Ces jours-ci, alors que les mauvaises nouvelles se multiplient dans les médias et plus particulièrement à Radio-Canada, je suis plongé dans la lecture du livre signé par le journaliste Jean-François Lépine, Sur la ligne de feu, ouvrage dans lequel il relate son riche parcours de carrière. Un long voyage journalistique et médiatique qui dure depuis 42 ans, soit l’âge qu’aura votre humble serviteur en décembre prochain. J’ai été saisi de vertige en lisant la première ligne où il commence à raconter son premier reportage en carrière: aéroport de Dorval, 14 décembre 1972. Le chroniqueur moyen que je suis avait alors un gros deux semaines de vécu.
De ses aventures, je ne vous raconterai rien. Je vous laisse le lire. Le style de Lépine est clair et net, posé, sans fioritures, un peu à l’image qu’on se fait de l’homme. Ça se lit comme un reportage, sans que des déluges d’états d’âme noient les faits racontés. Bon, si j’étais une mauvaise langue, je vous dirais que c’est l’inverse de la biographie de Justin Trudeau, où faute d’avoir une bonne histoire, on a mis beaucoup d’émotions pour désennuyer le lecteur, sans grand succès. Mais comme je suis un gentleman, je ne vous le dirai pas.
Je ne vous dis rien, donc, du récit de la carrière de Jean-François Lépine, mais en lisant le livre, de page en page, une autre histoire se raconte. Elle est là à tous les instants, comme l’ombre de l’auteur: celle des 40 dernières années des médias, de leur évolution, des machines lourdes et lentes qu’étaient à l’époque les dactylos et les caméras 35mm – imaginez! Il fallait faire développer les pellicules! – jusqu’aux gadgets légers, rapides et agiles que nous connaissons aujourd’hui. Alors que le reporter partait naguère en mission sans même savoir s’il pouvait appeler ses patrons et ses collègues – et qu’il devait envoyer les bandes visuelles et audio par avion pour le montage, ce qui prenait des heures, voire des jours –, il est désormais branché en tout temps, toutes les minutes, et peut s’adresser aux téléspectateurs en direct à peu près de n’importe où à n’importe quel instant.
Or, curieusement – et Jean-François Lépine en témoigne très bien dans sa conclusion –, alors qu’on aurait pu croire que cette agilité et ces prouesses techniques permettraient une plus grande ouverture sur le monde, une meilleure compréhension des enjeux internationaux, au contraire, on constate qu’elles sont corollaires d’une lente dégradation de la couverture internationale. C’est le grand paradoxe qui ressort de ce récit d’une vie journalistique. Sans que ceci ne soit nécessairement causé par cela, il faut bien le constater, les émissions spécialisées dédiées aux reportages longs, en profondeur, comme l’étaient Zone libre ou Une heure sur terre, sont disparues et n’ont laissé place à aucun héritier. Sans vouloir jouer à la nostalgie, un projet comme La course autour du monde, qui faisait rêver bien des aspirants aventuriers reporters et qui séduisait un public avide de suivre les candidats dans tous les recoins de la planète, semble aujourd’hui irréalisable. À la radio de Radio-Canada, l’excellent Désautels, qui donnait une place de choix à la couverture internationale dans le cadre du retour à la maison, à une heure de grande écoute, a été remplacé par un format beaucoup plus consacré aux sujets locaux.
En somme, la rapidité technologique semble être corollaire d’une certaine superficialité en ce qui concerne la couverture des événements internationaux. En cette époque où nous baignons dans le World Wide Web, nous assistons à un repli sur nous-mêmes. Alors que nous n’avons jamais eu autant de possibilités d’emmagasiner des heures et des heures de reportages approfondis qui pourraient circuler à la vitesse de la toile, disponibles en tout temps, nous vivons une mode du clip, du deux minutes tout au plus, dans la dictature de l’instant.
Il y a certes des causes économiques et politiques à tout cela. D’abord, la féroce concurrence pour capter l’attention de l’auditeur qui parcourt désormais des grands titres en diagonale, des résultats de recherche sur Google et un flot de tweets ou de statuts Facebook dans lequel il se trouve inondé. Il faut faire vite, marquer le coup, saisir le bon mot-clé au bon moment afin de capter l’attention. Ensuite, oui, la volonté politique, qui semble vouloir abandonner une société d’État dans cette jungle du marché où la phrase-choc et le sujet du jour semblent être la seule voie de rentabilité.
Or, ceux qui ultimement ont le pouvoir de décider du sort de Radio-Canada ne devraient pas abandonner ce diffuseur national, le laissant seul à résoudre ce paradoxe, au risque de se dissoudre dans la concurrence sur le marché de l’agrégation de buzz instantanés. À moins, bien sûr, que ce repli sur soi, qui se fait au détriment de notre compréhension du monde, ne serve une certaine vision politique selon laquelle il est plus facile de gouverner un peuple de citoyens mal informés. Si on ne souhaite pas céder à la théorie du complot, à l’heure où nous nous engageons dans des conflits complexes, on doit constater tristement que nous informer sur l’état de la planète ne semble plus être une priorité.
Jean-François Lépine, Sur la ligne de feu, Éditions Libre Expression, 443 pages.
En effet, je constate également que l’accélération de l’information a pour corollaire la superficialité.
Or la complexité du monde qui nous entoure demande de réfléchir plus que jamais et de tourner sa langue au moins sept fois avant de dire n’importe quoi.
À l’heure du gazouillis de 140 caractères et du vedettariat instantané, il est plus facile de communiquer plus vite que son ombre que de prendre le temps de réfléchir. Heureusement, il reste encore quelques Jean-François Lépine et Simon Jodoin… L’espoir est permis!
Il me semble qu’il manque quelque chose à cette chronique. Ce ne sont pas Facebook, ni Google ni la rapidité technologique qui expliquent la superficialité de l’information, de la même manière que ce ne sont pas les autoroutes ni les automobiles qui expliquent la platitude des voyages.
Merci de cette chronique qui explique pourquoi je reste sur ma faim à l’écoute du Téléjournal Montréal de 18 h, trop centré sur notre petite réalité justement. Les deux ou trois courtes nouvelles d’ailleurs dans le monde qu’on y glissent vers 18 h 20 me font regretter de ne pouvoir rester debout pour les vraies nouvelles de 22 h.
Quelqu’un (haut placé dans les médias) disait: « La télévision est destinée à vendre de la publicité entrecoupée d’émissions. »
En cessant de financer adéquatement ce service public essentiel au semblant de démocratie qu’on a, pour la pousser à concurrencer le privé dans la recherche de la pub pour se financer (virage pris bien avant Mulroney), on a lancé R-C dans cette transformation. Malgré toutes les bonnes intentions de ses artisans, la direction les soumet à cette logique implacable de l’audimat rapide et maximum.
Et bien sûr, l’arrivée de Harper a aggravé ce phénomène. En y ajoutant une volonté idéologique d’anéantir l’information pour le peuple. Comme il musèle les scientifiques, ferme des centres, des bibliothèques, contrôle les communications, abolit le questionnaire détaillé obligatoire du recensement, promulgue la loi budgétaire omnibus C-38, retire le Canada du protocole de Kyoto, abroge la Loi sur l’évaluation environnementale, etc.
C’est une volonté totalitaire de contrôler le peuple en contrôlant « l’information » pour ne passer que sa propagande.