Théologie Médiatique

Phénoménologie lunaire: des choses voilées

Un proverbe yougoslave (ou est-ce tibétain?) raconte que lorsqu’un sage pointe la lune du doigt, un type qui se croit très intelligent à ses côtés regarde la lune en disant: «Tiens, c’est la lune».

— La lune? Non… C’est la partie visible de la lune.

— Ah ouin?

— Et encore, ce que tu vois c’est la lune telle qu’elle était il y a un peu plus d’une seconde.

— Tu rigoles, hein? Tu me montres la lune, je regarde la lune. Tu ne voudrais quand même pas que je regarde ton doigt comme font les idiots?! Moi, je suis très intelligent.

— Non, non, pas mon doigt… Surtout pas! Je pointais au hasard un machin qu’on ne voit au mieux qu’à moitié, qui tourne autour de la terre en reflétant la lumière du soleil, autour duquel la terre tourne elle-même… N’est-ce pas magnifique? Et toi, tu regardes la lune…

— C’est pas mal compliqué ton affaire!

— C’est ça. C’est compliqué, justement.

Ils ont été nombreux, en commentant la fameuse photo de ces éducatrices de garderie portant le niqab en compagnie de bambins en promenade, à nous exhorter de regarder ce qu’il fallait voir. C’est si simple, voyons… Je vous montre deux éducatrices qui portent le niqab, ça signifie ce que ça signifie et ça suffit. Et pourtant… Tout ce qu’on a trouvé à dire sur cette photo se trouve ailleurs: multiculturalisme exacerbé, effritement d’une identité nationale en péril, menace d’une islamisation rampante, danger pour les enfants, les parents et même, pourquoi pas, les voisins. Ça va trop loin, dit-on, beaucoup trop loin! Contentez-vous de regarder et voyez ce qu’il y a à voir! Cette image signifie toute seule! Or non, justement. Cette image signifie, car elle prend part à un système plus vaste au sein duquel elle entretient des rapports avec d’autres éléments nombreux et hétéroclites. Un vaste système qui, lui, ne se trouve pas sur cette photo. Il déborde du cadre.

On trouve d’ailleurs beaucoup d’autres choses qu’on nous demande de voir à l’extérieur de ce cliché pris sur le vif… Un certain désir de délation, un appel à la dénonciation dans un contexte de division identitaire où pointer du doigt (le majeur, même, parfois) est devenu de bon ton. On trouve finalement tous les mauvais plis de ce débat sur la Charte, mal commencé et malmené que c’en est lassant.

C’est tout ça qu’on voit sur cette photo. Ce qu’elle montre, c’est tout un système solaire où sont attirés par des forces des astres et autres machins qu’on ne voit que partiellement, ou trop tard, et qui, en quelques secondes, ne sont déjà plus ce qu’ils étaient… Un proverbe bulgare dit que lorsque le sage montre la lune, la lune, elle, ne se montre pas complètement.

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Au rayon de ce qu’on n’a jamais vu, il y a aussi cette fameuse députée portant le tchador imaginée il y a quelques jours par le libéral Marc Tanguay qui se disait bien prêt à l’accueillir à l’Assemblée nationale. L’épisode a permis de sortir Fatima Houda-Pépin de son mutisme pour défier la ligne de son parti qui revendiquait jusqu’alors une unanimité pour le moins suspecte.

On n’a jamais vu, donc, cette hypothétique députée libérale voilée au grand complet dans notre enceinte politique. Probablement qu’on ne la verra jamais, mais qui sait?

Ce qui est manifeste, par contre, et qu’on n’a peut-être pas assez dit, c’est le courage politique de madame Houda-Pépin, imprégnée d’une sérieuse conviction et prête à défoncer le mur de l’omerta partisane.

C’est d’ailleurs ce qui est le plus apparent dans ce débat sur la diversité religieuse et la laïcité de l’État: la partisanerie luisante.

Vous ne trouvez pas ça curieux, vous? Depuis le début de cette grande conversation populaire, j’ai vu des gauchistes et des militants étudiants diffuser des articles d’André Pratte et Alain Dubuc, j’ai vu des fédéralistes célébrer les positions de Jacques Parizeau, j’ai entrevu des points communs entre des militants de la CAQ et de Québec solidaire. Tous les antipodes auxquels nous avons été habitués sont bouleversés, chamboulés, mélangés et redistribués de manière complètement inusitée. Toutes les familles politiques, des citoyens jusqu’aux chroniqueurs, se croisent et s’entrecroisent. Presque partout, les amis d’hier sont devenus, le temps d’une querelle, les opposants d’aujourd’hui…

Partout… Sauf au sein des partis politiques qui se complaisent dans une confortable unanimité apparente. Tout le monde, dans ses rangs, est d’accord avec la ligne du parti.

Voilà qui est curieux, donc. Très curieux. J’ai de la difficulté à trouver quatre personnes d’accord entre elles sur tous les points concernant cette Charte des valeurs québécoises, mais au PQ et au PLQ, l’unanimité règne…

Qui sait… Peut-être que Fatima Houda-Pépin a joué dans ce jeu le rôle d’une sage qui pointe le côté obscur de la lune.