires! Des faits TELLEMENT ÉVIDENTS pour le commun des mortels contre de lourdes procédures TELLEMENT MANIPULÉES !
ET un SEUL homme que l’on saigne à blanc, qui paye le prix de sa vie, sa précieuse vie qu’on lui vole encore et encore sans vergogne au même titre que ses droits d’auteur.
Dépossédé de son essence et obsédé de justice devant une machine qui n’a comme objectif qu’il succombe. Jeu infâme. C’est à crier à l’injuste la plus basique.
Je ne peux qu’admirer la force de monsieur Robinson et la rigueur journalistique de gens comme vous, monsieur Jobin.