Théologie Médiatique

Un Québec brun et brun

Au cours des derniers mois, depuis son élection à l’automne 2012, le gouvernement de Pauline Marois a construit son spin politique autour d’un slogan, qui est aussi le titre d’un livre publié l’automne dernier par Scott McKay, ancien chef du Parti vert et désormais député de Repentigny: «Pour un Québec vert et bleu».

Ça m’avait fait sourire à l’époque. Un Québec vert et bleu… J’y voyais deux lignes de tir. D’une part, oui, le vert, on sait ce que ça veut dire. Après le printemps érable, à la gigantesque manifestation du Jour de la terre, menée notamment par Dominic Champagne, il fallait bien répondre à tous ces citoyens inquiets face à l’exploitation des ressources naturelles, plus particulièrement en ce qui concerne les gaz de schiste et les hydrocarbures en général.

Et le bleu… Le bleu foncé identitaire, qu’on oppose au rouge Canada qui nous menace avec son multiculturalisme autant que la pollution de l’air ambiant. Il fallait en répandre partout, du bleu. Une mission qu’on a donnée à Bernard Drainville avec son projet de charte.

Mais bon, en ce qui concerne le bleu, ce n’était pas vraiment ça qu’on voulait nous dire. Il faut lire, pour s’en convaincre, une page web passée un peu inaperçue dans l’actualité et mise en ligne sur le site du PQ à l’adresse suivante: pq.org/vert-et-bleu.

C’est là qu’on trouve tout un plan de match visant à assurer «une plus grande qualité de l’environnement».

J’en cite un passage qu’on a peut-être oublié au PQ, en annonçant, comme une promesse électorale, les millions qui permettront d’aller tâter du pétrole à Anticosti:

«Évaluer la possibilité d’ouvrir la voie à l’exploration sécuritaire et au développement durable des réserves potentielles de pétrole ou de gaz naturel dans le golfe du Saint-Laurent et sur la terre ferme, dans une perspective de respect de la souveraineté territoriale du Québec et de ses écosystèmes, et ce, après la tenue d’un vaste débat public […].»

Une question: vous avez vu passer ça vous, un «vaste débat public»?

Ce n’est pas tout, dans ce même document, on trouve le souhait d’organiser «une vaste initiative populaire ayant pour but de mobiliser tous les Québécois vers l’atteinte de l’indépendance énergétique».

Une autre question: vous avez été mobilisés, vous?

Certes, comme on me l’a rappelé, il y a bien eu une Commission sur les enjeux énergétiques qui s’est mise en branle en juillet dernier pour se terminer en septembre. Assez ironiquement, c’est le 4 juillet que Martine Ouellet lançait cet exercice dans l’indifférence la plus totale. Deux jours plus tard, ce fut la catastrophe à Lac-Mégantic. Un train rempli de pétrole faisait littéralement exploser tout le cœur d’un village, et même plus.

Coquin de sort… Vous vous posez des questions sur l’énergie et hop!, vous vous prenez un train pétrolier en pleine figure. De quoi vous réveiller un peu, non?

Alors que les citoyens se mobilisaient pour ramasser un immense gâchis créé par la négligence de compagnies privées qui font leur fric en promenant des bombes incendiaires au nez des passants pour faire rouler l’économie, alors qu’on se demandait combien d’années il nous faudrait pour nettoyer tout ça – et on se le demande encore! –, on causait avenir énergétique dans une commission.

Le mois d’août est passé et, tout à coup, on nous a enfin proposé un vaste débat public engageant une mobilisation citoyenne pour prévenir un grand danger qui menace notre sécurité, soit… les burkas et autres signes religieux ostentatoires.

Et là, vraiment, on a mis tout ce qu’il fallait. On a mobilisé en masse! L’heure était grave. Bien plus grave que tous les trains explosifs du monde.

Il faut voir, par exemple, le site de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (consultationenergie.gouv.qc.ca), drabe comme seul un site gouvernemental peut être drabe, et le comparer à celui mis en ligne pour promouvoir la Charte des valeurs québécoises (nosvaleurs.gouv.qc.ca). La différence est flagrante et saute aux yeux.

Iconographie, panneaux routiers, vidéo de Bernard Drainville, tweets, retweets et encore retweets. On n’a pas hésité à spinner à tout vent l’importance de mettre nos culottes devant tous ces voiles et turbans qui menacent l’intégrité sociale bleutée du Québec. On a déployé l’artillerie lourde du spin à répétition, hurlant à l’envahisseur.

C’est ainsi qu’on a mobilisé le citoyen-téléspectateur depuis quelques mois, jusqu’à le faire descendre dans la rue à plusieurs reprises. On s’est gargarisé avec 25 000 courriels en vantant, sans rire, les grandes qualités de cette magnifique conversation citoyenne, nec plus ultra de la démocratie. On ne trouve rien d’équivalent en ce qui concerne les ressources énergétiques. Rien.

Et hop!, voilà, alors que des élections se pointent à nos portes, la météo des sondages étant favorable, on se propose d’aller de l’avant pour driller, juste pour voir… Tout baigne dans l’huile, soudainement. La cause est entendue. Après tout, on a décidé de mettre nos culottes, alors pourquoi ne pas mettre aussi nos grosses bottes et aller marcher dans la boue?

Et c’est ainsi qu’au final, on se retrouve devant un Québec brun et brun.

Brun huileux et brun chemise.