Théologie Médiatique

La laïcité catho

La Cour d’appel a tranché cette semaine en infirmant la décision du Tribunal des droits de la personne. Le maire de Saguenay, Jean Tremblay, pourra continuer de réciter la prière avant les séances de son conseil municipal. Interrogé par La Presse Canadienne, il se disait satisfait et y allait de ce grand cri du cœur: «Je lance un appel aux Québécois de se tenir debout pour conserver nos valeurs, nos traditions, qui ont fait ce qu’il y a de plus beau au Québec.»

Nos valeurs. C’est le mot en vogue. Pas la religion, pas les croyances, pas la foi qui déplace des montagnes, mais bien les «valeurs». J’aimerais dire au passage que ce qu’il y a de plus beau au Québec, selon mon humble perspective, ce sont les montagnes avant que la foi n’allume les zélotes de tout acabit pour les déplacer, justement. Mais bon, je m’égare.

Selon ce qu’on comprend, c’est que toute cette rocambolesque saga aurait été menée pour défendre «nos valeurs». Voilà qui est curieux, car interrogé en février 2010 lors de la première instance, monsieur Tremblay avait confirmé un autre objectif: «Ce combat-là, disait-il à l’époque, je le fais parce que j’adore le Christ, je veux aller au ciel et c’est le plus noble combat de toute ma vie.»

Il y a, dans ces deux citations du maire Tremblay, tous les éléments nécessaires pour saisir l’essentiel du malaise québécois. D’abord, il faudrait se «tenir debout», un peu comme si nous nous apprêtions à nous coucher devant un assiégeant sur le point de nous passer sur le corps. Ensuite, il y a une sorte d’amalgame entre nos valeurs et nos traditions affirmées au pluriel, laissant entendre que «nous» les partageons également et de la même manière. Finalement, on retrouve ce restant d’adoration chrétienne, dissimulé quelque part, qui nous rejoint en fin de compte. On croit se battre pour «nos valeurs» et hop!, ben non, finalement, on se rend compte que c’est le Christ qu’on adore, ce qui est plutôt torvisse en ces temps de dévotion laïque.

Car il y a un peu de ça, aussi, du côté de quelques combattants laïcs. Une forme de dévotion. Une sorte de foi tout aussi dégoulinante que celle de Jean Tremblay. En cette époque qui est la nôtre, l’absence de tout symbole religieux est devenue, pour certains, aussi sacrée que leur présence. J’irais même jusqu’à dire que les pires dévots que j’ai rencontrés dans ma vie étaient athées. Mais c’est une autre histoire.

C’est cette confession laïque et «nos valeurs» dissimulant un vieux fond catholique qui s’affronteront sur la scène politique provinciale au cours de l’année, probablement cet automne. Un peu comme si ce jugement de la Cour d’appel servait à mettre la table pour ce débat à venir à propos de la fameuse Charte de la laïcité promise par le PQ lors de la dernière campagne électorale. On s’en souvient, il s’agissait de clore le débat, selon les mots de Pauline Marois, «une fois pour toutes». Or, vous allez rigoler, on a appris cette semaine que cette Charte porterait un nouveau nom. Je vous le donne en mille… Elle s’intitulera «Charte des valeurs québécoises». Bref, tout le Québec deviendra un gros Saguenay où on défendra, en se tenant debout, évidemment, «nos valeurs»… Par adoration dissimulée? On verra… Mais Pauline Marois n’en manque pas une. Dès qu’on lui parle du fameux crucifix de l’Assemblée nationale, elle ne rate pas une occasion pour le comparer à la croix du Mont-Royal. C’est devenu sa ligne favorite. C’était encore le cas en mars dernier, lors d’un entretien avec Jean-Michel Demetz, journaliste à Le Vif/L’Express, en Belgique: «Ce crucifix ne nous gêne pas, disait-elle. Nous ne prions pas à l’Assemblée, mais nous ne pouvons pas renier ce que nous fûmes à l’origine. Nous n’enlèverons pas non plus la croix plantée au sommet du Mont-Royal et nous continuerons à fêter Noël!»

Il faudrait bien qu’un jour Pauline Marois se rende compte que le Mont-Royal n’est pas le siège du gouvernement. Ça lui éviterait de jouer du tam-tam démagogique.

Quoi qu’il en soit, ce qu’on peut retenir, c’est que dans toutes ces discussions, les Québécois veulent se tenir debout pour défendre leurs valeurs devant… les Québécois! Il n’est pas ici question de vitres givrées dans un YMCA, de merguez à la cabane à sucre ou de femmes immolées dans les rues d’Hérouxville. Dans le débat sur la laïcité dont on a tant parlé depuis quelques années, les deux pôles d’opposition sont en fait l’État qu’on voudrait religieusement neutre et notre vieux fond catho.

Certes, on vous dira, comme le faisait Pauline Marois l’été dernier, qu’une telle Charte réglera tous les épineux ennuis de repas dans les cafétérias des écoles. Mais le problème est ailleurs… C’est notre propre vin de messe qui est au menu. Avouons-le simplement: c’est nous-mêmes que nous voudrions accommoder raisonnablement. «Se tenir debout», comme disait le maire Tremblay? Mais devant qui au juste?

Devant le miroir, peut-être… Serait-il possible que nous nous craignions nous-mêmes et que, finalement, toutes ces histoires de merguez à l’érable montées en épingle ne fussent que des prétextes pour ne pas regarder les choses en face?

Toujours est-il qu’à se contempler l’âme, il faudra bien réaliser ce que ça signifie de troquer «la laïcité» pour «nos valeurs», dans cette fameuse Charte qui risque fort d’être la prochaine patente à gosse qu’on nous bricolera à la va-comme-je-te-botte-le-menton.

Ça signifie que nous ne parlerons justement pas de laïcité. Nous dirons que nous fûmes cathos, et qu’on en fume encore… et du bon!

Alors, pour le menu halal à la cafétéria, cessez de rigoler un peu. Le vendredi, c’est du poisson. Par tradition, évidemment.