Théologie Médiatique

Recette du terroir: comment cuisiner de l’extrême droite

Lors de son discours de sortie, Pauline Marois a causé un certain émoi en avançant que le Québec n’est pas à l’abri de l’extrême droite. Certains se sont lancés dans de grandes dénonciations, les plus bruyants refusant pour eux-mêmes cette étiquette (tiens, tiens…) sans prendre le temps de préciser ce que ce terme pouvait bien signifier. «Je ne vous dis pas c’est quoi, mais je jure que je n’en suis pas.» L’actualité a repris son cours et chacun est retourné à ses occupations.

Mais revenons un peu sur nos pas, pour quelques lignes. Ça se cuisine comment, au juste, de l’extrême droite?

D’abord, il faut une classe populaire – appelons-la «classe moyenne» – désabusée par des élites corrompues, persuadée que ceux qui la dirigent se moquent bien des aspirations du peuple. C’est le premier ingrédient. Cette méfiance envers les élites ne vise pas que les élus. Elle déteint sur les intellectuels, les universitaires, les gens d’affaires et même, dans les pires des cas, les artistes, tous soupçonnés de tirer profit d’un système pourri. Quoi qu’il en soit, et peu importe l’étendue de la corruption, cette classe moyenne doit subir une pression financière. Dès que vous entendez «ils nous fourrent tous», vous savez que vous avez le bon ingrédient.

Ensuite, il faut un rappel des origines, une tradition salvatrice posée comme ultime remède à ce système social défectueux. On dira «nationalisme», en prenant bien soin de souligner que ce n’est pas l’idée de nation en tant que telle qui pose problème, mais bien le « isme» qui donne tout son poids au mot. C’est le -isme qui contient, si on peut dire, la charge explosive.

Ajoutez à cela une trame médiatique à la mode. Hier, c’était quelques comiques sévissant dans des radios locales qui répondaient en criant à quelques fêlés du drapeau et du graffiti qui jouaient du «nous vaincrons». Des épiphénomènes, disions-nous. Aujourd’hui, pourtant, c’est dans les pages des quotidiens les plus lus qu’on peut lire des chroniqueurs qui sévissent à coups de majuscules sur les positions de politiciens bien en vue, eux-mêmes soucieux de rassurer une «base militante» et n’hésitant pas à jouer du spin idéologique pour se présenter comme les gardiens du gros bon sens du peuple et de ses traditions. L’essentiel ici n’est pas d’alimenter un débat, mais bien de jeter de l’huile sur le feu pour «raviver la flamme».

Finalement, il vous faut une menace, idéalement un groupe d’individus identifiables, soupçonné de mettre en péril la cohésion sociale, que ce soit sur le plan culturel ou économique. Dans les meilleurs des cas, un immigrant pauvre sera pointé du doigt, potentiellement coupable de «voler des jobs» et de ne pas «faire comme chez nous». Au pire, l’un ou l’autre, pris séparément, fera l’affaire. Un BS est un profiteur. Un immigrant est un terroriste en puissance, ou quelque chose de louche.

Il y aurait bien d’autres ingrédients, mais vous avez là la recette de base pour un bon bouillon d’extrême droite.

En entendant les paroles de Pauline Marois, certains se sont mis à chercher de qui elle pouvait bien parler spécifiquement. C’était un exercice vain. Ce n’est pas tel ou tel politicien, ou tel ou tel intervenant qui est d’extrême droite. Répondre à cette menace en la rejetant du revers de la main sous prétexte qu’on ne peut y voir qu’une insulte facile visant à marginaliser un adversaire en particulier est tout bonnement un faux-fuyant. L’extrême se situe dans l’air du temps, dans une conjoncture historique où chacun joue un rôle à sa façon. L’extrême droite n’est pas une épice, c’est une recette. C’est une sauce qui peut prendre, ou pas.

Elle est là, la vraie menace. Elle se situe dans le choc causé par la rencontre des «vraies affaires», du «vrai monde», du «citoyen moyen» qui doit «mettre ses culottes» devant «les autres» pour le «gros bon sens» qui est «en péril».

Évidemment, chacun ira crier au sophisme avec indignation  «Vous me traitez d’extrême droite? Vous n’avez pas honte?» , en s’en lavant les mains, sans voir en quoi, dans cette soupe qui sent mauvais, tous ajoutent un arôme. La vanille n’a rien à se reprocher pour ce qu’elle est, mais mélangée dans une sauce madère, rien ne va plus, ça craint.

Il faut avoir vécu sous une roche pour ne pas avoir senti l’ambiance évoluer au cours des dernières années, du mouvement des indignés, du 99% contre le 1% – auquel se sont joint hypocritement des politiciens en campagne jouant de casseroles en guise de slogan  jusqu’aux récents débats sur la cohésion sociale menacée par les diverses confessions religieuses (lire: «les immigrants») en passant par la commission Charbonneau qui révèle au grand jour la pourriture des élites.

C’est le cocktail parfait pour l’émergence des dérives les plus radicales. On a même été jusqu’à proposer tout récemment que la France puisse servir de modèle d’intégration culturelle, un pays qui vient de glisser tout bonnement vers le Front national, où le plat semble prêt à être mangé malgré son goût douteux. C’est ainsi qu’on nourrit les affamés. Faute de solutions, par manque de grandeur et par électoralisme, les plus modérés se «décomplexent», comme ils ont dit, pour rallier des convives. La marge, pour autant qu’on en ramollit les frontières, devient ainsi toujours moins marginale. En lisant le journal machin en croquant un beigne, on se dit qu’en période de crise, on peut bien manger n’importe quoi, même de la sauce madère à la vanille. On y prend goût.

Bien sûr, on dira «pas chez nous, voyons!» On parlera d’un débat sain et tout à fait normal en démocratie.

Comme si la démocratie, à l’époque du spin pour les illettrés, nous mettait à l’abri de quoi que ce soit.

P.-S. L’été est à nos portes. Cette chronique fera relâche jusqu’à la rentrée. D’ici là, prenez garde et ne goûtez pas n’importe quoi sous prétexte que ça se mange.