Lundi matin, 25 février, à l’aube du Sommet sur l’enseignement supérieur, on pouvait lire dans les médias que les bureaux de Pierre Duchesne, Jean-François Lisée et Léo Bureau-Blouin, trois élus du PQ, avaient été vandalisés. Vitres brisées et peinture rouge par endroits. On ignore par qui, évidemment. Des étudiants? Peut-être, mais peut-être pas, aussi. Mais bon, il faudrait être naïf pour y voir un simple hasard et ne pas déceler dans ces performances – car il s’agit bien de manifestations presque artistiques – la signification même de la couleur rouge, devenue en quelque sorte le symbole d’une protestation qui dépasse de loin les désaccords à propos des droits de scolarité.
Certains ont porté le rouge, d’autres souhaitent en faire une marque de la honte. Le carré rouge en feutre est porté avec une épingle, indiquant qu’on peut l’enlever, qu’il est contextuel, relatif à une situation qu’on peut éventuellement corriger. C’est là, je pense, ce que portaient la vaste majorité des citoyens qui marchaient dans les rues au printemps dernier. Un carré de l’indignation face à un gouvernement qui, tout en refusant de dialoguer avec les étudiants, banalisait le lourd brouillard de corruption et de collusion qui bloquait l’horizon politique. Un gouvernement qui, aussi, faisait la sourde oreille aux cris d’inquiétude en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles.
Voilà des situations qu’il est possible de corriger non pas en marchant dans la rue à perpétuité, mais en s’imposant un long et difficile travail politique. Se faire élire n’est pas la seule option, mais c’en est une et c’est le choix qu’ont fait Duchesne, Lisée et Bureau-Blouin. Difficile de classer ces derniers dans la boîte des collabos du grand complot du capitalisme mondial. Pas plus tard que l’an dernier, ils étaient plusieurs à soutenir Lisée alors qu’il enfilait les gants pour mettre la droite K.-O. Pas certain qu’il ait gagné le combat, mais force est d’admettre qu’il a sauté dans le ring. Il serait aussi pas mal risqué d’avancer que Bureau-Blouin, leader étudiant bien en vue du printemps dernier, est subitement devenu un larbin à la solde du 1% en se faisant élire.
Mais voilà… Le rouge. Pour une certaine frange des protestataires, appelons-la radicale, c’est une couleur qu’on ne peut retirer de son veston. C’est une couleur qui tache à jamais, qu’on s’impose jusqu’à ce que tout, ici et maintenant, soit obtenu intégralement. Vous retirez votre carré rouge? Ce n’est rien d’autre que de la traîtrise. Pour quelques-uns, il ne s’agit pas de participer à des discussions, de travailler des dossiers, de négocier avec des intervenants: l’objectif est de faire tomber immédiatement le grand complot du capitalisme totalitaire mondial.
C’est là la différence entre la peinture rouge, utilisée pour vandaliser des bureaux de députés, et le carré rouge, que même votre grand-mère portait au printemps dernier. Ce carré, on peut l’enlever librement si le cœur nous en dit et au gré du contexte. La première, il faut la laver. L’un est une marque, l’autre est une tache.
J’entendais cette semaine des étudiants fâchés de l’ASSÉ déclarer grosso modo que le gouvernement niait purement et simplement les bases de ce qu’on a appelé le Printemps érable auquel «l’ensemble des citoyens» aurait participé en réclamant la gratuité scolaire. Derrière eux, des cris et des slogans contre le capitalisme mondial et pour la révolution totale.
Voilà un calcul politique pour le moins bizarre… Il faut se gonfler le cerveau à l’hélium pour croire un seul instant que le quidam moyen qui jouait de la casserole projetait un renversement total de l’État. Et pour le con ordinaire que je suis moi-même, toute action visant à faire de Lisée, Duchesne et Bureau-Blouin des traîtres à la grande cause n’est pas simplement une erreur, mais de la niaiserie pure et simple.
Il serait périlleux de croire un seul instant que la révolte – mot que j’utilise faute de mieux – du printemps dernier appartenait à la gauche radicale ou en épousait intégralement les fondements idéologiques. Mon petit doigt me dit que la vaste majorité des joueurs de casserole jouaient leurs partitions contre le cynisme et l’intransigeance du gouvernement Charest, espérant le renvoyer au plus vite dans l’opposition. Comme ceux qu’ils ont élus, ils ont rangé leur carré rouge au retour des vacances sitôt que cet objectif a été atteint.
J’ai bien peur que ceux qui voudraient maintenant s’approprier l’indignation printanière en l’assimilant à une manière de révolution intégrale ne trouveront pas grand monde pour marcher avec eux.
Ils risquent plutôt de se peinturer dans le coin. Avec du rouge, évidemment.
Printemps érable
Au printemps, les Québécois dégèlent. Ils veulent sortir dehors prendre du soleil. C’est comme cela depuis 1608, avec Champlain. Traditionnellement, c’est le Club de hockey ‘’Le Canadien’, qui annoncait le printemps en participant aux séries de la Coupe Stanley. Je suis profondément convaincu que si le Canadien n’avait pas été empêché de participer aux séries, que s’il avait lutter jusqu’au bout pour La Coupe, nous n’aurions pas connu les casseroles, Anarcopanda et les autres Énervés.
De plus, cette expression représente bien le syndrome de ‘’L’enflure verbale’’ qui affecte les Québécois. Il faut dire que l’exemple vient de haut, quand on voit Bernard Landry se proclamer ‘’Brave’’ après avoir signé une entente ‘’La Paix des Braves’’ qui donne 4 milliards à une petite tribu indienne du nord. Pouvons nous nous comparer aux Printemps Arabes ? Avec ses morts.
Propos fort intéressants, Monsieur Jodoin.
J’ajouterai, pour ma part, que lorsqu’au printemps dernier notre nouvelle première ministre Pauline Marois a décidé de s’épingler un carré rouge sur ses propres vêtements, ce n’était aucunement par affiliation idéologique. Pas plus que sa sortie dans la rue pour taper de la casserole…
Ce n’était vraiment que par opportunisme. De bas étage, de surcroît.
Un calcul politique mal avisé. Un comportement l’ayant subséquemment privée d’obtenir un gouvernement majoritaire. Un avis que partage d’ailleurs bon nombre d’observateurs de la scène politique. Car cela l’a privée de l’appui aux urnes du deux tiers des électeurs et électrices.
Ce qui était assez prévisible, tout compte fait, lorsque l’on se range du côté d’une minorité radicale étudiante. Et surtout d’une minorité radicale ayant forcé la majorité étudiante récalcitrante à suivre malgré elle ou, sinon, à se placer – chacun et chacune préférant assister à ses cours – en mauvaise et inquiétante position face aux plus exaltés, en n’arborant pas de carré rouge et en ne prenant pas part aux blocages à répétition des rues.
Des votes à main levé, tenus lors d’assemblées générales houleuses, où toute réelle démocratie aura été cavalièrement évacuée, ont ainsi faussement donné à penser – si on n’y pense pas vraiment… – que le mouvement étudiant était le fait d’un bloc compact et majoritaire d’étudiants.
Mais le deux tiers des électeurs et électrices n’a pas du tout apprécié d’être malmené tout au long du printemps. D’être quotidiennement empêché de vaquer à ses occupations, de se rendre sans problème (autre que selon les caprices de la météo) à son travail. Et tout ça à cause d’une minorité étudiante radicale (pourtant déjà choyée côté coûts de l’éducation supérieure) qui réclamait à grands renforts de nuisance le beurre et l’argent du beurre.
Le beurre et l’argent du beurre que sitôt élue première ministre (minoritaire) Mme Marois s’est empressée de donner. Sans que personne ne se soucie particulièrement de la qualité et de la fraîcheur de la tartine sur laquelle le beurre serait étalé…
En bout de ligne, avec de consternantes coupes dans les budgets des universités pourtant en urgent et criant besoin de fonds additionnels pour relever sans plus attendre le niveau et les conditions de l’éducation supérieure dispensée. Des diplômes en bois, voilà vers quoi nous nous dirigeons à présent. Fussent-ils en bois d’érable… cela n’y ajoutera pas le moindre goût sucré et agréable.
Mais il fallait bien entendu que Mme Marois tienne parole. Alors, voici le beurre et l’argent du beurre. On pigera dans les fonds qui auraient dû être alloués aux universités, et on en retranchera même qui avaient pourtant déjà été alloués pour l’année en cours.
De quoi se sentir – si on a vraiment à cœur l’excellence et le véritable désir de voir le Québec de l’avenir être en mesure de relever avec succès tous les défis auxquels il aura à faire face, devant se mesurer sans cesse aux autres de partout de par le vaste monde – de quoi se sentir, donc, rouge de honte.
(Mais ceci n’est que mon appréciation bien personnelle de la situation. Encore que plusieurs observateurs choqués par la tournure navrante des choses aient également souvent indiqué partager ce que je ressens.)