You can’t do that on stage anymore. — Frank Zappa
Ces jours-ci, chez votre libraire favori, vous trouverez un livre d’histoire qui vient tout juste de paraître, Les années CROC. L’histoire du magazine qu’on riait, un ouvrage signé par Jean-Dominic Leduc et Michel Viau.
Absorbé par cette lecture depuis trois semaines, j’en parle presque tous les jours à mes jeunes collègues qui semblent avoir 20 ans depuis toujours et pour l’éternité. Ils me regardent chaque fois profondément interloqués, un peu comme si je parlais hébreu ou que vous me parliez du boson de machin.
— C’est quoi CROC?
Euh. Ma foi! Je me demande un peu où s’en va le monde! CROC, c’était… comment dire, c’était CROC! Un magazine que je devais lire en cachette, de l’humour mordant, à la limite du méchant bien souvent. CROC, c’était aussi une équipe de collaborateurs formés de futurs incontournables de l’univers culturel et médiatique contemporain: Garnotte, Bado, Michel Rivard, Guy A. Lepage, Stéphane Laporte, Pierre Lebeau, Claude Meunier et bien d’autres.
CROC, c’était aussi des têtes de turc qui s’en prenaient systématiquement plein la gueule à tous les numéros. On pense volontiers à la municipalité de Drummondville dont on se moquait à toutes les occasions. Une section, le courrier des lecteurs – des messages inventés de toutes pièces par la rédaction –, mettait des mots pas nécessairement jolis dans la bouche des enfants chéris du show-business de l’époque. On y parodiait aussi volontiers des marques par le biais de fausses publicités. Les restaurants St-Hubert devenaient «St-Suaire», le logo du poulet portant un chapeau pontifical et des hosties remplaçant le pain. Tout y passait, tout était possible. Enfin, presque tout. Chose certaine, ça déchirait.
Je n’aurai pas ici la prétention de vous résumer l’histoire de CROC… Vous lirez le livre, qui se présente comme une sorte de magazine bourré d’images et d’entrevues avec les collaborateurs de l’époque. Prenez aussi le temps de vous rendre sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec pour y relire toute la collection archivée en format PDF.
En me replongeant dans cet univers mordant, une question n’a cessé de me talonner. Comment une telle chose pouvait-elle bien être possible? Comment un tel condensé de parodies et de dérisions, à l’endroit de personnalités et de marques de commerce, pouvait-il bien être publié tous les mois sans qu’une batterie d’avocats relise méticuleusement le contenu?
Pierre Huet, qui fut rédacteur en chef tout au long de l’âge d’or de CROC, m’a quelques fois raconté que son travail avait fait de lui une sorte d’autodidacte du droit… En 11 ans à la tête du magazine, il n’a jamais mis les pieds au palais de justice. Pas une fois. Il y a bien eu quelques accrochages, des gens fâchés, très fâchés même parfois, mais pas une poursuite. Aucune.
— Tu crois que ce serait encore possible aujourd’hui?
— Pas une seconde. Jamais.
Ce constat de Pierre Huet ne se limite certainement pas à CROC. Une émission comme Piment Fort, où on râpait à peu près tout le bottin de l’Union des artistes à coups de blagues sur les attributs physiques, les orientations sexuelles ou les rumeurs infondées, ne serait tout simplement plus permise aujourd’hui.
Lorsque vous lirez cette histoire de CROC – car vous devez impérativement la lire, l’ai-je dit? – vous porterez une attention particulière aux dernières sections, où on explique le lent déclin du magazine dont le dernier numéro a été imprimé en 1995. La montée de l’humour comme spectacle de divertissement populaire aurait causé une sorte de déficit de personnel, les meilleurs collaborateurs étant occupés à écrire pour des humoristes. C’est une raison parmi tant d’autres, mais celle-ci devrait nous intéresser. On pourrait notamment se poser quelques questions.
Se pourrait-il que ce soit l’humour grand public, propre, formaté pour ne pas trop déranger un auditoire familial, qui aurait tué l’humour grinçant, voire méchant?
Se pourrait-il aussi que les humoristes, désormais eux-mêmes des marques de commerce et des enfants du show-business qui doivent paraître dans des galas où tout le monde doit au moins faire semblant de s’aimer, se soient eux-mêmes étouffés dans le très correct?
Plus globalement: se pourrait-il que nos sociétés médiatisées, rendues possibles par des technologies qui permettent une libéralisation des idées et de leur diffusion, au contraire de ce qu’on aurait pu croire, se «conservatisent» de plus en plus?
Chose certaine, il est difficile – voire impossible – de nos jours d’écrire une ligne mordante sans la faire relire par un bureau d’avocat. Citer une marque pour s’en moquer? Dangereux. Trop risqué. Un coup en bas de la ceinture d’une vedette? Intimidation, diffamation. Vous y allez quand même? Laissez un mot à l’huissier sur votre porte si vous vous absentez. Il passera dans l’heure.
Et attention… Je ne vous parle pas de vulgarités profondes et inimaginables comme on a pu en voir récemment en provenance de lieux sombres du web. Je vous parle de quelques échardes qui pourraient blesser… Plus rien ne doit dépasser.
Mais puisqu’on en parle… Se pourrait-il que l’humour très trash qui se joue sur le terrain de l’intolérable dans les recoins de l’interzone, qu’on dénonce vertement comme inadmissible, ne soit en fait qu’une réponse à un humour désormais formaté pour ne plus déranger personne?
Ne me répondez pas. Pas tout de suite en tout cas… Lisez plutôt l’histoire de CROC. C’est le récit d’une époque révolue qu’on devrait regretter.
Jean-Dominic Leduc et Michel Viau
Les années CROC. L’histoire du magazine qu’on riait
Québec Amérique
415 pages
Bien d’accord avec les propos du chroniqueur….Et puisque «la nature a horreur du vide», faut croire qu’on a, de nos jours, l’humour qu’on mérite…
Une partie du style de CROC (la partie qui ressemblait à The Onion) se retrouve maintenant sous forme de projets web plus ou moins sérieux, probablement bénévoles, à très bas budget, et potentiellement éphémères : « Le Navet » [lenavet.ca], « Le Zournal » [facebook.com/LeZournal], « Le Journal de Mourréal » [facebook.com/JournaldeMourreal], « La Paresse / La Pravda » (fusionnés récemment) [lapravda.ca].
Il y a aussi Mauvais Œil [mauvaisoeil.com] qui avait cessé ses activités mais semble revenu, et Les Fausses Nouvelles [facebook.com/FaussesNouvelles] qui était le projet d’une seule personne et a produit plus de phrases comiques durant ses 5 mois d’existence (printemps-été 2012) que tout ce que Stéphane Laporte a été payé pour écrire chez Gesca depuis 2007.
je suis abonné à « The Onion ». C’est subtil, un peu trop gentil à mon goût.
« Croc », en dernier, c’était répétitif. je pense que ce magazine avait fait son temps.
Je ne blâme pas Hurtibise et Huet d’être passé à autre chose, on a plusieurs talents dans la vie et on a trop d’exemples dans nos médias payants de grandes gueules qui se figent dans leurs préjugés et certitudes auto-proclamées.
Ce qui m’inquiète ici, c’est le rire facile, éphémère de beaucoup de nos humoristes, qui semble coller parfaitement au climat politique délétère…on nage dans l’impuisssance,politiquement…et nos comiques trouvent ça drôle, et rient, d’un rire sans autre résonnance que le cash, et la visibilité instantanée
Un rire de tapeux de casserole, pour tout dire…
Gab Roy semble révolté devant ce genre de rire, et sa réplique révoltante, dégueu, toute critique bue , ne devrait pas nous empêcher de voir le message inquiétant qui s’y dissimule: en réalité, ce n’est plus drôle au Québec, comme l’écrit Jodoin, et ma crainte c’est que tout ça finisse dans l’automutilation de ce que nous sommes, vous, moi, Gab Roy, le Québec…
on ne rit plus, en effet…
Et ce même Guy A. Lepage qui faisait partie de CROC n’a pas osé formuler la moindre petite remarque sur le titre de l’album « Au milieu de mon écart »! Il ne voulait pas faire de pepeine à la jolie fille. Hon. Il a tout de même haussé les sourcils de façon ostentatoire, faut le reconnaître. Mais on est pas mal loin de CROC; on nage plus dans le style gencives édentées.
Croc, c’était pas si drôle que ça. Irrévérencieux, certes. Mais un humour d’adolescents.
En humour, tout ce qui compte, c’est que ce soit drôle, que le monde « rise ». Le reste n’est qu’accessoire. Si on ne rit pas, c’est pas de la sociologie, c’est juste pas drôle.
Cela dit, y a un public pour tout.
Absolument d’accord avec vous, humour pour ados… J’ajouterais que l’adjectif « irrévérencieux »est devenu synonyme de scatologique pour certains (dont RBO) et que le fait de déféquer sur une personnalité connue, ou de participer à des gang bang de l’humour au détriment d’une victime connue par le public (piment fort), ne justifie pas qu’on devrait se mettre à les regretter. Mais comme vous dîtes, dans le cas de Croc, c’était juste plate.
Je suis de la génération de Croc et je trouvais ça plate en crime, presque autant que le Mad. Vos parents devaient être de vrais intégristes catholiques pour que vous ayez eu à vous cacher pour le lire. C’était du genre Pierre Verville: pas drôle.
On essaie de faire croire aux plus jeunes que l’humour d’avant n’est plus possible aujourd’hui. Heureusement: qui veut avoir à revivre cette merde puante qu’était Piment Fort?
Pour ce qui est de Lepage et des Roques et Belles Oreilles, on essai aussi de nous faire croire, en jouant sur la nostalgie, et pour mousser la vente de leurs produits, que leur humour était intelligent, engagé et politique. Vraiment? À part quelques blagues sur la Palestine et la politiques québécoise/fédérale, dans l’ensemble c’était beaucoup du pipi-caca-pouèle. Remarquez je n’ai rien contre ça, je les aimait bien moi RBO, mais qu’on ne vienne pas me prendre pour un con en me faisant croire qu’ils ont dit ce qui serait interdit aujourd’hui. On a grandit, on a maturé, on était tanné de ce genre d’humour-là. Et les jeunes ont grandit en même temps que nous, heureusement.
Alors dites-nous quel humour fait rire quelqu’un comme vous, pour qu’on puisse vous situer.
Et dites-nous aussi si vous pensez à l’ensemble de CROC ou seulement aux pires blagues de chaque numéro ou seulement aux pires numéros. Voyez-vous, dans la vie, les gens essayent généralement de se souvenir du meilleur, et non du pire.
@Mathieu L. Bouchard
Merci pour vos précieux conseils de vie. Je suis heureux que vous voyiez la vie avec un tel positivisme.
Si je posais les questions ci-dessus, c’était pour vous faire participer à la discussion autrement que par une suite d’opinions qui nous apporte pas plus que l’impression qu’on a même pas lu le même magazine… c’est tout.
@M. Bouchard
Ah bon. C’était peut-être le « Voyez-vous, dans la vie… » qui m’a donné une mauvais impression.
C’était parce que je sais qu’il y a des gens qui sont tellement irrités par le pire de quelque chose, qu’ils ne pensent plus au reste de cette chose. Bien sûr qu’il y a des pages de CROC qu’on a trouvé inutiles voire même pourries, mais CROC nous manque à cause de ce qu’il avait de meilleur et non parce qu’on croirait que tout était bon dedans. Idem pour RBO.
Quoi qu’il en soit, on sait pas plus ce que vous aimez aujourd’hui en tant que personne non-adolescente ayant mûri. Qui sait, si vous le disiez, ça pourrait nous faire mûrir ;)
@M. Bouchard
Disons que c’est une impression générale que je garde de Croc, rien de spécifique. Moins pire que Safarire mais dans le même créneau. J’aime l’humour un peu plus 2ième degré. J’adore Chapleau, le genre d’humour où l’auteur n’a pas besoin d’expliquer ce en quoi c’est supposé être drôle, pas appuyé. À l’époque j’adorais Gotlib, et dans le genre scatologique j’ai beaucoup aimé Reiser. Les cyniques étaient géniales, de même que Deschamps à l’époque de Neger Black.
Et ça m’énerve quand les plus âgés (ceux de mon âge entre autre) disent qu’on ne peut plus faire de l’humour comme avant, que ça ne passerait pas, qu’on est devenu trop politicly correct. C’est tellement faux. C’est une façon qu’ils ont de dire qu’ils ont fait quelque chose d’exceptionnel et ça manque nettement d’humilité. Y’a plein de choses qui ne passaient pas il y a quarante ans, bien plus qu’aujourd’hui. Peut-être pas les mêmes choses, mais quand même. Si Mike Ward et Wagner remplissent des salles, je ne vois pas ce qui ne peut être dit! Y’a une différence par exemple entre rire de l’homosexualité et rire des tapettes. Avant on riait des tapettes, des belle-mères, des femmes qui ne savent pas conduire… C’est dans ce sens que je ne suis pas nostalgique. Et si c’est mal vu de rire des tapettes, ben tant mieux. Pour ce qui est des politiciens, on n’a plus besoin d’humoristes pour ça, les nouvelles se chargent de nous faire rire pour eux.
Encore une fois, vous ne comprenez pas la différence entre « mordant et intelligent » et « méchant et gros que le bras ». Vous essayez encore de défendre votre « humoriste ». S.v.p. ne le comparez jamais à Croc ou RBO.
Je n’ai absolument aucune idée de ce dont vous parlez. Pas très clair votre commentaire.
M. Leduc: c’est parce que je ne vous parlais pas du tout, je ne sais pas ce que mon commentaire fait dans vos conversations, je m’adressais à M. Jodoin qui ne sait plus quoi inventer pour défendre la médiocrité.de ses nouveaux intervenants.
Merci Sandrine pour la précision, c’est gentil. On verra bien à TLMEP comment Jodoin peut justifier de donner une tribune à cette infection, ce chancre dis-je, et qui publiquement nous raconte son fantasme de violer une personnalité connue et de la manière la plus ignoble qui soit de surcroît. Bien le bonjour à vous!