Selon le dictionnaire Littré (1863-1877), les «lettres» désignent les connaissances que procure l’étude des livres. Une définition qui donne un peu le vertige et qui inclut à peu près tout le patrimoine textuel de la civilisation. On comprend que la «littérature» dépasse de loin le champ de la création littéraire. Il s’agit de l’ensemble de la production écrite publiée depuis l’aube de l’humanité: philosophie, histoire, textes sacrés, grandes œuvres romanesques, classiques des sciences humaines, mémoires, monographies, essais, poésie, etc.
Or, on apprenait il y a quelques jours que le ministère de l’Éducation allait changer le nom du programme collégial «arts et lettres» pour le rebaptiser au goût du jour. Ce vaste champ de connaissance sera désormais tout inclus sous l’appellation «culture et communication». Ainsi, la littérature — les lettres — ne serait plus qu’un segment, un item parmi tant d’autres au sein d’un programme qui a pour mission de les englober.
Ce qui fait sourire, c’est l’explication que rapportait Lisa-Marie Gervais dans Le Devoir du 8 mai dernier en citant les propos de David Descent, conseiller pédagogique au cégep régional de Lanaudière. Selon ce dernier, «le ministère voulait répondre aux préoccupations des étudiants pour qui le terme communication avait davantage de résonance, comparativement au mot lettres, qui fait un peu vieilli.»
Coquin de sort! Ce changement d’appellation serait en fait un rebranding marketing, visant à attirer plus de clients! Troquer les lettres pour la communication remplirait d’abord et avant tout un objectif de… communication! Il nous fallait un nouveau logo — à défaut de valoriser le logos, aurais-je envie d’ironiser.
On ne se désolerait pas pour un simple changement de nom s’il n’était pas porteur d’un déclin du discours qui semble désormais ébranler même les institutions d’enseignement. Comprenons bien ce qu’on nous dit ici: les communications précèdent en quelque sorte la connaissance que procure l’étude des livres. Les premières sont essentielles et nécessaires, la seconde est accidentelle et optionnelle. Communiquez d’abord et surtout… vous lirez si le cœur vous en dit un jour, plus tard, peut-être.
Je ne sais si les politiciens qui s’amusent ainsi au jeu du marketing du savoir comprennent jusqu’à quel point ils fournissent, ce faisant, un exemple patent de ce qu’ils sont eux-mêmes devenus. Car la politique est désormais de bout en bout «communication». Ce sont des firmes où sévissent des stratèges du spin qui produisent la vaste majorité du discours politique. Rares sont les élus qui s’aventurent à discourir sans avoir consulté au préalable leurs conseillers en communication. Et s’il s’en trouve un téméraire pour avancer ses idées au gré de son inspiration dans ses prises de parole, on aura tôt fait d’envoyer une armada d’experts-conseils munis de lignes simples pour faire comprendre à tous qu’il n’a pas dit ce qu’il a dit et que, du coup, il ne faut pas comprendre ce que nous avons compris.
Ça me donne une idée. Peut-être que les sciences politiques devraient elles aussi se ranger dans un programme de communication…
Ce rebranding visant à mettre au rancart une notion jugée trop vieillie cache aussi une sorte de culte de l’immédiateté. Les lettres réfèrent au patrimoine, à tout un passé d’écriture. C’est long à produire et long à consommer. Il faut du temps. Beaucoup de temps. Les communications concernent le hic et nunc, le flux en temps réel, la réaction plus que la réflexion. Il faut parler, vite.
Il est pour le moins curieux de constater que c’est dans ce culte de l’immédiateté, dans ce ménage au sein des vieilleries littéraires, que l’on propose aussi de parfaire les connaissances historiques des étudiants et de la population en général… Comme si l’histoire, justement, n’était pas affaire de lettres! Il n’y a pourtant qu’un seul moyen de fréquenter et de comprendre les moments du passé: la lecture. Lire constamment. Le dialogue avec les figures et les moments du passé ne se termine jamais. On fait toujours de l’histoire en lisant Platon, Camus ou Prévert. Pourtant, on semble nous dire ici qu’un simple calendrier devrait pouvoir remplacer la somme des ouvrages qui nous permettent d’entrer en relation avec ceux qui nous ont précédés.
L’histoire devrait donc, elle aussi, être «communiquée» ici et maintenant. On vous donnera quelques noms, quelques dates, vous apprendrez à tout remettre dans l’ordre. «C’était quand, ça déjà ?»… Consultez votre agenda.
Et pour communiquer avec les morts, procurez-vous vite un Ouija. Ça ira plus vite, ce sera en temps réel et vous trouverez des réponses à vos questions. Laissez tomber la lecture.
Car les lettres, ça n’existe plus. Désormais, on communique.
Et nous, nous serons des morts-vivants.
Quelqu’un qui entre au Cégep et qui songe à se spécialiser en biologie, lorsqu’il entrera à l’université, sera admit dans le programme « Sciences pures & appliquées ». Il en va de même pour celui ou celle qui veut se spécialiser en mathématique, ou en physique, ou en chimie, ou en électronique, ou en informatique, parce que ce sont tous des disciplines qui font partie des sciences pures et appliquées.
Mais qu’en est-il de celui ou celle qui veut (éventuellement) se spécialiser en journalisme, ou en littérature, ou en cinéma, ou en théâtre, ou en musique, ou en chorégraphie, ou en peinture, ou en histoire de l’art, ou en histoire tout court? Comment devrait s’appeler le programme qui introduit l’étudiant à toutes ces disciplines? Il faut sans doute un nom qui soit suffisamment englobant pour englober toutes ces disciplines.
Entre les termes « arts », « lettres », « culture », et « communication », le moins englobant s’avère être le deuxième : lettres. Les lettres, ou son synonyme, la littérature, font partie des arts, comme les arts en général font partie de la culture. Mais les arts en général sont aussi des moyens d’expression, donc de communication, au même titre que le journalisme et l’histoire.
Mais pourquoi faut-il penser qu’un titre englobant doive nécessairement déprécier l’une ou l’autre des disciplines qu’elle contient? Il me semble qu’il est plus juste de dire que les moutons font partie des mammifères que l’inverse. Et c’est justement ce type d’aberration qu’on a corrigé en changeant le nom d’un programme d’études au Cégep, sans lui soustraire de cours, mais en lui ajoutant quelques cours d’histoire.
Je suis de ceux qui déplore que la littérature (tout comme l’histoire d’ailleurs) est de plus en plus délaissée par les étudiants, mais le changement de nom de programme auquel on vient d’assister n’y est pour rien. Ce changement de nom n’a fait que mettre fin à une anomalie (pour ne pas dire une aberration). Mais enfin, j’imagine que les chroniqueurs auront toujours besoin de chroniquer…
Ce changement ne témoigne-t-il pas du prosaïsme ambiant de l’époque ? La survie qui prend le dessus sur la vie : manger, dormir, communiquer. Aldous Huxley mentionne que de tout temps les hommes convenaient qu’ils devaient encadrer les somatotonics vu le danger qu’ils représentent pour leur communauté (La philosophie éternelle). Il semble que ce ne soit plus le cas.
Il me semble, M. Jodoin, que cette fois vous y allez fort pour un petit rien du tout: se référer à une des définitions du mot « lettres » qui remonte à plus de ± 125 ans pour critiquer un changement d’appellation. Pas très convaincant. De plus vous écrivez une fausseté en affirmant « Il n’y a pourtant qu’un seul moyen de fréquenter et de comprendre les moments du passé: la lecture. Lire constamment. ». Pourtant depuis plus de 50 ans au moins, les innombrables documentaires et conférences vus et/ou entendus à la radio et/ou à la tv et/ou au cinéma sans oublier les expositions dans les musées, sont des sources devenues aussi inépuisables de connaissances du passé. Je suis porté donc à faire mienne la remarque ci-haut de M. St-Amant à savoir « j’imagine que les chroniqueurs auront toujours besoin de chroniquer… ». Sans rancune …