Théologie Médiatique

Charte des valeurs québécoises: crise d’identité ou crise de la majorité?

Même si on ne saura que le 9 septembre prochain ce que contiendra la Charte des valeurs québécoises que proposera le Parti québécois, on commence à comprendre à peu près la forme qu’elle empruntera. Il s’agit, pour les troupes de Pauline Marois, de reprendre le travail abandonné par les libéraux à la suite du rapport Bouchard-Taylor. La première ministre ne laissait planer aucun doute lors du dernier conseil national de son parti en février dernier: «Nous ne laisserons pas les professeurs, les directeurs d’école et les cuisiniers de cafétéria s’organiser avec l’épineuse question des accommodements religieux.» Un glissement de vocabulaire, sans doute prévu par les docteurs du spin du parti, est venu remplacer le raisonnable par le religieux. Enfin, bref, on comprend; il s’agit de colmater la «crise des accommodements» qui aurait connue son apogée en 2007.

2007, c’est aussi une année électorale en forme de mauvais souvenir pour le PQ qui perdait son titre d’opposition officielle. Un cauchemar pour les troupes péquistes. Tout cela est connu et a été dit et redit. En rejouant aujourd’hui la carte de la crainte identitaire, les troupes de Pauline Marois tentent de renouer avec la majorité.

Majorité… Le mot est lancé. Le Saint Graal électoral que le PQ cherche depuis 2007. En s’adressant aux jeunes péquistes à l’université d’été du Parti québécois, Bernard Drainville était sans équivoque: «Moi, je vous dis, on a une bonne majorité de la population sur ce projet-là. Et visiblement, si on a une bonne majorité de la population qui est avec vous, ça ne peut pas être juste des péquistes!»

Raviver la crise pour renouer avec la majorité. Au moins, c’est clair.

Peut-on reprocher à un parti de vouloir convaincre une majorité de citoyens du bien-fondé de ses projets? Non, sans aucun doute.

Mais on peut se poser une question… La crise? Quelle crise? Et en quoi serait-elle identitaire?

Dans une recherche publiée en 2007, Paul Eid, mandaté par la direction de la recherche et de la planification de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, dressait un portrait précis et fouillé de la situation qu’on se remémore aujourd’hui. Pour ce faire, il avait analysé le corpus des 94 dossiers d’enquêtes fermées présentés devant la commission pour des questions de discrimination religieuse entre 2000 et 2006. Du nombre, 32 comportaient des demandes d’accommodements raisonnables. 32 causes en 6 ans. On est loin des grandes marées… Plus intéressant encore, ce sont les protestants qui se classaient au premier rang en terme de nombre de demandes (10). Suivaient les musulmans (9), les juifs (7), les témoins de Jéhovah (5) et un seul catholique*.

En recoupant ces données par familles confessionnelles, on se rend compte, comme le faisait Paul Eid à l’époque, qu’une demande d’accommodement sur deux a été présentée par des chrétiens. Certes, ces chiffres doivent être relativisés. Il est possible que de telles demandes n’aient jamais été présentées devant la Commission des droits de la personne. Il est aussi possible que certaines causes aient pris d’autres chemins juridiques comme des requêtes devant la Cour supérieure. Ce qui est certain en tout cas, c’est que bien des cas se règlent d’un commun accord entre les parties sans qu’aucun processus juridique ne soit nécessaire.

Le rapport Bouchard-Taylor recensait aussi quelques épisodes de cette crise. Parmi eux, encore une fois, rares sont les cas juridiques lourds. Les histoires de cabanes à sucre qui acceptent de prêter la piste de danse à des musulmans pour la prière ou les vitres givrées d’un YMCA sont de simples ententes privées, entre voisins ou avec des clients. Il ne faut certainement pas minimiser la portée de causes comme l’affaire Multani, ce jeune sikh qui souhaitait porter le kirpan dans une école, qui s’est rendue jusqu’en Cour suprême. Mais il ne faut pas non plus exagérer en la confondant avec une administration qui déplace son sapin de Noël ou qui change son menu à la cafétéria.

Une crise? Il n’y en a jamais eu de crise. Il y a eu un grand spectacle médiatique et un festival du spin politique mené par quelques stratèges en relations publiques peu scrupuleux.

Un grand malaise alors? Admettons. Or voilà, si on ne peut reprocher à un parti politique de vouloir se faire élire, on peut certainement remettre en doute sa stratégie visant à perpétuer le malaise et la crainte en y voyant une bonne occasion de marquer des points. Ceux qui nous gouvernent devraient dissiper les doutes et non pas les entretenir. Tenter de refaire un tour de manège du grand spin du populisme électoral, c’est de la petite politique, c’est remettre de l’avant une crise qui n’a jamais eu lieu afin de donner un bon spectacle.

S’il faut affirmer officiellement la laïcité de l’État, qu’on le fasse. C’est très simple. On décroche le crucifix à l’Assemblée nationale et on déclare qu’en ces matières, tous les citoyens sont libres et égaux. Voilà. C’est tout.

Mais si au lieu de faire cette déclaration toute simple, on joue malhabilement la carte des valeurs québécoises, si on favorise certains artefacts religieux dans l’économie du patrimoine, on fait simplement l’inverse. Souffler sur les braises de l’identité en espérant que le feu reprenne, c’est dire qu’on préfère que les citoyens soient identiques, et non égaux.

*EID, Paul, «La ferveur religieuse et les demandes d’accommodements religieux: une comparaison intergroupe», Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Cat. 2.120-4.21, 2007.