Théologie Médiatique

Manuel de survie à l’usage de ceux qui devront affronter la difficile conversation identitaire avec monsieur et madame Tout-le-monde

Bon, ça y est… Il semble que nous n’aurons pas le choix de sauter à pieds joints dans la partie de ballon-plage de la crise identitaire. C’était peut-être écrit dans le ciel – pardonnez-moi ici ce jeu de mots astrologique. Quoi qu’il en soit, chose certaine, comme moi vous aurez encore à mener de difficiles discussions à ce sujet entre amis et voisins. Qui sait, peut-être êtes-vous aussi un média-humain qui doit affronter toutes les heures du jour un flux de messages sur les médias sociaux où les débats sont nombreux? Dans tous les cas, avant de se lancer dans l’arène, il faut savoir repérer les traditionnels arguments qui n’en sont pas, mais qui, curieusement, sont ceux qu’on entend le plus souvent. Ne craignez rien, comme vous le savez, je suis un gentleman motivé par l’altruisme et je suis toujours prêt à aider mon prochain. Pour vous accommoder, je vous propose aujourd’hui une sorte de guide de survie au pays des arguments à la croque-moi-la-ficelle qu’on vous servira à coup sûr. Vous saurez maintenant les reconnaître!

Et n’oubliez pas… Si ça se corse et que la situation devient intenable, rabattez-vous sur la commission Charbonneau ou les élections municipales comme canot de secours.

[1] Il y en a marre de se faire traiter de racistes ou de xénophobes. Tout ce qu’on veut, c’est protéger nos valeurs. On n’est quand même pas des nazis.

Remarquez à quel moment, dans la conversation, cet argument est avancé. Le plus souvent, il n’a jamais été question de racisme et de xénophobie. Il s’agit d’une sorte d’argument reductio ad hitlerum préventif que l’interlocuteur vous prête, question de vous enfoncer un sophisme dans la gorge avant même que vous n’ayez eu le temps d’y songer.

[2] Ce qu’on veut, c’est se faire respecter et pour ce faire, il faut commencer par se respecter nous-mêmes.

Curieux argument que celui-là qui laisse entendre que nous n’avons toujours pas commencé à nous respecter. Autrement dit, nous serions, au moment où on se parle, dans une sorte d’ère de l’irrespect et de l’autodénigrement qu’il faudrait abolir. Mieux encore, on laisse entendre que pour se respecter soi-même, il faut de facto réglementer les actes d’un autre. Il s’agit là d’un problème qui relève plus de la psychologie que du droit.

[3] À un moment donné, il faut mettre ses culottes.

Au sens strict, il n’est en effet jamais trop tard pour mettre ses culottes. Au sens figuré, on se demande un peu ce qu’on tente de nous dire, sinon qu’on se balade actuellement nu.

[4] Les signes religieux chrétiens, comme le crucifix à l’Assemblée nationale, font partie de notre patrimoine. Ils ont une valeur historique que nous ne pouvons nier ou abolir.

Sans aucun doute. Mais tous les symboles ne sont pas à conserver, sans quoi, on serait pris avec un fameux problème de stockage depuis le début des temps. Celui-ci, précisément, installé là par Duplessis en 1936, symbolisait à son origine une sorte de relation symbiotique entre l’Église et l’État, soit le contraire de ce qu’un État laïque voudrait affirmer. Par ailleurs, le patrimoine n’est pas un contenant fermé où plus rien ne peut entrer. On pourrait bien revendiquer, par exemple, que le port de la kippa à Outremont ou ailleurs fait partie du patrimoine montréalais. Revendiquer le «patrimoine», c’est référer à une notion instable et en constante évolution. Difficile, donc, d’être ferme à ce sujet.

[5] On ne va quand même pas enlever la croix sur le Mont-Royal et les croix de chemin!

Non… Effectivement, ce serait farfelu. Tout aussi farfelu que d’aller s’imaginer que quelqu’un, quelque part, en a déjà fait la demande. Autrement dit, c’est un problème qui n’existe pas et donc un argument inutile. Prenez aussi note que le plus souvent, on vous balancera cette avancée alors qu’il est question du crucifix à l’Assemblée nationale… Comme si le parc du Mont-Royal était le lieu où siègent les élus. Il s’agit en fait d’un argument de type «confusion par les tams-tams».

[6] On demande simplement aux nouveaux arrivants de s’intégrer.

C’est une demande légitime. Malheureusement, le port des signes religieux et les divers accommodements réclamés concernent surtout la diversité religieuse et non l’immigration. De nombreux accommodements raisonnables, moins alléchants pour les médias, ont été réclamés par des chrétiens bien de chez nous. Par ailleurs, on se demande en quoi pratiquer sa religion serait un refus de s’intégrer, puisque nous avons ici, justement, des lois qui protègent la liberté de religion. Autrement dit, en pratiquant leurs religions, même de manière très visible, les citoyens de diverses confessions font exactement ce qu’on leur donne le droit de faire dans notre cadre législatif.

[7] Et moi, si j’allais dans tel ou tel pays, aurais-je le droit de pratiquer ma religion librement?

Voilà une assertion fascinante! Faut-il penser qu’il faudrait s’inspirer de ce qui se fait de pire ailleurs pour comprendre ce qu’on doit faire ici? Justement, non. Que je sache, on ne se pose pas cette question pour la vitesse sur les autoroutes, la fabrication des égouts, le traitement des lettres à la poste et tant de choses encore…

[8] Ce qu’on demande, c’est que ceux qui nous servent dans les services publics soient neutres! Me semble que ce n’est pas compliqué!

C’est une bonne idée, mais oui, malheureusement, c’est compliqué. On se demande en quoi l’absence d’un signe religieux pourrait être corollaire d’une éventuelle neutralité – si tant est qu’une telle chose soit possible… Il y a de ces rednecks conservativo-jambons dans l’âme qui ne portent aucun signe religieux – il pourraient même passer pour de joyeux drilles sympathiques. Imaginez-les travaillant pour un service public… Il y a fort à miser qu’ils seraient tout sauf neutres devant un citoyen religieusement identifiable.

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Cette courte liste de pièges discursifs n’est ni exhaustive, ni définitive! Je vous invite à y participer et à la compléter avec ceux que vous trouverez sur votre chemin. Mais surtout, c’est important, tentez de ne pas vous perdre en route!