Théologie Médiatique

Janette a bien raison

On a bien rigolé, en fin de semaine, en entendant Janette Bertrand distiller des sottises imaginées à propos de la menace intégriste qui plane sur les amateurs d’aquagym. Rendu là, aussi bien en rire et plaisanter un peu.

Ce qui fait moins rire et qui devrait nous inquiéter, c’est que cette sortie se déroulait dans le cadre d’une activité partisane où des politiciens en campagne, qui projettent de modifier la mécanique des droits fondamentaux des citoyens, opinaient du bonnet en applaudissant.

Il aurait bien fallu dire que cette situation de deux hommes se présentant dans une piscine d’un immeuble privé qui finissent par obtenir du propriétaire l’accès exclusif et en tout temps au détriment des autres locataires est un scénario tout à fait fictif qui n’a aucun lien avec le débat sur la laïcité de l’État. Plus encore, tous les mécanismes légaux permettant aux éventuels locataires lésés par une telle décision sont déjà en place.

C’est ce qu’aurait fait toute personnalité politique soucieuse d’apporter un peu de pédagogie dans cette boue de malaises qui se répand peu à peu. Mais non. C’est devenu le modus operandi des péquistes dans ce dossier: peu importe ce qu’elle dira d’absurde, pour autant qu’elle entretient la peur et la confusion, Janette a bien raison.

«Janette a bien raison», c’est la seule conclusion à laquelle on veut parvenir. Parce que ça marche. Parce que le nono moyen et la nounoune normale, devant leur téléviseur, regardent une vedette du petit écran leur livrer une fiction dramatique.

Or, et c’est important, nous sommes à quelques jours d’une élection générale déclenchée par le PQ qui sollicite un mandat majoritaire justement pour faire adopter cette charte des valeurs et des maillots de bain québécois.

On rigole, on rigole, mais il faut de toute urgence s’inquiéter. Que faut-il penser d’une équipe de politiciens prêts à toutes les tartufferies pour modifier les droits et libertés fondamentales des citoyens? Ce n’est pas telle ou telle loi ou tel ou tel règlement qu’on se propose de revoir, ce n’est pas une situation contingente et ponctuelle qui est ici à retravailler ou à corriger. C’est l’ADN même de notre conception de l’État qui est sur la table de travail.

L’enjeu est beaucoup trop grave pour qu’on hausse les épaules comme on pourrait le faire à propos de telle ou telle mesure jugée insatisfaisante ou autres promesses électorales qu’on ne croit même plus. Si par malheur les auteurs de cette bouffonnerie identitaire devaient former un gouvernement majoritaire, l’heure serait beaucoup plus grave qu’on ne l’imagine. Qu’on soit pour ou contre la laïcité de l’État ou quelques accommodements raisonnables, ériger la démagogie et le cabotinage en programme politique serait une mauvaise nouvelle pour tout le monde.

Évidemment, certains sourcilleront – avec raison – en envisageant que les libéraux, renversés à coups d’indignation et de concerts de casseroles il y a 18 mois, pourraient ainsi reprendre le pouvoir si facilement. Ont-ils été assez punis pour la corruption? Sont-ils désormais lavés de leurs péchés? Ce sont des questions qui se posent. Mais deux faits méritent d’être considérés.

D’une part, ce qui est remis en question devant cette possibilité de voir le PLQ reprendre le pouvoir concerne beaucoup plus un vice inhérent à notre système électoral que les crimes de quelques politiciens potentiellement crapuleux. Pour le citoyen désabusé, la meilleure solution demeure de donner son vote aux autres partis qui méritent notre attention. Qu’on soit d’accord ou non avec leurs programmes, il faut espérer que la CAQ et Québec solidaire remportent un pourcentage significatif de votes et un bon nombre de sièges à l’Assemblée nationale. On peut aussi souhaiter la même chose à Option nationale, qui a beaucoup moins de chance de remporter quoi que ce soit, mais qui peut au moins servir de groupe de pression sur le PQ en mobilisant les souverainistes pressés.

D’autre part, il faut bien voir que les tricheries électorales, la collusion et la corruption sont des vices qui ne sont pas exclusifs au PLQ et qui sont exposés au grand jour par une commission d’enquête qui reprendra ses travaux à la suite des élections de lundi. Ce sont des problèmes graves, qui nourrissent le cynisme et le désabusement politique, mais qui sont actuellement sous haute surveillance. On peut mettre des mécanismes en place pour prévenir de telles situations.

Réparer un tissu social déchiré par l’improvisation identitaire est beaucoup plus complexe. Il ne s’agirait pas d’une simple blessure, mais d’une maladie dont on ne connaîtrait pas le remède. En ce sens, une victoire du PLQ, possiblement minoritaire, représente un moindre mal devant l’éventualité d’un gouvernement péquiste majoritaire. Car dans l’état actuel des choses, donner le plein pouvoir à un parti sous prétexte que «Janette a bien raison», c’est accepter que la niaiserie soit érigée en idéologie.

Est-ce alors renoncer au débat sur la laïcité de l’État?

Non. Car ce débat n’a pas encore eu lieu.