Théologie Médiatique

Sécurité et économie

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Il faut quand même le faire. Aller nous chercher au fond des bois, en plein été, pour déclencher des élections. Les plus longues de l’histoire du Canada, qu’on nous dit.

Aux autobus de touristes qui parcourent les routes, il faudra donc ajouter ceux des politiciens décorés des couleurs de leur parti et des slogans qu’ils souhaitent qu’on retienne. Justement, celui de Stephen Harper était de passage à Montréal cette semaine. Allez comprendre pourquoi, mais pour illustrer le fait que le premier ministre était en visite dans la métropole, le parti a choisi de nous montrer, par l’entremise de Facebook, une photo de son autobus. Vous voyez, il est là! Un peu comme le mouton de Saint-Exupéry.

— Dessine-moi un premier ministre.

— Ça, c’est l’autobus. Le premier ministre que tu veux est dedans.

Toujours est-il que cet autobus est une sorte de panneau réclame géant et mobile et que le message publicitaire qu’il diffuse devrait retenir notre attention: Un leadership qui a fait ses preuves. Un Canada plus sécuritaire. Une économie plus forte.

Sécurité et économie. C’est quand même assez malin. On ne peut pas se sortir de cette espèce de roue pour hamster. Tu es prospère, tu as accumulé des biens, une grosse maison, tu manges à ta faim et même un peu plus, tes enfants croulent sous les cossins inutiles, il y en a même un qui collectionne les dinosaures en plastique. Tu as peut-être aussi un tracteur pour ta pelouse et le truc qui souffle les feuilles chez le voisin l’automne. Mais as-tu pensé aux serrures? Et au système d’alarme? Et à la clôture? Et pourquoi pas un chien de garde? Parce que comme tu possèdes beaucoup de trucs, on pourrait t’attaquer! Ah, mais tout ça coûte cher. As-tu les moyens de te payer ça? Il faut donc que tu sois vraiment prospère. Il te faut donc une économie forte.

Il faudrait dire ça aux gens, un jour: Si vous avez peur, c’est peut-être parce que vous possédez trop de machins. Et si vous en possédez trop, c’est peut-être parce que vous avez peur. Allez donc vous sortir de là.

D’ailleurs, on ne s’en sort pas, et les deux autres partis sont assez bien baisés. À preuve, ils ont choisi presque exactement le même slogan. Il est temps de changer ensemble pour les libéraux et Ensemble pour le changement du côté du NPD. Il n’est passé par la tête de personne au sein de ces partis de proposer, mettons, Pour un Canada plus libre et des gens plus heureux.

Ce serait assez joli, mais sans doute une promesse impossible. Comme un type dans un couple en panne d’amour qui proposerait à sa femme de tout balancer aux ordures pour aller vivre au gré du vent et des saisons.

— On serait libres et heureux, chérie!

— Tu es complètement timbré. On avait parlé d’un nouveau téléviseur et d’un poney en peluche pour la plus jeune.

Alors le type, ce qu’il finira par promettre, au bout de plusieurs années, ce sera de changer. Ça ne manque jamais.

— Je vais changer, chérie, promis!

Le type va changer, ou pas, mais c’est au fond pour sauver la cabane, la bagnole, la piscine, le petit bonheur tranquille qui consiste à se cuisiner un bon repas sur un BBQ de dimension 72 boulettes. Je ne sais si vous aviez remarqué, mais on mesure maintenant la dimension des BBQ en nombre de boulettes. Il y a, là aussi, quelque chose qui touche la sécurité et l’économie. Allez, ne craignez rien, vous pouvez faire 72 burgers en même temps. Dormez tranquilles.

Sécurité et économie. C’est donc assez bien trouvé. D’ailleurs, la sécurité, ça nous connaît, même au Québec où on se targue pourtant, non sans un certain snobisme, de ne pas trop verser dans ce conservatisme presque maladif. Vous en doutez? Allons. Vous avez bien été 21 000 à signer cette pétition pour supplier les autorités de ne pas laisser passer Action Bronson à la frontière, ce rappeur américain qui devait présenter un spectacle au festival Osheaga et qui vous a fait très peur avec sa poésie et son clip pour le moins dérangeant où il transporte le corps d’une femme dans son coffre de voiture pour aller la balancer dans une rivière. Ah non! Pas de ça ici! Mais regardez un peu comme il va trop loin! Comment un type peut-il créer des images pareilles?

Comme vous, j’ai regardé. Je vous remercie d’ailleurs, car sans ce scandale, j’aurais pu passer à côté. C’était dérangeant, oui. J’ai ressenti un énorme malaise à regarder ces images. Le même malaise que j’ai connu au moins 367 867 fois en regardant un film ou en lisant un livre.

Certains ont tenté, sans grand succès, de faire valoir qu’à la fin, il est quand même question de fiction, d’une création, d’un poème. C’est bien de littérature et de musique dont on parle. En demandant aux forces de l’ordre d’intervenir pour nous protéger d’un artiste, aussi dérangeant soit-il, je ne sais si on a bien pris conscience de la ligne que nous allions tracer sur le sol. Cette ligne qui délimite le terrain et où on pourra placer la clôture pour nous protéger des méchants.

Économie et sécurité. Comme je vous disais, c’est assez bien trouvé comme slogan. Ça devrait fonctionner. Plus que la création et la liberté, en tout cas.