Sale temps pour être con. Journée noire. La rentrée se déroulait comme prévu, on parlait de météo à la une des feuilles de chou et d’autres sujets de divertissement puis hop! comme ça, 12 morts dans une attaque à la rédaction de Charlie Hebdo. N’importe qui peut crier «Allah Akbar», on verra pour le comment du pourquoi plus tard. Pour l’heure, une chose est certaine, reposent en paix, on l’espère, Charb, Cabu, Wolinski et Tignous, résistants, à la plume aiguisée, de l’anticonformisme médiatique à l’ère de l’infodivertissement.
Car Charlie Hebdo – publication, faut-il le rappeler, qui est la descendance directe de Hara Kiri, «journal bête et méchant» qui fut interdit en France! (Ah! la liberté d’expression!) –, c’était la rupture complète et totale avec les codes médiatiques et politiquement corrects, la pureté déontologique et le bon goût. On pouvait certainement trouver qu’ils allaient souvent trop loin, qu’ils étaient trop crus, mais c’était ça, c’était la ligne de tir: «C’est trop méchant? Vraiment trop con? Alors on le fait!» Une sorte de combat de la connerie par la connerie. C’était le rejet pur et simple de toutes les formes de pouvoir, le pouvoir politique, le pouvoir des publicitaires, le pouvoir des mass media… Eh oui, cette liberté totale était en rupture avec… la presse, quand elle est un pouvoir, ce qu’elle est la plupart du temps.
C’était la BD aussi, le dessin comique, longtemps considéré comme un art de seconde zone, d’enfantillages pour illettrés qui allaient corrompre la jeunesse. Le fond et la forme en complète rupture avec les discours du pouvoir.
C’est ça le symbole que je vois assassiné aujourd’hui. La liberté de presse? Non, pas tant. La liberté tout court, radicale, sans compromis, celle qui permet de dire tout connement aux cons qu’ils sont cons sans devoir relire d’abord un manuel de rédaction et suivre des cours de diction.
Il faudra bien les regarder maintenant et dans les prochains jours, les pleureuses de tout acabit sur toutes les tribunes, s’endeuiller en chœur en se réclamant de cette si belle liberté dont ils s’entichent accessoirement pour la forme. Ces scribes qui s’emploient jour après jour à consolider comme ils le peuvent le conformisme ambiant tout en maintenant leur lectorat dans un état d’idiotie latente, sous perfusion, endormi. Vous les verrez la larme à l’œil, l’air sombre, parler de cette sacro-sainte liberté de parole et de presse qu’on assassine outrageusement alors qu’ils la gardaient eux-mêmes anesthésiée au possible.
Gageons que ce seront les mêmes qui du haut de leurs tribunes – pourrais-je dire, tribunal? –, quelques jours avant, s’indignaient en réclamant que les impolis se taisent sur-le-champ et pour toujours, dès que quelqu’un sortait du lot pour égratigner un peu trop fort les codes de la bonne conduite médiatique. Ce sont les mêmes qui écrasent tout ce qui dépasse un peu du moule de la pensée: un gag déplacé, une connerie salace, une déconnade bien sentie pour envoyer promener les enculeurs de profession et les marchands de niaiseries érigées en nec plus ultra du «débat de société». Vous les verrez sérieux, pensifs, proférer qu’ils manquent de mots pour dire leur désarroi sans songer un seul instant que c’est aussi contre leur propre pouvoir médiatique que se dressent les bêtes et méchants de la satire. Les chiens en laisse vont pleurer la mort du loup alors qu’ils sont dressés pour le chasser.
Il faudra se souvenir que se battre pour la liberté d’expression, c’est se dresser contre les fabricants de muselières, contre les interdits, contre ceux qui crient à la diffamation à toutes les occasions pour protéger leur petite image de marque rose pâle qui ne sert qu’à divertir le quidam dans le flux d’informations formatées.
N’en doutez pas. Si Charlie Hebdo a été attaqué si sauvagement, c’est que ses artisans étaient sur ce champ de bataille, au front dans ce combat… Pas dans un bunker d’où on ne peut entrer ou sortir et d’où on lance des ordres et de hauts cris d’indignation. Ce sont des notables qui ne quittent pas leur salon qui distribuent des médailles pour féliciter les morts. Bravo les gars, merci pour votre courage.
Aujourd’hui, mon deuil est double et je pleure deux fois. Une fois pour l’affection que je porte envers ces créateurs et penseurs magnifiques issus de cette tradition de non-conformisme et morts pour la cause. Une seconde fois pour ces lieux de création et de prise de parole extrême que nous avons nous-mêmes accepté de noyer dans le bain du bien paraître.
Sale temps pour déconner, que je vous disais. L’impolitesse est désormais un art risqué. C’est pourtant ça qu’il faut défendre, sans compromis.
«Gageons que ce seront les mêmes qui du haut de leurs tribunes – pourrais-je dire, tribunal? –, quelques jours avant, s’indignaient en réclamant que les impolis se taisent sur-le-champ et pour toujours.»
C’est encore de la liberté d’expression ça que de sortir pour s’indigner et dire ta gueule à d’autres. Maudite différence entre faire ça et tuer 12 personnes à coup de kalach.
Il y a tout de même une différence énorme entre ceux qui condamnent leur publication et ceux qui ont causé la mort de gens qui y travaillent. Je n’aime pas la vulgarité. Mais je suis tout de même très touchée par cet attentat et peinée pour les victimes et leurs proches. Je condamne de tels actes de barbarie, que j’aime ou non ceux qui en sont victimes.
Bientôt, les terroristes n’aurons plus besoin d’assassiner des gens pour faire taire toute critique de l’islam et de son prophète officiel puisque de plus en plus de « mécréants » pratiquent l’auto-censure plutôt que de profiter de la liberté d’expression dont ils bénéficient. Quand ce n’est pas la peur de mourir qui les guide, c’est celle d’offenser la « sensibilité » de la communauté musulmane, comme si celle-ci n’était qu’un bloc monolytique d’êtres fragiles incapables de supporter de voir leurs croyances remises en question.
En laissant aux musulmans les plus fanatiques et les plus agressifs le soin de décider, au nom de leurs coreligionnaires, de ce peut être dit et publié sur l’islam et son fondateur, nous envoyons aux terroristes un message sans équivoque: la terreur est une tactique gagnante. Plus nous serons collectivement lâches et plus les courageux seront menacés.
Churchill a dit: « Un conciliateur, c’est quelqu’un qui nourri un crocodile en espérant qu’il sera mangé le dernier. »
….Oui Minona.
Et il serait bon de se souvenir de Salman Rushdie qui à l’époque devait se sentir bien seul devant la frilosité manifeste des écrivains, journalistes et gens des médias qui l’ont laissé tomber après la fatwa de l’immonde Khomeiny.
On n’a rien fait à l’époque — on récolte depuis ! et aujourd’hui en pleine gueule…
Deux réflexions me viennent :
1)Qu’avez-vous dit M. Jodoin et autres frappeurs de claviers lorsque Charlie Hebdo a publié des dessins humoristiques mettant Mahomet en scène???
Avez-vous comme bien d’autres évoqué « l’islamophobie » et parlé d’une presse qui « jette de l’huile sur le feu »?
2) Mourir pour ses idées ou pour ses écrits, c’est le quotidien des progressistes, des penseurs, des journalistes, des écrivains qui ont le malheur de vivre dans la majeure partie du monde arabo-musulman…. quand on ne meurt pas, on est enfermé! ou on s’exile…
Je pense aussi à Raïf Badawi, blogueur emblématique condamné notamment à 1000 coups de fouet…..
et je relis l’écrivain algérien Boualem Sansal : «combattre l’Islamisme comme le font les Occidentaux, c’est-à-dire à la place des Musulmans, est une erreur grave : c’est les libérer de leur devoir de défendre eux-mêmes leur religion et leurs pays, c’est les exonérer de leur obligation de s’acquitter de leur part dans le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde, c’est les exonérer de leur responsabilité dans le développement de l’Islamisme au sein de leur société et de son exportation, c’est enfin les empêcher de faire par eux-mêmes l’expérience historique, sans doute douloureuse, de la sécularisation de leurs pays et de la révolution démocratique. »
PS : M. Jodoin fait semblant de confondre « déconner » et « dire des conneries ». À Charlie, ils étaient loin d’être cons.
PPS : pour exprimer sa solidarité, VOIR va-t-il ENFIN publier ne serait-ce qu’un seul dessin humoristique mettant en scène Mahomet ?….
Peut-être un petit Cabu, ou un petit Charb se foutant de la gueule des islamofascistes ?
oui, il devient difficile de déconner, de sortir des lignes ; mais c’est justement ce pour quoi il faut combattre becs et ongles car le danger de muselage est latent en France et en Europe depuis déjà quelques bonnes dizaines d’années. aussi merci à vous de le dire car les tribunes libres se réduisent de plus en plus ….
wow!!! Bravo!!!
Si Charlie Hebdo avait eu le culot de soutenir Dieudonné il y a 1 an, j’aurais plus été enclin à compatir.
En ce qui me concerne, Chard et cie ont montré durant cette affaire que ce qui les interessait c’etait la liberté pour eux-meme et d’autres personnes autorisées de se moquer de n’importe qui et de n’importe quoi. De toute évidence, Charb et cie ne pensaient pas que cette fameuse liberté appartenait à tout le monde.
Eux avaient le droit de se moquer, mais les beaufs, les mononc ou les « cerveaux malades », non.
Des gens de gauche qui soutiennent de façon radicale la liberté d’expression c’est plutot aux USA qu’on en trouve (de moins en moins d’ailleur).
Visiblement, tu n’as rien compris.
Charb et compagnie (pour reprendre ton expression) n’ont JAMAIS dit qu’il fallait faite taire Dieudonné.
Ils ont par contre justement écrit et dessiné que cet ex-humoriste était simplement devenu raciste, beauf, négationniste, extrême-droitiste et escroc (en plus d’être bête, mais ça c’est un jugement de valeur).
Dieudo avait le droit de devenir con et il a le droit de le rester. Ils l’ont souvent écrit.
Charlie Hebdo n’a JAMAIS prôné la mort de qui que ce soit.
Par contre, ils ont dénoncé par la plume ceux qui (comme Dieudonné) soutiennent ou ont soutenu des dictateurs comme Kadhafi, Assad ou les mollahs iraniens, tout en se faisant mousser comme des défenseurs de la liberté auprès de cerveaux malades. … ou qui rigolent de voir des journalistes ou des travailleurs humanitaires se faire décapiter.
Pour que tu comprennes, je résume :
Dieudo = politicailleux hypocrite,
Charlie Hebdo = journalistes.
http://www.20minutes.fr/medias/diaporama-6910-photo-836890-charlie-hebdo-unes-celebres
Des mots qui sonnent vraiment très justes…
Au delà de la barbarie et de l’innommable, je pleure moi aussi 2 fois… une première fois pour ce qui s’est passé, une seconde fois pour ce qui va immanquablement se passer, ce bal politique de l’hypocrisie et de la reprise de ses thèmes de la sécurité et la peur de tout ce qui est différent comme tu l’ecris si bien…
Au final c’est de toute façon la liberté qui perdra, car la haine est l’apanage des faibles, le pardon et l’amour demande bien plus de courage
Dans ces moments là, je me dis que ça pourrait vraiment être bien de partir vivre en ermite dans une cabane en montagne, loin de ce monde de fous !
L’article ne met pas personne sur un même pied d’égalité avec les sauvages qui ont commis ce crime. Il dénonce plutôt une hypocrisie omniprésente dans notre système médiatique. La convergence des grands médias et l’idéologie néo-libérale, jamais critiquées dans ses fondements, orchestrées par les puissants financiers qui rodent ce système, qui l’exploitent, au détriment de la majorité.
C’est cette hypocrisie contre laquelle se battent plusieurs formes de médias alternatifs aujourd’hui, et contre laquelle se battaient Charlie hebo, apparemment. La fausse impression d’unicité devant cet acte horrible que les gens de pouvoir vont essayer de nous vendre à grands coups de bons sentiments (voir stratégie communicatives) risquent de favoriser une polarisation. La situation est fort plus complexe et méritent une analyse intelligente auquel le texte de Jodoin contribue.
L’Occident et la liberté que l’on prétendra défendre contre l’obscure musulmanie, n’est pas un bloc monolithique. Son apparent conformisme sert à masquer les remises en question possibles et à marginaliser les gens qui élèvent leurs voix pour des réformes de ce système (hautement stagnant et figé). Lorsque l’Occident se lèvera pour sa propre liberté (la vraie liberté, pas le pouvoir d’achat), là nous pourrons nous considérer sans aucun doute moralement supérieurs à ces barbares, mais pour l’instant, vaudrait se questionner en quoi nos sociétés sont malsaines et créent ces monstres, et ce n’est certainement pas la faute des Charlie Hebdo et cie.
Je supporte mal ce grand mouvement d’hypocrisie collective suite au crime de Charlie Hebdo, qui peut se résumer ainsi:
On peut rire de tout
Sauf de nous
Seulement d’eux
***
Notre conception unilatérale et hypocrite de la liberté d’expression:
On peut rire de la tuerie de 1000 égyptiens
(ref. Tuerie en Egypte, le coran c’est de la merde… – Charlie Hebdo N°1099)
Mais on ne peut pas rire de la tuerie de 12 français
(Minutes de silence obligatoires dans toutes les écoles)
***
Si on veut cohabiter en harmonie il faudra nous entendre pour appliquer le mêmes limites à liberté d’expressión si les morts sont occidentaux que s’ils sont arabes.
Si on considère que la liberté d’expression doit être absolument sans limites (même face à la mort, ce qui était le cas de Charlie Hebdo), il faut qu’on l’assume aussi quand ce sont nos morts.
Si face à l’horreur du massacre de 12 personnes on sent qu’il est nécessaire d’avoir une attitude de respect absolu qui exclut le rire et la célébration, comme je le pense, alors c’est aussi le cas quand les morts sont 1000 arabes.
Je ne veux pas m’avancer mais je crois que tu seras surprise quand tu verras le prochain Charlie Hebdo….!!!
Ce qui ne veut pas dire que tu ne soulèves pas un dilemme intéressant.
« Le Coran c’est d’la merde », en contexte du dessin, s’adressait clairement aux intégristes et autres frères musulmans égyptiens victimes de la répression…. et faisait même un rappel subtil quant à l’utilisation du Coran pour se protéger des balles — affirmation très souvent invoquée et reprise d’un bout à l’autre de la géographie et de l’histoire « musulmane » (guerre irano-irakienne notamment mais pas seulement).
Charlie Hebdo estimait plus «pornographique» — en tout cas plus grossière et obscène que leurs «petits mickeys» — la bien-pensance repue d’une gauche perdue, sa relative tolérance manichéenne (GW Bush= caca fasciste; Hamas = freedom fighters) ET sa cécité volontaire quant aux millions de victimes de l’islamisme… car on a bien atteint et dépassé le million de morts seulement au cours des dernières années.
Alors, c’est sûr la «limite » de l’humour, ils l’ont allègrement bousculée.
Même à leur propre égard, lorsque l’un d’entre eux mourait… Choron, Reiser, Cavanna, Gébé…
Je comprends que tu puisses être choquée. Mais tu te choques, ça s’arrête là.
Sans Kalachnikov. Bravo.
Distinguo : ceux qui n’ont pas respecté la minute de silence (ta réf. aux écoles) ont subi tout au plus une remontrance….
Les mecs de Charlie se sont pris des bastos dans le bide. Les femmes victimes aussi. La minute de silence était pour ces morts et mortes-là.
Si on veut faire la leçon quant au 2 poids 2 mesures … il faut demander à « la gauche » mais aussi aux musulmans d’ici et d’ailleurs pourquoi il n’y a pas eu une seule marche pour les +150 000 morts de l’Algérie des années barbares, les +200 000 morts de la Syrie, les 145 enfants pakistanais explosés du mois dernier, la 20aine de milliers de victimes des tarés de Boko Haram…. etc… etc…
Alors que foulards et barbes au vent, j’ai vu mes concitoyens montréalais descendre dans la rue contre le récent projet de laïcité…
et ils étaient des millions à tout casser, à manifester et à maudire les dessinateurs danois y a qqs années…
Désolé, mais je crois qu’on ne devrait jamais !! avoir à « appliquer les mêmes limites à liberté d’expression » pour des morts occidentaux ou arabes ». Personne ne devrait jamais être condamné à mourir pour des idées, des dessins, des mots exprimés dans les limites des lois contre le racisme et l’incitation à la haine.
Salut.
ooops… un mot oublié :
« La minute de silence était « également » pour ces morts et mortes-là.