Je me sens quand même un peu mal à l’aise d’écrire quelques mots sur Jacques Parizeau. C’est le plus souvent le travail des commentateurs politiques aguerris ou des personnalités politiques qui l’ont connu. On ne commente pas une vie politique de cette envergure avec des banalités.
J’ose quand même vous dire que je lui dois un mot, une expression, un concept fort du discours politique contemporain qui m’est désormais précieux: l’autopeluredebananisation. Cette idée semble tout droit sortie d’un roman de Frédéric Dard, on croirait l’avoir trouvée dans une aventure de San Antonio, mais non: elle fut inventée par Jacques Parizeau lui-même.
J’ignore à quel moment il a pu l’inventer, mais je crois, pour ma part, l’avoir entendu pour la première fois l’utiliser lors d’une conférence des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) il y a quelques années.Il parlait de cette fâcheuse habitude du Parti québécois de s’autopeluredebananiser. Elle est depuis passée dans les usages. Il pourrait sembler trivial de se remémorer cette drôle d’expression dans le flot d’éloges et de témoignages qu’on lui porte, avec raison, depuis hier. Mais ce n’est pas banal: elle dessine les contours de la liberté de penser et de dire. Une liberté que trop de politiciens troquent pour la partisanerie pure et simple.
Peu importe le camp politique qu’on adopte, c’est ce qui était appréciable chez Parizeau et qui lui donnait, selon mon humble avis, la stature d’un homme d’État comme on en voit peu: il pouvait dire à sa famille politique, son propre parti, qu’elle se lançait dans des parcours où des chutes burlesques et ridicules étaient à prévoir. Il le disait en public, dans les médias, souvent par le biais de lettres ouvertes. Il n’en manquait pas une pour remettre en question ses anciens collègues et amis: voyez-vous la pelure de banane que vous venez de laisser tomber devant vous? Regardez un peu où vous mettez les pieds!
On le traitait de belle-mère, on lui disait de regarder ailleurs, et hop, la chute annoncée se produisait. Assez souvent, en tout cas. Si bien qu’on pouvait se convaincre que celui qui pense librement, qui ose pointer ouvertement et en public les faiblesses de ses alliés, risque d’avoir raison.
C’est là que réside l’essence profonde de l’appel à l’autopeluredebananisation. Il s’agit d’un devoir de penser en dehors de la stricte partisanerie. Jacques Parizeau aura légué un héritage d’envergure au Québec en matière de structures sociales, culturelles et économiques. Si je devais exprimer un souhait, c’est qu’on n’oublie pas ce magnifique petit bijou, ce mot un peu loufoque mais lourd de signification, qui pourrait passer inaperçu lorsqu’on fera le bilan de cette vaste succession que nous devons désormais nous partager.
Contre la chape de plomb de la ligne de parti, face au silence idéologique qu’on impose aux politiciens contemporains qui doivent minutieusement choisir les 140 caractères qu’ils ont le droit de diffuser en public, sans jamais brusquer les plans des spin doctors, nous devrions, je crois, saisir la valeur et l’importance de savoir repérer une pelure de banane qu’on vient d’échapper soi-même et sur laquelle nous allons inévitablement poser le pied si on ne prend pas la parole.
Ma grande crainte, c’est que ceux qui se désignent aujourd’hui comme héritiers de Jacques Parizeau ne sachent pas voir l’importance de cette pierre précieuse et qu’ils aillent la vendre au rabais, sans même savoir de quoi il s’agit.
En juin 2011, lors de la plus récente crise interne qui a secoué le PQ dans l’affaire de l’amphithéâtre de Québec, qu’on appelle le Centre Vidéotron, la pelure de banane était grosse comme un continent. Trois députés vedettes, dont Lisette Lapointe, allaient quitter le PQ justement parce qu’il était devenu impossible de diverger de la ligne officielle dictée par les hautes instances du parti. Dans la foulée, Jean-Martin Aussant abandonnait aussi le navire pour aller fonder Option nationale. Quelques semaines plus tôt, en mars, Jacques Parizeau publiait une lettre ouverte pour condamner le «flou artistique» de Pauline Marois et dénoncer le «silence dans les rangs» imposé avec «un zèle intempestif» par la direction du parti. Parizeau avait eu raison, encore, à l’époque, de pointer la pelure de banane. Le PQ ne s’est jamais vraiment remis de cette implosion.
Coquin de sort, celui qui dirige le PQ actuellement est aussi l’actionnaire principal de la société qui administre le Centre Vidéotron.
Gardons donc en mémoire cette magnifique expression de Parizeau: autopeluredebananisation. C’est un bijou très précieux. Une pièce unique. Et elle a désormais, peut-être, plus de valeur qu’elle n’en a jamais eue.
M. Parizeau a permis à notre collectivité de saisir son pouvoir économique, alors surveillons les pelures de bananes pour le conserver. Les sociétés publiques doivent demeurer publiques, sinon pourquoi les compagnies privées en voudraient-elles?
Jetables ces lignes de partis, elles ne font que dé-positionner les député(e)s sur des enjeux importants tels que la vente de la Maison Radio-Canada : aucun(e) député(e) n’explique son consentement à tout vendre, silence radio tous partis confondus.
Pour freiner les tentatives des compagnies privées de s’approprier du bien collectif, il est souhaitable que nos parlementaires expriment leurs idées au lieu de les cacher derrière leurs lignes de partis, car à la fin, qui dirige? Les « spin doctors » ou les élu(e)s?
Monsieur Jodoin, Qu’un journaliste aguerri comme vous ait le réflexe paresseux d’utiliser l’affreux anglicisme « spin doctors » dans un texte est sidérant : c’est participer à l’anglicisation des Québécois. – Noël Laflamme
Bien d’accord avec vous: cette fois, la pelure de banane au PQ est énorme, si grande qu’elle risque de fracturer à jamais le parti, ou, comme l’espèrent les apôtres qui ont reçu leur Messie tant attendu, de le propulser très loin.
D’accord avec vous.
Dans un ouvrage écrit il y a plus de 150 ans Alexis de Tocqueville affirmait que le plus grand danger pour la démocratie était la dictature de l’opinion…eh bien nous y sommes.Adieu vérité, adieu savoir !!!
Nietszche avait bien raison de dire: »après cent ans de journalisme, les mots pueront ! ».