En janvier dernier, les Messageries de presse Benjamin, qui distribuaient un vaste répertoire de magazines imprimés au Québec, fermaient leurs portes. Début avril, c’était le magazine Jobboom qui annonçait la fin de sa version imprimée. Cette semaine, on apprenait une restructuration au 24 heures et l’abolition de quelques postes dans la foulée d’un processus global chez Sun Media, filiale de Québecor, qui en trois ans aura mis à pied 1200 employés. C’était juste après qu’on annonce que Transcontinental allait imprimer The Gazette, propriété de Postmedia, et laisser ainsi aller 54 employés à temps plein et 61 occasionnels. Un épisode qui s’ajoute aux multiples compressions depuis plusieurs mois. Du côté de Gesca, à qui appartiennent les quotidiens La Presse et Le Soleil, on apprenait en février que le groupe médiatique allait payer 31 millions de dollars à Transcontinental afin de négocier un volume d’impression à la baisse. En avril, Le Devoir annonçait de bien tristes pertes, les coûts d’exploitation du quotidien dépassant les revenus pour l’année 2013.
C’est la longue chronique nécrologique des médias qui se poursuit, chacun cherchant sa voie vers un modèle d’affaires viable depuis le choc économique de 2008 et la montée en flèche du web social.
Faisons un constat simple: les médias se financent ou bien par abonnement, ou bien par publicité. Or, les contenus gratuits se multiplient au prix d’une adhésion à la bande passante via un fournisseur internet, rongeant ainsi les revenus d’abonnement. Par ailleurs, les publicitaires et les annonceurs n’ont plus de fric, ce qui fait fondre les revenus publicitaires. Ajoutez de nouveaux (très) gros joueurs comme Google et Facebook qui sont entrés en scène dans une stratégie de concurrence mondiale sur la base d’un volume de fréquentation que personne ne peut concurrencer et vous avez le topo. Ce n’est pas une petite pluie, c’est un déluge.
Reste cependant un autre modèle qui devrait être à l’abri de ces fluctuations médiatico-économiques: celui d’un média public. Dans notre coin du monde, on parle de Radio-Canada, vénérable institution qui a pu supporter, au gré des aléas de l’histoire, une structure d’information indépendante de la concurrence (notez bien ce mot) et de la jungle des marchés. Ce modèle de financement est aussi fort simple: collectivement, nous acceptons de mettre quelques dollars dans un bien commun médiatique.
C’est bien cette notion de concurrence qui m’enquiquine au plus haut point dans cette discussion sur le financement de Radio-Canada. Ce vocabulaire a été mis de l’avant d’abord par les gestionnaires de Radio-Canada. Dans le brouillard des mouvements du marché de l’information et du divertissement, l’institution publique devait être concurrentielle afin de conserver des parts de marché. Aujourd’hui, ironiquement, ce sont ceux qui décrient les coupes qui s’approprient tout bonnement ce vocabulaire. On devrait financer Radio-Canada pour qu’elle se distingue de ses concurrents. On le dit texto, sans même une petite timidité.
Or, la concurrence signifie que des produits «rivalisent entre eux pour attirer la clientèle par différents moyens».
Je regrette, mais non. Jamais. D’aucune manière une institution publique ne devrait se définir sur la base d’une rivalité servant à s’approprier une clientèle.
L’ONF ne rivalise pas avec Hollywood. Les bibliothèques municipales ne rivalisent pas avec les kiosques de revues à potins. Les chercheurs universitaires ne rivalisent pas avec les spins pseudo-scientifiques des pharmaceutiques et les instituts de recherche publics ne rivalisent pas non plus avec les échafaudages théoriques des fabricants de convictions pour nous enfoncer des pipelines dans le fion.
Accepter de donner dans ce vocabulaire, c’est dire qu’on se bat pour des parts de marché, dans la même foire où il faudrait faire la promotion de tel ou tel produit en espérant gagner quelques clients convaincus.
Par ces maladresses argumentaires, on donne au fond raison à tous ceux qui voudraient discuter du sort de Radio-Canada dans le contexte des mauvaises nouvelles médiatiques que je rapportais en début de chronique. On connaît la chanson: «Tous les médias sont dans le pétrin, donc, vous savez, Radio-Canada ne sera pas épargnée par ces mouvements de fond qui touchent tous les joueurs de ce secteur économique.»
La question n’est justement pas là. Poser le problème ainsi, c’est passer à côté du débat de fond. La valeur de l’information et de la création, au sein d’un média public, ne se négocie pas à la bourse de la cote d’écoute et de la rentabilité. Dans nos discussions sur le sort de Radio-Canada, comme pour toute institution publique d’ailleurs, on ne devrait jamais avoir à se soucier de jouer dans le domaine de la concurrence.
C’est bien plutôt de référence qu’il faudrait parler. Une référence sur le plan de la documentation et de l’information, certes, mais aussi comme lieu d’essai et de risque dans tous les domaines qui concernent la production et la diffusion. Ce serait ainsi une référence à titre de laboratoire d’expérimentation, comme peuvent l’être, dans leurs domaines respectifs, les centres d’études universitaires ou encore l’ONF.
Je regrette de le dire, mais il faut bien le voir, à force de jouer la carte de la concurrence, Radio-Canada a négligé celle de la référence qui devrait définir tous ses projets. Et c’est peut-être ce qui rend plus difficile désormais une réelle mobilisation pour sa défense. Qui a envie d’aller crier dans la rue pour un «concurrent»?
C’est peut-être le pari qu’ont fait ceux qui nous gouvernent actuellement, au fond. À force de manipuler la sémantique de la rivalité du marché, ils nous ont peut-être dressés les uns contre les autres.
Le plus triste, c’est que ce pari, ils semblent être en voie de le gagner.
La Maison de Radio-Canada doit demeurer publique, où elle est, pour les générations futures.
Est-ce une référence telle que vous l’écrivez? (Je crois bien).
Radio-Canada, une référence?
Pas dans le cas du conflit israëlo-palestinien selon l’ombudsman.
Près d’une vingtaine de plaintes, tous remplis au nom du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, furent déposé à l’ombudsman depuis 2010. Pour un bon nombre d’entre-elle, l’ombudsman à conclut que les reportages « enfreignaient la valeur d’exactitude des Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada » au point d’en faire mention dans son rapport annuel de 2012-2013 « pour changer d’attitude à l’égard du conflit israélo-palestinien ».
Il y a belle lurette que Radio-Canada a été dénaturée. Le principal coup de Jarnac fut l’extinction de leur chaîne culturelle radiophonique remplacée il y a une dizaine d’années, par son sirupeux ersatz Espace Musique.
Déjà, la télé publique s’immisçait largement dans les plates-bandes de TVA (alias Télé-Métropole), longtemps son unique concurrent, et la descente s’accentua avec l’arrivée de altérant sérieusement leurs télé-journaux…
Pierre-Elliott Trudeau, bien avant Harper, indiqua les « bornes » lors de la montée simplement y exposer « sa collection de vases chinois »… (!?!)
Il ne faut donc pas se surprendre d’une situation qui ne fait que s’aggraver au détriment d’émissions au contenu jadis étoffé profitant du mercantilisme outrancier de l’époque et ce dans une indifférence quasi généralisée…
ERRATA (2e paragraphe, 3e ligne) :
…avec l’arrivée de altérant sérieusement leurs télé-journaux…
LIRE:
…avec l’arrivée de …
LIRE : (suite)
…pauses publicitaires…
Bon billet, Monsieur Jodoin.
Matière à réflexion, certainement…
Excellente argumentation, qui rejoint ce que j’ai constaté depuis longtemps.
Un bémol ce pendant: la petite phrase « Par ailleurs, les publicitaires et les annonceurs n’ont plus de fric, »
Je dirais plutôt que le nombre de médias à couvrir et les occasions de pub s’étant multiplié, la publicité s’est tout simplement éparpillée.
Je n’ai pas l’impression d’être moins bombardé de publicité qu’il y a 20 ans. Au contraire.
Avant la pub se limitait, en gros, à 2 réseaux de chaines généralistes (R-C et ce qui est devenu TVA, Télé-Québec (Radio-Québec à l’époque) ne passant pas de pub), les journaux, les circulaires et les panneaux-réclames le long des autoroutes.
Le nombre de chaînes (souvent spécialisées) a explosé. L’internet est apparue. La pub nous envahit de partout. Même la STM s’y livre. De même que les écoles. Les urinoirs sont devenus des lieux de pub. Et j’en passe.
Ce qui est impressionnant aussi, c’est que R-C est souvent plus agressive que ses concurrents pour la publicité. Je me souviens qu’une année, on avait tapissé le métro Berri-Uqam de publicité pour un nouveau show de télé. Ça coûte combien tapisser le métro Berri-Uqam sur le plancher et les murs? Je me demande souvent aussi pourquoi, au lieu de nous passer des reportages intéressants ou des reprises d’émissions pertinentes comme Une heure sur terre, on met une reprise de Cap sur l’été à 23h? L’émission Cap sur l’été… V’là pas si longtemps, lorsque les nouvelles sportives se terminaient en fin de soirée, l’animateur y allait toujours d’un viril : « Et dans un instant! Des kiwis et des hommes! ». Après avoir parlé de hockey, c’était toujours surprenant.